IRRC No. 910

Tourisme noir : la « patrimonialisation de sites de souffrances en mettant l’accent sur les lieux de mémoire de génocide perpétré au Rwanda contre les Tutsis

Télécharger PDF
Cet article est aussi disponible en

Texte original en français.

Il existe aujourd’hui un ensemble mondial de patrimonialisation intensive des espaces de guerres et spécifiquement des génocides et des massacres : « voir » la mort de masse, également appelé « tourisme noir », « dark tourism » ou « tourisme de la catastrophe » qui est devenu l’objet et la destination des visiteurs. L’article présente cette patrimonialisation en mettant l’accent sur les lieux de mémoire du génocide perpétré au Rwanda contre les Tutsis.

*   L’autrice tient à remercier Emilienne Mukansoro, Hélène Dumas et Stéphane Audoin Rouzeau, pour l’aide qu’ils lui ont apportée dans les recherches au Rwanda.

Introduction

En 1909, dans le « Manifeste initial du futurisme », le poète italien, Filippo Tommaso Marinetti écrivait :

Musées, cimetières !… Identiques vraiment dans leur sinistre coudoiement de corps qui ne se connaissent pas. (…) En vérité la fréquentation quotidienne des musées, des bibliothèques et des académies (…) est pour les artistes ce qu’est la tutelle prolongée des parents pour de jeunes gens intelligents, ivres de leur talent et de leur volonté ambitieuse. (…) Viennent donc les bons incendiaires aux doigts carbonisés ! (…) Et boutez donc le feu aux rayons des bibliothèques ! Détournez le cours des canaux pour inonder les caveaux des musées !1 .

Quelques lignes plus haut le poète avait aussi annoncé : « Nous voulons glorifier la guerre - seule hygiène du monde - le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes. » Il faut toujours prendre les artistes au sérieux : le no-future de Marinetti, qui devint pour ainsi dire un geste anarchique, s’est bien transformé en futur de la guerre et de la tragédie dès 1904 avec l’extermination des Hereros et des Namas, puis, entre autres, avec la guerre  du Liban de 1911.

J’emploie ici le mot « tragédie » quand les protagonistes construisent ensemble une scène où le récit des horreurs fait sens, tandis que « catastrophe » désigne un futur où il y a une rupture totale de sens. On peut scander tout le XXe siècle ainsi : dès 1914 et bien plus après 1918, les cimetières et toutes les traces de la Première Guerre mondiale, sur tous les fronts, sont devenus des mémoriaux et des musées. Marinetti a gagné la partie ; mais pour une tragédie faisant dix millions de morts militaires et sans doute autant de civils qui incluait déjà l’extermination des Arméniens (aujourd’hui nommé « génocide », après que ce mot ait été forgé en 1943, par Raphael Lemkin) et des prolongations violentes, révolutionnaires, contre-révolutionnaires, nationalistes, avec leurs lots de destructions et d’exodes. S’en suivit la catastrophe par excellence, celle de la Seconde Guerre mondiale qui fit au moins cinquante millions de morts.

La patrimonialisation de sites de souffrances et le phénomène du tourisme noir

Les Italiens ont forgé le concept de Museo al aperto ou musée « ouvert » pour décrire les espaces où les traces des guerres, de la répression, de la mort de masse, sont devenus lieux de commémoration, de deuil, d’ancrage du désespoir2 . On pourrait aussi les appeler, comme le cinéaste Wajda, « paysage après la bataille3  ». Cette patrimonialisation intensive a trouvé un regain d’importance depuis les années 1990, à la fois dans le cycle de retour des deux guerres mondiales et de la Shoah (catastrophe en hébreu) dans les pays occidentaux, Europe de l’ouest, États-Unis, Australie, Asie (notamment en Chine et au Japon) et de la fin de l’Union soviétique.

À travers le monde, les ruines restaurées ou laissées en l’état, les cimetières visibles ou pas, les  fosses de massacres, les camps de concentration et de travail forcé, les sites d’extermination, les bagnes et prisons, sont devenus à leur tour musées où l’on montre les objets, les traces, les photographies, parfois les films. Ou alors, à l’inverse, l’oubli, volontaire ou involontaire occulte les traces ou en crée de nouvelles4 .

Ces lieux sont d’abord dans la tête de ceux qui souffrent de leur passé, individuellement ou collectivement, de ceux qui n’ont pas de sépulture où aller se recueillir, pas de photographie à regarder, pas de voix à entendre ; ils sont pleurs et prières, corps et bribes de corps, paysage, topographie légendaire, ou pas, comme l’avait bien vu Maurice Halbwachs5  : en quelque sorte une interprétation du trauma qui en est aussi une représentation et un transfert de sacralité, de la mort à la sur-vie ou la re-vie. Et l’on peut d’ailleurs se demander comment on peut faire réapparaître ainsi devant le regard des visiteurs la vie d’hommes alors que tout a été mis en œuvre pour les faire disparaître.

Ces mémoriaux-musées sont inclus dans ce qu’on appelle depuis quelques années tourisme de la catastrophe6 , entre un certain voyeurisme pour ces objets détestables et recherche d’émotions - les Anglo Saxons parlent de Dark Tourism. À travers le monde, ces musées de sites comprennent généralement deux espaces : le lieu tel qu’il se présente, plus ou moins réadapté pour le rendre visitable, et une partie destinée à y exposer l’histoire. Les niveaux de scientificité et d’instrumentalisation par le pouvoir politique y sont très variables : celle-ci peut être exposée dans un bâtiment neuf, comme c’est le cas du musée Polin des Juifs de Pologne qui introduit du plein dans un espace vide, celui de l’ancien ghetto de Varsovie liquidé par les nazis en 1943, ou du musée moderne de Drancy érigé face à l’ancien camp d’internement, ou encore du Mémorial du 11 septembre (9/11 Memorial) à l’emplacement même des deux tours du World Trade Center. L’espace « histoire » peut aussi être accueilli dans un des bâtiments du site détourné de sa fonction de mort pour devenir musée dans le musée comme les Blocks d’Auschwitz 1, la Sauna de Birkenau, ou l’ancienne tour d’entrée du village détruit de Belchite, symbole de la Guerre civile espagnole7 .

