IRRC No. 906

Éditorial – Les disparus et leurs familles : quand la souffrance se mêle à l’espoir

Télécharger PDF
Cet article est aussi disponible en

Abstract
Depuis 2011 la Syrie est à feu et à sang. Que s’est-il passé ? Ce conflit semble avoir peu à peu endosse tous les déguisements hideux que la guerre peut revêtir : guerre civile, guerre de religions, guerre par procuration, guerre de siège, guerre cybernétique, guerre contre la terreur… Toutes les formes de guerres, passées et actuelles, semblent se fondre en une seule. Guerre contre les enfants, guerre contre les hôpitaux, guerre contre les villes, guerre contre les secouristes, guerre contre la mémoire, guerre contre la justice… Voici peut-être les vrais titres de cette guerre.

Texte original en français. 

 

Depuis 2011 la Syrie est à feu et à sang. Que s’est-il passé ? Ce conflit semble avoir peu à peu endossé tous les déguisements hideux que la guerre peut revêtir : guerre civile, guerre de religions, guerre par procuration, guerre de siège, guerre cybernétique, guerre contre la terreur… Toutes les formes de guerres, passées et actuelles, semblent se fondre en une seule. Guerre contre les enfants, guerre contre les hôpitaux, guerre contre les villes, guerre contre les secouristes, guerre contre la mémoire, guerre contre la justice… Voici peut-être les vrais titres de cette guerre.

Quels que soient les noms qu’on lui donne, quelques chiffres et ordres de grandeurs permettent d’esquisser les contours de cette tragédie. Bien qu’il n’y ait pas de consensus sur le nombre de morts, le chiffre le plus communément accepté serait, selon un article du New York Times d’avril 2018, de 470 000 morts1 . Selon un rapport de l’UNICEF de mars 2018, on dénombrait environ 30 000 personnes blessées par mois, 1,5 million vivant avec un handicap permanent, 6,5 millions vivant dans la précarité alimentaire et 70 % de la population sous le seuil de l’extrême pauvreté. 1,75 million d’enfants étaient déscolarisés avec une école sur trois rendue inutilisable par la guerre2 .

Plus de 11 millions de personnes, soit environ 50 % de la population d’avant-guerre, ont déjà été arrachées à leur foyer. 5 millions de personnes ont dû fuir le pays et 13,5 millions ont désormais besoin d’une assistance humanitaire pour survivre3 . La majorité des infrastructures du pays ont été détruites, l’économie s’est écroulée, le niveau sanitaire, un des meilleurs de la région avant la guerre, s’est effondré ; des villes ou des quartiers entiers ne sont plus que d’immenses champs de ruines.

Si l’on peut tenter d’estimer les pertes en vies humaines ou le montant des dégâts matériels, les chiffres ne permettent pas d’appréhender les souffrances endurées, les traumatismes physiques et psychologiques que ressentiront les victimes et leurs proches pendant toute leur vie ou encore l’impact de la violence et du déracinement sur les générations à venir.

Les ondes de choc du conflit en Syrie se font ressentir bien au-delà des frontières du pays. Cela se manifeste tout d’abord par le sort réservé aux millions de syriens qui ont dû fuir le pays.  Leur destin dépend du bon vouloir des pays d’accueil qui sont souvent profondément divisés sur la question de l’asile. Au-delà des lignes de fractures communautaires que le conflit a révélées, les interventions des pays de la région et des grandes puissances en soutien à l’un ou l’autre camp, ont fait des populations syriennes les otages d’enjeux qui les dépassent totalement. Le chaos en Syrie a permis le développement de l’action de groupes armés transnationaux, à l’intérieur du pays, mais aussi à des milliers de kilomètres, partout où des individus ou des réseaux terroristes commettent des attaques en leur nom. Que vont devenir les milliers de combattants étrangers (« foreign fighters ») partis combattre en Syrie ? Que faire d’eux et de leurs familles lorsqu’ils sont capturés ?

La guerre en Syrie a même contribué à réveiller le spectre de la guerre froide : de la révolte populaire du « printemps arabe », on est passé à un conflit régional avec l’intervention de plusieurs grandes puissances qui soutiennent des camps opposés. Autre ressemblance avec l’époque de la guerre froide, les mécanismes multilatéraux de rétablissement de la paix ont vite été paralysés et, depuis 2011, on assiste à une surenchère dans l’horreur.

La guerre semble désormais entrer dans une nouvelle phase depuis que les forces gouvernementales ont repris le contrôle d’une grande partie des zones urbaines. Les personnes qui avaient fui le conflit commencent à rentrer chez elles. Toutefois si l’époque des grandes opérations de siège et de reconquête de territoires semble se terminer, le conflit n’est pas fini pour autant. Et si les besoins humanitaires évoluent, ils n’en demeurent pas moins colossaux.

Au vu de l’ampleur de la dévastation, du caractère emblématique de ce conflit et du total mépris pour le droit international humanitaire (DIH), la Revue a décidé de consacrer ce numéro à la Syrie. De plus, nous avons voulu donner la parole à des Syriens. Dans ce but et grâce au soutien de la délégation du CICR à Damas, la Revue a pu se rendre en Syrie en février 2018 alors que commençait le siège de la Ghouta, pour rencontrer des chercheurs, des acteurs de la société civile, des juristes, des médecins et des humanitaires du CICR ainsi que du Croissant-Rouge arabe syrien (SARC). Les articles publiés dans ce numéro proposent des éléments de compréhension à travers les prismes humanitaires mais aussi juridiques, psychologiques ou urbanistiques, offrant de manière un peu inattendue, une lueur d’espoir pour la reconstruction du pays.

Rage destructrice

Jour 1. Pour entrer en Syrie, le CICR nous fait passer par le Liban. Depuis Beyrouth, nous nous rendons par la route vers la frontière syrienne. Comme par une cruelle ironie, au poste-frontière, des affiches touristiques vantent encore les richesses architecturales et historiques du pays : la cité antique de Palmyre, la forteresse médiévale d’Alep, ou encore le Krak des Chevaliers, le plus grand château de l’époque des croisades…

Je me rendais dans ce pays pour la deuxième fois. J’ai eu la chance de visiter la Syrie dans les années 90, invité par un ami qui nous avait fait visiter la plupart de ces sites magnifiques. Moins connus et moins visités que l’Égypte ou la Jordanie, la Syrie a pourtant une histoire d’une incroyable richesse et abrite sur son territoire plusieurs des hauts-lieux de l’histoire de l’humanité et des joyaux de l’architecture antique et médiévale. Si la Syrie a bénéficié de nombreuses missions archéologiques qui ont répertorié, fouillé et conservé les ruines, les sites sont restés difficiles d’accès et peu visités jusqu’à la fin du vingtième siècle. La visite n’était que plus belle : comme nous, les rares voyageurs, venus spécialement pour découvrir ces sites éloignés des sentiers battus, pouvaient presque éprouver la sensation d’être parmi les premiers à arpenter ces ruines, après des siècles d’oubli. Jamais nous n’aurions pu imaginer que certains de ces joyaux centenaires disparaîtraient pour ne survivre que dans nos mémoires et sur les photos délavées d’affiches touristiques.

Le pays venait à peine de s’ouvrir au tourisme quand la crise a commencé. Les bombardements intensifs ainsi que la rage destructrice des belligérants auront prélevé un lourd tribut sur ce patrimoine de l’humanité. Triste ironie, le grand public n’aura sans doute appris l’existence de Palmyre, la merveilleuse cité du désert, que lorsque le groupe appelé « l’État islamique » entreprit d’en détruire les plus beaux monuments.

La destruction des biens culturels protégés syriens est ainsi devenue un enjeu de propagande et de terreur, ainsi que l’une des caractéristiques de ce conflit. Dans ce numéro de la Revue, Ross Burns dresse un tableau des dommages infligés au patrimoine culturel de la Syrie et plaide pour une véritable reconstruction des sites ravagés par la guerre et pour ne pas se contenter d’une reconstitution 3D des sites disparus. Polina Levina Mahnad présente les instruments juridiques protégeant les biens culturels ainsi que plusieurs mesures concrètes innovantes prises durant le conflit pour améliorer leur protection. Les moyens que l’autrice décrit pourraient servir à améliorer le respect du droit dans d’autres domaines, au-delà des seuls biens culturels.

Portrait d’un désastre

Jour 2. Nous sommes maintenant en Syrie et nos nerfs sont tout de suite mis à rude épreuve par le fracas des bombardements proches ou lointains. Depuis la terrasse du toit, nous voyons les avions de guerre au-dessus de nos têtes et, au loin, de grands champignons de fumée grise chaque fois qu’une bombe ou un obus atteint un immeuble. Bientôt ce sont les récits des collègues et de nos interlocuteurs qui nous plongent dans l’angoisse : leur souci pour les membres de leurs familles vivant dans une zone dangereuse, leur effroi en recevant la terrible nouvelle d’un proche gravement blessé...