Ces lieux à très fort potentiel mémoriel et affectif participent en effet d’une requalification, par le retour du même : transferts de sacralité, pèlerinages. Ainsi, Révérien Rurangwa, survivant du génocide des Tutsis au Rwanda, raconte ainsi son voyage à Auschwitz-Birkenau en janvier 2004 :

Aller à Auschwitz n’est pas faire du tourisme […] c’est un voyage intérieur dans une confrontation avec le lieu du Mal, le symbole du Génocide, le paradigme du Crime contre l’humanité. […] Un lieu où tous les rescapés se retrouvent en quelque sorte chez eux si j’ose dire. C’est cette étrange fraternité que je viens de partager avec d’autres rescapés de génocides. […] Il y a dans notre délégation de vieux Arméniens, des Juifs âgés, de jeunes Tutsi, des Hereros du Mozambique. Mais un survivant n’a pas d’âge. […] Impossible de ne pas superposer les images que je porte en moi. […] Ce ne sont pas des baraques dans une plaine lugubre mais des collines riantes où les couleurs éclatent sous un ciel limpide. Approchez-vous un peu. […] Tout un pays transformé en champ de la mort. La barbarie méthodique à ciel ouvert. […] Ce voyage à Auschwitz me plonge dans une réflexion douloureuse. Chaque pensée éveille un souvenir sensible, une blessure charnelle. Je ne parviens pas à prendre de la distance8 .

Comment, survivant ou pas, « prendre de la distance » devant ces sites « illimités : à la fois au cœur de l’opération historique, limitée à un certain temps, dans un certain espace, et au cœur de l’opération de mémoire, illimitée dans le temps et l’espace, se prolongeant, disparaissant, revenant, parfois politisés et instrumentalisés par ceux qui les organisent pour les préserver9  ».

Dès la Première Guerre mondiale, on s’était demandé si l’on devait reconstruire la cathédrale de Reims ou laisser ses ruines en l’état, comme monstration de la « barbarie10  » de l’ennemi. À Hiroshima, le dôme reste le témoin décharné de la catastrophe quand un musée moderne, dû à Kenzo Tange et construit à proximité dès 1954, évolue depuis dans sa forme et sa muséographie. Reconstruire ou mettre en scène des ruines ? Aujourd’hui, la logique d’Oradour-sur-Glane, aux ruines accusatrices, qui aboutit à la sensation d’être dans un décor figé, est plus rarement suivie.

Or, le but de ces lieux de mémoire n’est-il pas de redonner vie aux acteurs du passé ? Tel est le sens de même de la traduction de Yad Vashem, l’appellation choisie pour le centre immense de commémoration de l’Holocauste à Jérusalem. Cette phrase est empruntée à Isaïe : « À ceux-là je réserverai un monument et un nom11  ». Souvent les photographies, multipliées sur tous les sites muséaux, rendent en effet un visage. Sur les sites d’extermination, on choisit spécialement les photographies d’enfants, non seulement car les émotions sont toujours plus fortes devant les jeunes visages anéantis, mais encore parce que leur extermination est au cœur du concept central de génocide : c’est par eux que l’on a voulu faire disparaître les Arméniens, les Juifs, les Tutsis de la terre. De même, ce ne sont pas des objets qui ont été mis « au rebut », mais des êtres humains. Aussi les objets des mémoriaux ou des musées redonnent identité aux disparus.

Visiter ces sites de catastrophes, ce n’est pas seulement pérenniser et cristalliser ce qu’ont vécu les survivants-victimes ou leurs descendants, c’est aussi essayer de comprendre quel était alors le rôle de tous. Car ne pas voir les interactions entre les esclavagistes / les bourreaux, les esclaves / les déportés et ceux qui se trouvaient là, - voisins ou pas –, amènerait à une vision unidimensionnelle de l’histoire. La force de l’assimilation aux victimes est toujours première, non sans rejeu, parfois dans l’amertume de l’oubli ou de la concurrence des victimes ou des mémoires. Parfois les victimes peuvent y lire une impression de réparation, de restitution de leur passé. Il y a ce qui se visite, ou pas, de façon symbolique, quand d’optimistes « entrepreneurs de mémoire » ne peuvent offrir qu’un oxymore pour que l’on se rende sur ces « lieux de paix ».

On y vient pourtant lorsque l’on veut y voir la souffrance des siens – ou des autres –, tenter de s’en approcher. Comment expliquer autrement les flots de Coréens du Sud qui visitent Auschwitz-Birkenau ? Le camp, surtout dans sa composante Auschwitz 1, haut lieu de la mémoire polonaise et synecdoque pour le tout de la déportation et de l’extermination des Juifs est certainement aujourd’hui trop visité, malgré les efforts de clarification remarquables entrepris par la direction du camp-musée qui s’appuie sur l’association internationale des survivants afin de réguler le flot des touristes. Le tourisme de masse n’observe pas toujours le silence et manque parfois de respect pour ces sites, mettant en péril les structures en bois construites sur un sol marécageux et fragile.

À la croisée de l’histoire des violences militaires, politiques, sociales, culturelles contre les êtres et des traumatismes de mémoires, les chercheurs du « tourisme mémoriel » recréent un ensemble intellectuel où l’histoire est inscrite dans le court terme de la destruction et le long terme du rappel ou de l’oubli, entre amnésies, anamnèses et hypermnésies. Ils décryptent en même temps que les visiteurs les « bricolages symboliques » des musées et des mémoriaux qui tentent de faire percevoir que le corps, l’âme, le paysage sont vulnérables, au sens étymologique. Alors comment les blessures et les dévastations extraordinaires dues aux passés les plus douloureux ont-elles été vécues, perçues, prolongées, et sans cesse représentées, « distillées », comme disait le géographe-écrivain Julien Gracq qui a inventé les belles notions « d’esprit de l’histoire » et de « paysage-histoire12  ». L’exemple remarquable du Rwanda après le génocide des Tutsis nous retiendra plus particulièrement ici, non sans comparaisons internationales.

Montrer sur les lieux : au-delà du tabou de la mort

Dans les musées de site, on est au cœur de la notion de « lieu de mémoire » forgée par Pierre Nora, ces creusets où l’on fabrique du sens, du passé vers le présent13 . Pour leurs créateurs et les visiteurs, ces lieux sont d’abord ceux d’un re-jeu, parfois dans l’impression de la réparation, de la restitution de leur passé, mais en tous cas dans le retour prégnant et des victimes et de leur peur. Il y a ré-appropriation de lieux qui sont devenus des cimetières réels ou de substitution : on y vient en pèlerinage car ces mémoriaux – musées sont essentiellement des lieux à très fort potentiel affectif, des lieux sacrés. Avant tout, le génocide a détruit et tué ; et ceux qui visitent ces musées sont soit des victimes, soit s’identifient à elles, d’où l’expression de « lieux de mémoire victimaire14  ».

Au Rwanda l’horreur de la souffrance et de la mort infligée agrippent partout. La médiation passe par des témoins survivants, témoins rescapés, témoins oculaires qui sont pour certains devenus guides des sites. C’est désormais leur profession, « ils racontent tous les jours l’histoire15  ». Mais ils sont évidemment beaucoup plus que des guides, devenant ce qu’Avishai Margolit a appelé des témoins moraux, ceux qui ont connu le mal, souffert, et pris des risques pour témoigner, dans une éthique du souvenir16 . Ainsi, le formidable « guides » de Bisesero, dont le visage porte la longue cicatrice d’un coup de machette : « Je suis guide parce que je suis un survivant mais aussi parce que je peux le faire17 . » Les guides de sites au Rwanda sont le génocide vivant, incarné : certains racontent leur propre histoire de mort et de survie, d’autres, souvent plus jeunes, sont quelquefois le relais de la parole officielle, locale ou nationale, « ils sont la vérité de la région18  ». Ainsi, le guide de Nyange montre sa propre documentation, un papier mille fois plié et replié qui dit toute sa douleur d’avoir vu sa camionnette réquisitionnée par les tueurs pendant que les membres de sa famille étaient écrasés et brûlés vifs dans leur propre église, sur les ordres de leur propre prêtre19 . Sont-ce les ossements des membres de sa famille qui sont exposés dans une vitrine, derrière le guide20  ?

Dans beaucoup de musées des crimes de génocide, on ne montre pas les corps eux-mêmes, soit par tabou, soit parce que les corps brûlés, comme à Auschwitz-Birkenau, n’ont laissé que des traces de cendres. Marceline Loridan-Ivens, rescapée de Birkenau, s’adresse à son père :

Je t’imagine semblable à tous les cadavres qui jonchaient le chemin de mon retour. Je t’imagine bras écartés, yeux grands ouverts. Un corps qui a vu mourir et qui s’est vu mourir. Et que l’on ne nous rendra pas (…) Si nous avions eu une tombe, un endroit où te pleurer, les choses auraient peut-être été plus simples21 .

Plus simple ? Les survivants du Rwanda sont-ils moins « hantés » ? Car dans ce pays, on désigne, on fait même beaucoup plus : la mort est l’objet d’une véritable monstration.

Ainsi à Kinazi, à Kibeho, ou à Murambi, où l’on expose, à même les salles de classe où ils avaient cru venir se réfugier, les corps conservés dans un lait de chaux blanche, à jamais figés au moment de leur mort atroce. Murambi où l’on sent encore l’odeur de la mort, juste un peu moins que quand des fosses nouvelles sont rouvertes pour que les restes de cadavres exhumés plus de vingt ans après soient enfin inhumés « en dignité ». L’une des rescapées, Élise Rida Musomandera, nous livre ses impressions :

À Murambi, j’ai senti l’odeur, celle du Rwanda de 1994, l’odeur des morts ; Murambi c’est le seul endroit qui sent vraiment encore le Rwanda de 1994. L’odeur des morts y est encore présente malgré ces vingt années passées22 .

On se situe ici aux limites entre la médecine légale et l’archéologie de site23 , qui ont commencé dès les enquêtes médico-légales commanditées par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda qui avait pour but l’établissement des preuves. Comme le montre bien le laboratoire de conservation et d’étude des corps qui se trouve à Murambi, on est désormais aussi dans un lieu d’étude et de recherche ; la partie « musée » du site doit rendre compte du tout, l’englober en une mise en abyme : de la mort à la preuve de la raison de la mort. Si on ne peut désormais plus identifier les êtres humains car on n’a pas les moyens dans ce pays très pauvre d’utiliser l’ADN, l’étude permet de comprendre mieux la façon dont on les a tués24 . Ce sont les rescapés qui descendent dans la fosse pour aller chercher les corps, les « faire monter », en une expression religieuse utilisée quasi naturellement par les Rwandais, si catholiques : corps et âmes « montent ». Souvent, des femmes, preuves vivantes, si fragiles, du génocide par le viol et le sida, travaillent à trier les restes des leurs, retrouveront-elles jamais ceux qu’elles ont perdus ?

À Kinazi, par exemple, des sacs débordaient n 2014 encore de terre mêlée de morceaux de chair, d'os, de vêtements souillés ; l’odeur de pourriture y était à la fois douçâtre et exécrable : faire du « tourisme mémoriel », c’est sentir l’odeur de la mort ? Dans le nouveau mémorial tout blanc, on expose désormais les crânes, les corps, les vêtements, dans une monstration qui tient de la mise en scène baroque, de l’avertissement, et surtout de l’exorcisme, dans un Rwanda possédé de ses morts. Les visiteurs descendent littéralement au milieu des corps, dans des caveaux souterrains modernes. C’est le rôle des guides-témoins, voire des « agents techniques » de montrer, car celles et ceux qui balaient à Murambi ou à Nyamata sont aussi des survivants. Les guides-témoins incarnent la mort des leurs et la difficulté de leur survie25 . Ils portent eux-mêmes des cicatrices fort visibles, ainsi, à Bisesero, cet homme si méticuleux dans ses explications, le visage barré d’une énorme balafre. Sans compter les cicatrices traumatiques qui les accompagneront toujours. Les cicatrices physiques portent le passé vers le présent, celles des âmes le présent vers le passé26 .