Si les attaques contre les biens culturels ont frappé les esprits, en fait c’est le pays tout entier qui a été détruit. Les bombardements massifs et continus des villes syriennes sont une autre des caractéristiques de cette guerre. Après des années de guerre, l’ampleur de la destruction du pays est stupéfiante et c’est la première chose que Peter Maurer, le Président du CICR, évoque dans son entretien pour ce numéro, pour comparer la Syrie aux nombreuses autres zones de guerre dans lesquelles il s’est rendu ces dernières années. Pour Peter Maurer, le second trait frappant du conflit, c’est le manque de respect pour les hôpitaux et la mission médicale. Pour abriter les blessés des bombes et continuer à fonctionner, les centres de secours doivent être souterrains. Ces abris médicaux sont une des images emblématiques du conflit.

Comme la Revue l’a déjà évoqué dans son numéro consacré à « Villes en guerre », un habitant d’Alep, Yasser, nous livre ce qu’est sa vie dans cette ville déchirée par la guerre : « Nous étions pris entre deux feux. Nous avions l’impression d’être coincés entre le marteau et l’enclume, sans aucune issue possible. Je ne souhaite à aucun être humain de vivre cela4  ». Comme ce numéro le montre notamment au travers des témoignages des habitants d’Alep, les conflits en Syrie et dans l’Irak voisin ont été avant tout des conflits urbains. Les guerres en ville peuvent priver l’accès des civils aux services essentiels5 . Limiter ou couper l’accès à l’eau est l’une des tactiques qui a été utilisée par les différentes parties au conflit comme un moyen de nuire de façon indiscriminée au camp adverse6 .

Nouvelle ironie cruelle, si les villes syriennes sont aujourd’hui des champs de ruines, ce sont des problèmes démographiques et d’urbanisme incontrôlé qui sont pointés du doigt par certains experts comme deux des causes profondes du conflit. Nous avons rencontré l’architecte Marwa Al Sabouni qui a survécu avec sa famille au long siège de Homs. Dans son livre, The Battle for Home, elle évoque comment la destruction du tissu urbain traditionnel des villes syriennes a créé ou renforcé les antagonismes sectaires ou communautaires qui ont fini par mener à la guerre. Dans son article pour ce numéro de la Revue, elle propose un nouvel urbanisme pour rebâtir des villes syriennes qui favoriserait une coexistence harmonieuse et pour éviter les erreurs du passé.

Malgré le danger des bombardements, le professeur Yassar Abdin a aussi fait le déplacement pour rencontrer l’équipe de la Revue. Architecte et urbaniste, il a accepté d’écrire une étude sur « l’insécurité sociale » de l’agglomération de Damas avant la guerre. Pendant notre entretien un obus de mortier a frappé le bâtiment voisin et nous avons dû nous précipiter dans une salle sécurisée au sous-sol.

La destruction de l’espace bâti ne peut que laisser deviner l’état de dévastation psychologique de la population : pour chaque ville ou village détruit, combien de deuils, de séparations, d’appauvrissements, de déracinements, d’humiliations ou de traumatismes à la suite à de violences sexuelles ? Le professeur Mazen Hedar, président de la Syrian Arab Association of Psychiatry (association arabo-syrienne de psychiatrie) présente un tableau effarant des conséquences de la guerre sur la santé mentale des Syriens. Dans un pays où admettre des troubles psychologiques était encore tabou jusqu’avant la guerre, le Dr Hedar présente les consultations à distance, par internet, une solution innovante adoptée par les thérapeutes pour pouvoir suppléer aux difficultés d’accès et à la carence de personnels compétents en Syrie.

Trop peu d’espace pour les humanitaires

Jour 3. À la fin d’une longue journée de travail, Marianne Gasser, la cheffe de la délégation du CICR en Syrie, nous reçoit dans son bureau pour partager son expérience unique. Elle a travaillé plusieurs années dans ce pays, avant et pendant la guerre. Elle nous parle des négociations tendues, des dangereuses traversées des lignes de front, des « succès » et des limites de l’action humanitaire, des frustrations…

Multiplication et fractionnement des groupes armées, radicalisme religieux ou communautaire et rejet de toute présence étrangère, bombardements aveugles ou ciblant précisément les infrastructures de santé… Comment déployer une action humanitaire et opérer dans un contexte aussi dangereux, aussi volatile ?