Impacts de balles et coups de machettes, membres coupés - les Hutus pensaient que les Tutsis étaient trop grands, qu’ils les méprisaient, ils fallait les « raccourcir », les tuer. Postures de supplications, mains tentant de protéger le visage, le lieu même de l’humanité au moment où chez le bourreau toute trace en a disparu. « Les corps parlent27  ».

On remarque plus particulièrement les corps d’enfants, parfois encore recouverts de bribes d’uniforme d’écoliers. Comme indiqué ci-dessus, les enfants sont au cœur même du génocide, c’est par eux que l’on a voulu faire disparaître les Tutsis de la terre.  Des mots d’un rescapé :

Les mémoriaux de Nyamata et de Ntrama. (…) Je n’arrive jamais à m’habituer  à voir les corps et les crânes. A Ntrama, je ne peux trouver la force de faire un pas vers le mur contre lequel ils frappaient les enfants et qui est encore marqué de leur sang. À Nyamata, l’escalier qui descend pour aller dans la cave où il y a des corps allongés sur la table, ça je ne le supporte pas28 .

Sur les murs des galeries, on expose des photographies du temps de la mort : les mémoriaux permettent de « visualiser » à la fois le temps du génocide et celui de la lutte contre l’oubli de la mort réalisé : c’est tout le travail de « l’inhumation en dignité », mené par la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG) dont dépendent tous les sites au Rwanda et de sa volonté de les regrouper désormais. Car il pourrait y avoir un site mémorial tous les 100 mètres… Pour que l’impact soit plus fort – et aussi pour que la vie reprenne dans ce pays martyrisé - on n’en a conservé que quelques-uns, qui sont à la fois monstration de la mort et accusation. Pédagogie et politique, contre les tueurs Hutus voisins qui peuvent voir après avoir participé au génocide, et contre les responsables français de l’époque et les errements de l’opération Turquoise, ainsi à Murambi29 .

Ces ruines-musées sont à la fois lieux de prière, de pleurs, et d’accusation, d’autant plus qu’il s’agissait d’églises, d’écoles, d’hôpitaux. Les lieux d’éducation, de soin, de foi, sont devenus les lieux de la tuerie car le monde du génocide est celui de l’inversion de toutes les valeurs humaines. À Kibeho, lieu d’une apparition de la Vierge, hautement sacré, l’église attaquée a été re-consacrée, seul le fond est un mémorial, séparé par un rideau : inscription vengeresse en violet, couleur du deuil liturgique, devant les crânes et les ossements, reliques du temps du génocide : « Nous demandons que les génocidaires soient punis et qu'on interdise d'effacer les preuves. » Devant l’ossuaire qui jouxte l’église, ce sont des corps cachés derrière des rideaux que les guides ouvrent pour les visiteurs, faisant tout à coup se mouvoir les bras qui semblent venir les chercher pour qu’ils intériorisent l’inscription : « Ceux qui sont morts ici exigent que cela ne se reproduise jamais. » Des statues de saints sont aussi exposées ; leurs membres sont arrachés, leurs nez sont coupés. La Vierge est mutilée, dans le même état que ceux qui croyaient qu’elle les protègerait. Les tueurs ont justement choisi les églises pour prouver que leurs victimes n’étaient plus des êtres humains.

Archives et objets dans les musées des catastrophes

Claude Levi-Strauss nous le rappelle :

La vertu des archives est de nous mettre en contact avec la pure historicité (…). D’une part elles constituent l’événement dans sa contingence radicale (…), d’autre part elles donnent une existence physique à l’histoire, car en elles seulement est surmontée la contradiction d’un passé révolu et d’un présent où il survit. Les archives sont l’être incarné de l’événementialité30 .

Les nombreux musées des génocides à travers le monde, comme le peu de musées de l’esclavage, sont la plupart du temps des espaces sensoriels complets où on veut vous donner un « coup à l’estomac », explicitement31 . Ils sont en effet placés aux mains de muséographes professionnels qui savent très bien organiser les documents écrits, les dessins, les photographies, les objets.

Les deux structures muséales organisées de façon occidentale au Rwanda, à Kigali et Murambi, le sont du fait d’Aegis Trust, fonds charitable dû à deux frères, James and Stephen Smith32 . Aegis Trust est une ONG britannique qui a pour mission de prévenir le génocide et les crimes contre l’humanité et qui développe des structures muséales clés en main qui sont au cœur d’une entreprise d’éducation contre les génocides33 . Les frères Smith ont débuté leurs activités en 1995 à partir d’une structure de réflexion sur le génocide des Juifs, le Beth Shalom, the United Kingdom Holocaust Memorial Center, créé en dehors de tout lien avec les chercheurs travaillant sur la Shoah ou d’autres lieux en Grande Bretagne, telle la très remarquable exposition permanente de l’Imperial War Museum. Forts de cette expérience, ils se sont intéressés au Kosovo puis au Rwanda. Le modèle Shoah est donc fort prégnant, comme on le voit très bien à Kigali et Murambi : tout a été fabriqué en Angleterre par Aegis Trust et envoyé et monté au Rwanda. Les guides de voyage ne manquent pas d’y envoyer les visiteurs, avant ou après le parc national et ses grands singes34 . Les visiteurs sont occidentaux, comme les muséographes, bien que d’autres visiteurs, notamment des groupes d’élèves, viennent du Rwanda et d’autres pays d’Afrique. Le tourisme occidental amène à s’interroger sur les mécanismes d’européanisation, où la lucidité des observateurs avertis laisse parfois place à une certaine honte : après la colonisation et les complicités de génocide, la domination de la représentation historique et mémorielle35  ?

Dans les musées du Trust, d’une part on veut donner un récit cohérent du génocide, à partir du discours du Front Patriotique Rwandais qui est le commanditaire ; d’autre part, il y a un vrai travail d’exposition du sort des victimes, en particulier par leurs objets intimes, ce qu’on peut appeler « de l’histoire à toucher36  ».

Les morts sont évoqués d’abord par la métaphore - les vêtements et les objets qui faisaient d’eux des individus, puis par leurs visages photographiés, comme dans tous les mémoriaux des génocides à travers le monde, en particulier celui de Yad Vashem.

Généralement les photographies sont celles d’avant la catastrophe, la vie dans la vie d’avant. Les enfants de Kigali assassinés parce que Tutsis, ressemblent aux enfants des mémoriaux de Paris ou de Sydney assassinés parce qu’ils étaient juifs.

À Kigali comme à Malines, dernier camp de transit belge avant Birkenau, les objets – tel tricycle, telle bicyclette, - sont montrés au plus proche de leur utilisation intime. Ces objets racontent une histoire, celle de l’individu qui les a utilisés, aimés, perdus, retrouvés. Dans la lutte permanente de l’homme avec la mort, le génocide a fait gagner la mort. Les objets rescapés rendent la vie ; plus ils sont simples, plus ils sont proches des êtres – les dessins des enfants par exemple - plus on a l’impression de se rapprocher des absents, par la trace qu’ils ont laissée sur l’objet, à la fois inspiration historique et déclencheur d’imagination. Si on raconte trop sur un objet, il ne dit plus rien. Trop de scénographie les fait disparaître, il faut leur laisser leur silence.

Car ces objets intimes ne racontent qu’une seule histoire, n’ont appartenu qu’à un seul individu et, en même temps, ils sont assez banals pour que chacun dans un même groupe - les écoliers et leur uniforme par exemple – aient possédé le même, toujours semblable toujours différent, le collectif dans l’individuel et réciproquement. Par cet intime partagé, des objets qui furent autrefois propriété de vies ordinaires convient l’immédiateté de l’horreur. Des objets banals sont traversés par la catastrophe qui leur donne un sens nouveau et sont rendus aux visiteurs : chemise d’écolier, sandale, houe, carte d’identité, chapelet, pipe, faucille, montre, lunettes, chaussures, surtout car le cuir ou le plastique se conservent mieux que le tissu. Ces objets dessinent en creux le portrait d’êtres humains qui ont été happés par la machine de mort : ils étaient chrétiens, comme leurs tueurs ; agriculteurs, comme leurs tueurs ; ils aimaient leurs enfants, comme leurs tueurs.

Les vitrines nous font voir des individualités, des personnalités, même derrière cet inventaire : ce ne sont pas les objets qui ont été mis « au rebut », ce sont les êtres humains ; telle paire de lunettes, telle poupée, telle photographie, encore plus, est unique : un, plus un, plus un. L’accumulation ici fait beaucoup plus que décrire : elle redonne vie aux assassinés, ainsi les cartes d’identité, partout présentes, qui avaient permis leur classification comme « assassinables » leur redonnent leur visage et leur nom. On est proche de la  notion d’« aura » chère à Walter Benjamin :

 Si l’on entend par aura d’un objet soumis à l’intuition l’ensemble des images qui, surgies de la mémoire involontaire, tendent à se grouper autour de lui, l’aura correspond, en cette sorte d’objet, à l’expérience même que l’exercice sédimente autour d’un objet d’usage37 .

Au musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, à Genève, le génocide du Rwanda est présent avec des photographies d’enfants rescapés ; des numéros de dossiers légendent chaque cliché des « enfants séparés de leur famille » : TRU 227, TRU 228, TRU 229. Combien de luttes pour « recréer des liens familiaux » derrière ces jeunes êtres numérotés ? Le travail humanitaire est aussi représenté par une maquette effectuée par des prisonniers, ex-tueurs génocidaires, en attente de leur procès ou purgeant leur peine. On voit un bâtiment de la prison visitée par le Comité international de la Croix-Rouge, des stands de nourriture, un dispensaire, une école. La vie normale de l’après, juger, aider, enseigner, soigner.

Et pourtant on ne peut s’empêcher de penser, quand on a vu les mémoriaux et les fosses, combien la plupart de ces musées sont aseptisés : les vitrines font plus que protéger les objets, elles protègent aussi les visiteurs de la réalité crue de l’histoire du génocide. À Kigali, les vêtements sont suspendus avec art, ils ont été lavés, pas d’odeurs, pas de sang. On est loin de la force des mémoriaux de site que sont pourtant aussi les musées de Kigali et de Murambi.

C’est encore plus vrai quand il s’agit des objets de mort, les armes, et le poste de radio qui émettait les appels au meurtre de la chaîne des « 1000 collines38  ». Ces objets ont plutôt une autre fonction, frapper par un message qui synthétise et symbolise le collectif. On le retrouve sous la même forme au Musée de la tolérance, à Mexico, où Aegis Trust a aussi été sollicité pour la section consacrée au génocide des Tutsis. L’exposition insiste sur la propagande - la radio, les caricatures du journal Kangura - sur la longue durée, et là on retrouve les Français, de François Mitterrand si « amical » avec le régime Hutu à l’Opération Turquoise, sans oublier un grand portrait de Maurice Papon, exemplaire dans un autre temps de la complicité de la France dans un génocide, celui des Juifs39 .

Du génocide au patrimoine mondial de l’humanité

Aujourd’hui le CNLG monte le dossier d’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO des sites de Nymata, Murambi, Bisesero et Gisozi-Kigali. Il faut prouver que les sites ont une « valeur universelle exceptionnelle », un oxymore40 . Que va être amené à classer l’UNESCO : la mort, son odeur, le sang, les armes, la pourriture, les objets rescapés ? L’UNESCO désigne ces marques du génocide comme des « mémoires négatives » et montre quelques réticences pour ajouter ces témoignages édifiants de l’horreur à la liste du patrimoine mondial41 . Comme Auschwitz-Birkenau est inscrit sur la liste, on peut s’interroger sur les critères de sélection de l’UNESCO. En même temps, les sites et leur exposition de cruauté doivent répondre à des critères de visite : après la mort de masse le tourisme de masse, avec protection des sites – appelés « biens culturels » - mais aussi leur aseptisation par la restauration des lieux. La protection patrimoniale doit amener le regard du monde sur une histoire exceptionnelle tout en la faisant rentrer dans un moule acceptable par tous. Voir « leur » site inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO est en quelque sorte le but suprême des rescapés et de leurs descendants, fussent-ils très lointains, qui s’allient avec les entrepreneurs du tourisme mémoriel. La mort des leurs, ou leurs souffrances extrêmes peut, pensent-ils, devenir une « destination » mondialement reconnue, sans cesser d’être inscrite, fichée en eux. Une destination de la culture, qui révèle l’humanité des drames, leur historicité, permettant parfois de s’y heurter et de mieux connaître l’histoire du génocide.