Le conflit en Syrie présente une série de défis particulièrement complexes du fait des caractéristiques du conflit et de la multiplication des acteurs de la violence. Comment convaincre les assiégeants de venir en aide à la population civile prise au piège ? Comment obtenir des garanties de sécurité de groupes de plus en plus radicaux et fractionnés ? Comment maintenir un espace humanitaire neutre indépendant et impartial dans un conflit où chacun diabolise l’ennemi ? En effet, le conflit ne se livre pas seulement dans les rues des villes syriennes mais aussi dans les esprits. Chaque camp se livre à une intense propagande en Syrie et à l’étranger en utilisant les médias sociaux, le prosélytisme en ligne ou les « fake news » pour rallier l’opinion à sa cause.

Pour les organisations humanitaires, la question de l’accès est essentielle. En Syrie, l’action humanitaire est aussi limitée par l’impossibilité d’opérer systématiquement, de part et d’autre des lignes de contrôle. La question de l’accès humanitaire a été l’objet de débats dès le début du conflit7 . Depuis 2012, la Revue a publié plusieurs articles sur les normes régissant l’accès humanitaire8 .

Malgré l’impossibilité d’avoir accès à l’ensemble des zones de conflit, le CICR a tâché de rester ferme sur ses principes humanitaires de neutralité, d’indépendance et d’impartialité. Le CICR s’est efforcé de jouer son rôle d’intermédiaire neutre et a soutenu les efforts de secours du SARC, désigné par le gouvernement syrien comme le partenaire exclusif des organisations d’aide internationales. Dans ce numéro, une galerie de photos prises par le SARC et le CICR illustre l’action du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dans le conflit et le soutien qu’il apporte à ceux qui tentent de reconstruire leur vie.

Malgré ces difficultés extraordinaires, les acteurs de terrain en Syrie continuent à déployer des trésors de courage et d’inventivité pour remplir leur mission. Si les images des destructions sont emblématiques de ce conflit, nous devons nous souvenir d’autres images de courage et de solidarité : celles qui montrent la persévérance des médecins syriens ou étrangers, celles des premiers intervenants en train d’extraire les victimes des décombres, celles montrant le courage des volontaires du SARC, 66 d’entre eux ayant été tués en service depuis le début du conflit9 .

Pour le CICR, « l’humanité ne se mesure pas en termes de secours distribués, mais dans le véritable rétablissement des populations affectées [traduction CICR]10  ». L’organisation a fourni une assistance alimentaire à 3 269 593 bénéficiaires en 2017 et a garanti un approvisionnement en eau régulier ainsi que des conditions de vie correctes à 15 millions de personnes à travers tout le pays11 . Les humanitaires apprennent aussi à opérer dans les villes qui ne sont pas seulement le lieu de la destruction massive d’infrastructures, mais qui accueillent de plus en plus de populations déplacées12 .

Continuer à lutter pour le respect du droit

Jour 4. Après une nuit de bombardements, une collègue arrive à la délégation du CICR en pleurs : sa cousine vient d’être gravement blessée à son domicile, dans un quartier résidentiel, loin de tout objectif militaire, quand un obus a frappé la fenêtre de sa cuisine. Frappée au dos par les débris de la fenêtre, elle risque de rester paralysée à vie.

Il y a une forte explosion, tout à côté. Un panache de fumée noire s’élève au-dessus des toits. Une roquette isolée, tirée au hasard, vient de pulvériser un taxi qui passait dans une rue toute proche ; le chauffeur est tué. Il ne peut y avoir aucune justification militaire à une telle attaque.

Le conflit en Syrie a vu la violation des règles les plus élémentaires du DIH : attaques contre les civils, attaques contre les hôpitaux et les postes de secours, utilisation d’armes chimiques, torture des détenus. Bien sûr la plupart des conflits armés connaissent leur lot de crimes et il n’y a jamais eu d’âge d’or où le DIH était parfaitement respecté par tous. Toutefois, c’est peut-être le contraste entre d’une part les progrès observés ces dernières décennies dans le développement et la diffusion tant du DIH que de la justice pénale internationale et d’autre part la situation sur le terrain qui peut mener au découragement des défenseurs du droit. Chaque fois qu’un crime de guerre reste impuni, cela représente un échec, non pas seulement du DIH ou de ses défenseurs, mais un échec pour l’humanité tout entière.