L’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO exige un dossier extrêmement compliqué à réaliser qui a souvent autant de raisons politico-diplomatiques que patrimoniales d’être finalement accepté. Et les choix de conservation moderne obligatoires, l’accueil de visiteurs de plus en plus nombreux amènent des transformations techniques qui risquent d’altérer les traces originellement conservées, ce que, par exemple, le nombre trop important de visiteurs à Auschwitz peut le laisser craindre.

Ailleurs, le négationnisme s’en mêle : ainsi, la République d’Arménie a pu inscrire quelques sites patrimoniaux, mais les ensembles se trouvant en Anatolie ont été détruits pendant ou après le génocide des Arméniens, constamment nié par la Turquie. Quant aux sites reconnus qui ont été détruits par les guerres et les assassins de la mémoire, comme Palmyre, les Bouddhas de Banyan ou les mausolées de Tombouctou, l’Unesco peut, au mieux, protester42 . On ne peut que constater des strates de tourisme mémoriel : de la religion forte de milliers d’années ayant mené à ces œuvres d’art, aux guerres les détruisant et en faisant des sites modernes, de Dark Tourism. Comme si les guerres, y compris de religion, rajoutaient leur part tout en effaçant les précédentes.

Conclusion

Au musée de Kigali, la visite s’achève par une réflexion sur les conséquences de longue durée des guerres et du génocide - réfugiés, trauma - et par une mise en contexte générale des différents marqueurs de l’extermination, des Hereros aux Arméniens, des Juifs aux Cambodgiens et aux Bosniaques. On a choisi des documents qui convergent vers les expériences communes : carte d’identité allemande avec la mention « juif », à l’instar de celles des Tutsis où la mention « Hutu », salvatrice pendant le génocide, est barrée ; tas d’ossements, ceux des Hereros ou des Cambodgiens assassinés par les Khmers rouges. Mise en contexte minimum, mais insistance toujours sur la certitude partout proclamée, celle du génocide, sous la figure titulaire de Raphaël Lemkin, celui qui a nommé dès 1943 : genos, qui, en grec, signifie « peuple » et occidere, qui signifie « tuer » en latin ; un barbarisme linguistique pour dire la barbarie des barbaries. Lemkin qui a dit aussi que non seulement on ne sort pas indemne d’un génocide mais qu’on n’en sort jamais :

Après une guerre, même perdue, une nation peut reconstruire ses ressources techniques et financières, recommencer une nouvelle vie. Mais ceux qui ont été détruits dans un génocide sont perdus pour toujours. On peut réparer les pertes d’une guerre, les pertes d’un génocide sont irréparables43 .

Lemkin prenait à la fois l’exemple des Arméniens et des Juifs rescapés pour poursuivre son idée dévastatrice : il  n’y a pas de futur pour les victimes d’un génocide44 . Des Tutsis du Rwanda qui ne l’ont pourtant pas lu, témoignent de ce qu’il appelait « le prolongement de la cicatrice psychologique ». Ainsi la sociologue, Elise Mujawayo :

La puissance d’un génocide c’est exactement cela : une horreur pendant, mais encore une horreur après. Intérieurement il n’y a pas de fin à un génocide. Il y a juste arrêt des tueries, des massacres, des poursuites, mais il n’y a pas de fin à la destruction45 .

Claudine, une habitante de Nyamata rescapée du génocide, lors de son mariage, dit : « Grâce au mariage, le présent montre son gentil visage, mais le présent seulement, parce que je vois bien que l’avenir est déjà mangé par ce que j’ai vécu46 . »

D’autant « mangé », que les rescapés qui ont tenté de vivre à nouveau dans leur région génocidée, les Juifs en Pologne et Ukraine après 1945, les Tutsis dans le Rwanda d’après 1994, ont dû affronter, en plus des négations, la prolongation du génocide en la présence constante des voisins tueurs et de leur sentiment d’impunité :

Jusqu’à présent je vis toujours dans ce génocide dont vous êtes l’origine. (…) Mais cela ne m’intimide pas, cela ne m’empêche pas de parler pour tous mes morts car, selon moi, ils m’entourent tous même s’ils ne parlent jamais47 .

C’est ce que dit Elise Rida Musomandera : « Il existe des rescapés car le génocide s’est arrêté, mais les survivants, eux, est-ce qu’ils existent vraiment ?48  » Elle aurait pu emprunter sa terrible expression à Soisic Aaron parlant du génocide des Juifs : « sous-vivants49  ». Cette expression peut être comparée à celle de « walking dead » (bapfuye buhagazi), qui est souvent utilisée au Rwanda pour désigner les survivants50 . C’est cela sans doute qu’aucun musée au monde, jamais ne pourra montrer.

  • 1Filippo Tommaso Marinetti, « Manifeste du futurisme », 1909, reproduit dans Le Figaro, Paris, 20 février 1909.
  • 2Sten Rentzhog, Open Air Museums: The History and Future of a Visionary Idea, Kristianstad, Carlssons, 2007. L’expression « musées à ciel ouvert » est plus large que les lieux de mémoire transformés en musées, mais l’idée générale est la même.
  • 3Paysage après la bataille (Krajobraz po bitwie) est un film polonais réalisé par Andrzei Wajda, sorti en 1970, qui raconte l’histoire d’un rescapé d’un camp de concentration nazi.
  • 4Luba Jurgenson, « Paysages du désastre », Revue des Deux Mondes, octobre 2010 ; Annette Becker « Les musées des catastrophes, exposer guerres et génocides » dans Delphine Bechtel et Luba Jurgenson Muséographie des violences en Europe centrale et ex-Urss, Éditions Kimé, Paris, 2016 ; Nicolas Werth, La route de la Kolyma, Belin Littérature et Revues, Paris, 2012 ; « Le paysage après-coup », colloque organisé par Soko Phay en décembre  2017 à la Frac de Metz, France,  en particulier à propos du Cambodge (actes à paraître) ; « Does Memory Blend into the Landscape? », Mémoires en Jeu/Memory at Stake, n° 7, Été 2018.
  • 5Maurice Halbwachs, La topographie des Évangiles en Terre Sainte, PUF 2008. Ce livre est le plus abouti des essais de M. Halbwachs sur la mémoire et malheureusement le moins connu. Voir aussi Annette Becker, Maurice Halbwachs, un intellectuel en guerres mondiales, 1914-1945, Agnès Viénot Éditions, Paris, 2003.
  • 6Pour en savoir plus, voir le dossier « Tourisme mémoriel : la face sombre de la terre », Mémoires en Jeu/Memories at Stake, n°3, mai 2017 ; Malcolm Foley et J. John Lennon, « JFK and Dark Tourism: A Fascination with Assassination », International Journal of Heritage Studies, vol. 2, n° 4, 1996 ; Philip Stone et Richard Sharpley, « Consuming Dark Tourism: A Thanatological Perspective », Annals of Tourism Research, vol. 35, n° 2, 2008.
  • 7Stéphane Michonneau, « Belchite ou l’impossible Dark Tourism de la guerre civile espagnole » Mémoires en jeu, n° 3, avril 2017.
  • 8Révérien Rurangwa, Génocidé, Presses de la Renaissance, 2006, p. 47.
  • 9Piotr Kosicki citant Victor Erofeev dans sa contribution sur Katyn, dans David El Kenz et François Xavier Nérard (dir.) Commémorer les victimes en Europe, XVIe-XXe siècles, Champ Vallon, 2011.
  • 10Emmanuelle Danchin, Le temps des ruines, 1914–1921, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2015.
  • 11Ésaïe 56:5. Pour en savoir plus sur l’importance du Musée de Yad Vashem et de l’United States Holocaust Memorial Museum, voir Annette Becker, Messagers du désastre. Raphaël lemkin, Jan Karski et les génocides, Fayard, Paris, 2018.
  • 12Julien Gracq, entretien avec Jean-Louis Tissier, Julien Gracq: Oeuvres complètes, vol. 2, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1995, p. 1206.
  • 13Voir Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, 3 tomes, 7 volumes, Gallimard, Bibliothèque Illustrée des Histoires, Paris, 1984–92.
  • 14Expression inventée par David El Kentz et François Xavier Nérard. Voir D. El Kenz et F. X. Nérard (dir.), op. cit. note 9.
  • 15Entretien avec Magnifique Neza, avril 2014. Archives de l’auteur.
  • 16Avishai Margalit, L’Éthique du souvenir, Flammarion, collection Climats, 2006.
  • 17Entretien avec A.B., avril 2014. Archives de l’auteur.
  • 18Entretien avec Martin Musoha, avril 1994. Archives de l’auteur. Rescapé à 14 ans, il devient membre de la CNLG où il a été chargé des exhumations.
  • 19L’abbé Athanase Seromba a été condamné, en 2008, à la prison à vie pour génocide et extermination constituant un crime contre l’humanité par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Voir TPIR, le Procureur c/ Athanase Seromba, affaire n° 2001-66-A, arrêt, 12 mars 2008.
  • 20En septembre 2018, un immense mémorial a été inauguré par la CNLG à Nyange, près de l’église qui a été reconstruite. En reconstruisant l’église, commémoration a franchi une nouvelle étape, puisqu’elle est placée à l’endroit exact où se trouvait ce lieu de souffrances. Sur la nouvelle église, on peut lire ces mots, en français et en Kinyarwanda : « Cette église remplace celle qui fut délibérément détruite lors du génocide perpétré contre les Tutsis en 1994. Leur mémoire ne s’effacera jamais. Ils seront toujours dans nos prières ».
  • 21Marceline Loridan-Ivens, Et tu n’es pas revenu, Paris, Grasset, 2015, pp. 48 et 59. C’est l’exemple pris par Valérie Rosoux dans son excellent chapitre « Drames humains et réconciliations : une mémoire commune est-elle-possible ? » in Annette Becker et Stéphane Tison (dir.), Un siècle de sites funéraires. De l’histoire à la valorisation patrimoniale, Presses de l’Université de Nanterre, Nanterre, 2018.
  • 22Elise Rida Musomandera , Le livre d’Élise, Les Belles Lettres, 2014, pp. 82-83.
  • 23Caroline Sturdy Colls, « Holocaust Archeology: Archeological Approaches to Landscapes of Nazi Genocide and persecution », Journal of Conflict Archaelogy, vol. 7, n° 2, 2012.
  • 24Comme pour les Australiens de 1916 retrouvés à Fromelles, dont des dizaines ont été identifiés par leur ADN à ceux de leurs descendants et réinhumés avec leurs noms dans un cimetière militaire. Voir Bruce Scates, Annette Becker et Lucy Noakes, Afterlives of War: Grief, Incarceration, Memorialisation and Repatriation, projet de recherche Fromelles cent ans,  National Committee investigating the missing of Fromelles et Australian National University, Canberra.
  • 25Dans les musées de site, en particulier aux États-Unis, mais pas seulement, aujourd’hui on trouve des reconstitutions (reenactments) partout, avec des guides habillés époque. Si ces guides rentrent parfois dans la catégorie théâtre costumé ou kermesse, beaucoup sont des fanatiques de l’histoire qu’ils connaissent aussi par les archives. C’est le cas pour les guerres napoléoniennes, la Guerre de Sécession, ou même la Deuxième Guerre mondiale en Pologne où le refus de reconnaitre la Shoah est encore courant. Au Rwanda ce n’est pas nécessaire puisque les guides et les agents d’entretien sont eux-mêmes des rescapés du génocide.