L’utilisation d’armes chimiques durant le conflit a été l’un des plus funestes symboles de ce manque de respect du DIH. Et pourtant cette violation d’une des règles les plus universellement acceptées, a fait l’objet d’une condamnation unanime et a replacé la question du respect du DIH à sa juste place, au cœur des discussions sur ce conflit. Dans ce numéro de la Revue, Yasmin Naqvi, juriste en droit international, plaide pour que l’importance particulière que la communauté internationale a donnée à l’emploi d’armes chimiques puisse servir de base à l’établissement d’un tribunal pour la Syrie.

Une autre marque de l’importance du respect du DIH réside dans les efforts de la communauté internationale pour protéger la population civile des effets des hostilités. À plusieurs reprises la possibilité de créer des « zones de sécurité » où la population civile pouvait trouver refuge, a été évoquée. Le mémorandum d’Astana de mai 2017 a instauré des zones de « désescalade » afin d’améliorer la situation humanitaire en Syrie13 . En novembre 2017, à Moscou, le CICR et le Conseil russe des Affaires internationales ont organisé une conférence sur ces zones afin de préciser les responsabilités des États et des organisations humanitaires vis-à-vis des populations civiles dans ces zones14 . Dans ce numéro, Emmanuela-Chiara Gillard présente les règles du DIH qui s’appliquent à ces zones, souvent appelées « zones de sécurité ».

Les normes humanitaires ne devraient pas être portées uniquement par la communauté internationale ; elles sont aussi profondément enracinées dans la tradition islamique. Le professeur égyptien Ahmed Al-Dawoody, conseiller du CICR sur les questions de droit et de jurisprudence islamique, présente dans ce numéro de la Revue, les règles du droit islamique ayant trait à l’emploi de la force et les compare avec les règles du DIH.

Malgré ces violations multiples et flagrantes, le DIH demeure l’unité de mesure à l’aune de laquelle il est possible d’évaluer l’ampleur des crimes et le seul garde-fou à un déferlement de violence encore plus grand. Pour le CICR, c’est aussi un outil de travail fondamental. Selon Peter Maurer :

Les Conventions de Genève constituent un socle solide qui nous permet de négocier l’accès aux populations, d’entretenir un dialogue sur la conduite des hostilités [et] de négocier un accès aux lieux de détention (…). C’est un outil important qui nous guide dans la manière dont nous pouvons dialoguer avec les États afin que ce droit soit respecté, un dialogue que nous menons non seulement avec les États, mais aussi avec les acteurs non étatiques [traduction CICR]15 .

La tragédie qui frappe la Syrie est en grande partie le résultat de violations du DIH qui restent impunies. Il est clair que tant de souffrances, de destructions, de déracinements, d’immeubles démolis et de ruines auraient pu être évités si les parties au conflit avaient fait le choix de respecter les règles simples de l’humanité. Plus qu’un échec du DIH, la Syrie est l’expression de l’échec des mécanismes de rétablissement de la paix dans la durée, un échec qui a nourri un terrible sentiment d’impuissance face à la litanie des crimes. Il est clair aussi que, pour être durable, le retour à la paix devrait s’appuyer sur les normes internationales.

Déplorer l’absence de respect du droit ne suffit pas. Une série de mesures élémentaires, si elles étaient mises en œuvre par les parties au conflit, pourraient améliorer concrètement la situation humanitaire et, demain, faciliter le retour à la paix.

 

Comme l’a affirmé Dominik Stillhart, le directeur des opérations du CICR, lors de cette Conférence : « Les humanitaires peuvent soigner le patient, mais seuls les États peuvent le guérir16  ».

                                                            : : : : : : :

Évoquer l’immense gâchis de la guerre en Syrie ne peut que laisser un goût de cendre : le système international de règlement des conflits est paralysé, l’espace humanitaire est réduit à une peau de chagrin, les violations du DIH sont délibérées et instrumentalisées pour semer la terreur et on assiste au retour à des pratiques cruelles que l’on croyait révolues, tels les sièges ou les bombardements à l’arme chimique…

Pourtant, en analysant les causes du conflit, les contributeurs à ce numéro de la Revue ne se laissent pas gagner par l’amertume. Tous ont en commun de proposer des solutions concrètes aux différents problèmes évoqués. Tous partagent la même passion pour la Syrie et pour son peuple. La Revue tient à témoigner sa reconnaissance à ces auteurs et à tous ceux qui nous ont conseillés pour préparer ce numéro. Ils montrent qu’il y a un espoir au milieu des ruines.

 

 

Poursuivre la lecture du #IRRC No. 906

Autres articles sur Réfugiés syriens, Revue internationale de la Croix-Rouge, Guerre informatique, Terrorisme, Défis contemporains pour le DIH

Autres articles de Vincent Bernard