  • 26On peut évidemment chercher des explications anthropologiques concernant le déroulement du génocide comme le fait Nigel Eltringham dans « Exhibition, dissimulation et “culture” : le traitement des corps dans le génocide des Tutsis du Rwanda », in Élisabeth Ansett et Jean-Marc Dreyfus, Cadavres impensables, cadavres impensés. Approches méthodologiques du traitement des corps dans les violences de masse et les génocides, Éditions Petra, Paris, 2012. Lors de génocides, les auteurs peuvent soit dissimuler leurs crimes, soit les exhiber. Dans la phase mémorielle, au contraire, la monstration domine.
  • 27Entretien avec Martin Musoza, avril 2014. Archives de l’autrice.
  • 28E. Rida Musomandera, op. cit. note 22, p. 84.
  • 29Stéphane-Audoin-Rouzeau, Une initiation, Rwanda, 1994-2016, Seuil, Paris, 2017. L’opération Turquoise est une opération militaire de la France au Rwanda en 1994. Si, au départ, le but était d’aider les Tutsis, les militaires ont réalisé sur place qu’ils étaient principalement en train d’aider les auteurs à s’échapper. Voir Guillaume Ancel, Rwanda, la fin du silence : le témoignage d’un officier français, Les Belles Lettres, Paris, 2018.
  • 30Claude Levi-Strauss, La pensée sauvage, PLON, 1962 ; repris dans Œuvres, La Pléiade, Gallimard, 2008, pp. 819-820.
  • 31Ainsi en est-il du remarquable film « Le passage du milieu » du musée de l’esclavage de Liverpool, où des bribes de corps enchaînés au fond d’un navire négrier pris dans une tempête surgissent dans leurs affreuses souffrances physiques et morales, énormes, sur trois écrans qui emportent les visiteurs dans une nausée physique et mentale.
  • 32Il y aurait beaucoup à dire sur le fonctionnement de l’Aegis Trust, mais là n’est pas le lieu. Pour en savoir plus, voir Aegis Trust, « Our Starting Point », disponible sur : https://www.aegistrust.org/what-we-do/our-starting-point/ (tous les liens internet ont été vérifiés en mars 2022). Pour aller plus loin, voir tous les travaux de Rémy Korman, son site, https://rwanda.hypotheses.org et sa thèse à venir : La construction de la mémoire du génocide des Tutsi du Rwanda : Étude des processus de mémorialisation.
  • 33Aegis Trust, « Activities », disponible sur : https://www.aegistrust.org/what-we-do/activities/.
  • 34On trouve cette publicité sur internet à propos du mémorial de Kigali : « Le Mémorial du génocide de Kigali est le lieu de mémoire le plus connu et le plus visité du Rwanda car il est facilement accessible. Les touristes qui atterrissent à l’aéroport international de Kigali trouveront facilement un chauffeur pour les emmener sur le site depuis l’aéroport, ou depuis l’un des nombreux hôtels situés à Kigali et ses alentours [traduction CICR] ». Voir « Kigali Genocide Memorial », Genocide Archive Rwanda, disponible sur : https://visitrwandaltd.com/?-Kigali-Memorial-Center.
  • 35Matthew Bosswell, « Reading Genocide Memorial Sites in Rwanda: Eurocentrism, Sensory Secondary Witnessing and Shame », Mémoires en jeu, op.cit. note 6.
  • 36C’est la même formule que celle utilisée par les conservateurs et historiens du musée de Buchenwald. Voir Fondation des Mémoriaux de Buchenwald et de Mittelbau-Dora, disponible sur : https://www.buchenwald.de/fr/159/.
  • 37Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », Œuvres III, Folio Gallimard, Paris, 2000, p. 378.
  • 38La Radio Télévision Libre des Mille Collines était une radio rwandaise qui, de même que la revue Kangura, joua un rôle déterminant dans le génocide. Pour en savoir plus, voir Russell Smith, « The Impact of Hate Media in Rwanda », BBC News, 3 décembre 2003, disponible sur : http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/3257748.stm.
  • 39Maurice Papon est un ancien haut fonctionnaire français qui fut reconnu coupable de complicité de crimes contre l’humanité (responsabilité dans la déportation de Juifs entre 1942 et 1944). Pour en savoir plus, voir, par exemple : https://www.francetvinfo.fr/culture/les-archives-du-proces-papon-condam….
  • 40Extrait du rapport préliminaire : « Les sites de Nyamata, Murambi, Bisesero et Gisozi sont des biens en série incluant des lieux de mémoire qui constituent des témoignages historiques uniques et exceptionnels de l’histoire de l’humanité. Chaque site représente la valeur de faits mémoriaux qui expriment le caractère unique et exceptionnel de l’histoire du Rwanda et du monde contemporain. » Archives de l’autrice.
  • 41Entretiens informels avec des représentants de l’UNESCO.
  • 42Voir, par exemple, UNESCO, « La directrice générale de l’UNESCO condamne fermement la destruction du Tétrapyle et les dégâts causés au théâtre de Palmyre, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO », 20 janvier 2017, disponible sur : https://fr.unesco.org/news/directrice-generale-unesco-condamne-fermemen…. Dans le cas du Mali, la Cour pénale internationale a reconnu Ahmad Al Faqi Al Mahdi, un touareg malien, coupable de crimes de guerre pour avoir intentionnellement dirigé des atttaques contre des bâtiments à caractère religieux et historiques dans le cadre du conflit armé au Mali. En septembre 2016, il a été condamné à 9 ans de prison.
  • 43Archives de Raphael Lemkin de la New York Public Library. Microfilm 2, 1950.
  • 44Annette Becker, Messagers du désastre: Raphaël Lemkin, Jan Karski et les génocides, Fayard, Paris, 2018.
  • 45Voir Esther Mujawayo et Souad Belhaddad, SurVivantes, Éditions de l’Aube, La Tour-d’Aigues, 2011.
  • 46Jean Hatzfeld, La stratégie des Antilopes, Seuil, Paris, 2007, p. 3.
  • 47Joséphine Kampiré citée par Hélène Dumas, Le génocide au village, le massacre des Tutsi du Rwanda, Seuil, Paris, 2014, pp. 277 et 290. Voir aussi Stéphane Audoin-Rouzeau, Une Initiation, Seuil, Paris, 2017.
  • 48E. Rida Musomandera, op. cit. note 22, p. 72.
  • 49Soazig Aaron, Le non de Klara, Pocket, Paris, 2004, passim.
  • 50« Rwanda’s Ghosts Refuse to Be Buried », BBC News, 8 avril 2009, disponible sur : http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/7981964.stm.

Poursuivre la lecture du #IRRC No. 910

Autres articles sur Revue internationale de la Croix-Rouge, Memory and war, Genocide, Rwanda

Autres articles de Annette Becker