IRRC No. 910

Mémoire et identité culturelles à l’aune des guerres : le rôle des politiques, des lieux et de l’expérientiel

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Abstract
Commémorer les guerres et les conflits révèle l’imbrication complexe entre mémoire et identité. Les nations commémorent les guerres afin de relier l’histoire du passé au présent. Cette relation permet de construire l’histoire commune de la nation, ce qui renforce pour un temps son identité, au-delà de sa géographie et de la diversité de ses citoyens. Dans cet article, les autrices s’intéressent tout particulièrement à la place de l’expérientiel et des lieux dans les politiques de mémoire à l’aune des guerres. Selon elles, en observant attentivement la manière dont la mémoire culturelle est vécue par les individus, nous pouvons mieux comprendre comment elle s’inscrit dans un processus de construction identitaire et, ce faisant, analyser cette construction de l’identité, à travers les discours officiels.

Traduit de l’anglais.

Introduction

Depuis longtemps, la mémoire des guerres sur laquelle se forge une nation va de pair avec l’identité nationale, le patriotisme et la volonté à la fois d’entretenir l’importance du passé dans le présent de la nation, mais aussi d’imprégner le futur des éléments qui caractérisent son identité culturelle et collective1 . La continuité temporelle de la mémoire d’une nation est bien souvent rythmée par le souvenir de guerres et de conflits qui laissent des blessures, des traumatismes et des souffrances, que cette nation ait été vaincue ou victorieuse. Ces blessures se « ressentent » à la fois dans l’architecture d’une nation – ses bâtiments, ses artefacts, et ses paysages urbains2  – et dans sa psyché ou son sens de l’identité, sa capacité à se relever et sa compassion pour ceux qui ont perdu la vie. En cas de subjugation d’un territoire, ces blessures sont particulièrement vives et perdurent souvent très longtemps. Il suffit, pour saisir notre pensée, de songer à l’ampleur de la débaptisation de rues et de villes ou du déboulonnage de statues entrepris par les pays de l’ancien bloc de l’Est après la dislocation de l’Union des Républiques socialistes soviétiques3 . Toutefois, en dépit de cette tendance à vouloir effacer tous les symboles visibles rappelant l’occupation, les blessures de l’âme ne peuvent jamais vraiment disparaître. Comme souligné par Drozdzewski et al., cette mémoire des lieux ainsi que l’identité qui est gravée en eux et dont elles les imprègnent4 semblent toujours bouillonner et prêtes à alimenter d’autres conflits, comme ce fut le cas lors de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Ces exemples montrent bien que la mémoire joue un rôle tant dans la construction identitaire des individus, que dans la construction de l’identité collective d’une nation.

Dans cet article, nous analysons les diverses dimensions du « rôle que joue » la mémoire culturelle dans différents pays. S’inspirant du travail d’Astrid Erll, les autrices considèrent la mémoire culturelle comme englobant les notions de mémoire collective et de mémoire sociale. Ici, l’élément « culturel » permet d’ancrer la mémoire dans les pratiques, les histoires, les mythes, les monuments, les évènements, les rites et d’autres formes de connaissance culturelle qui tissent ensemble le passé et le présent dans un « contexte socioculturel [traduction CICR]5  ». Dans un monde en constante et rapide évolution, où les conflits et leurs conséquences ne montrent aucun signe de fléchissement, il est indispensable d’approfondir davantage encore le lien (nexus) entre mémoire et identité et de s’interroger non seulement sur la manière dont la mémoire est utilisée à des fins politiques, mais aussi sur sa capacité à aller bien au-delà de sa matérialité normative, pour s’exprimer, par exemple, par des monuments, des mémoriaux et des musées.

Il est essentiel de procéder à cette analyse non seulement pour conceptualiser la nation, mais aussi pour en devenir partie intégrante et éprouver, concomitamment, un sentiment d’appartenance. En effet, les nations s’appuient sur la mémoire pour affirmer une identité collective et renforcer l’union nationale. En d’autres termes, si « la mémoire fait de nous ce que nous sommes [traduction CICR]6  », il est nécessaire d’examiner de près, non seulement combien la notion d’identité nationale est souple et élastique, mais aussi comment les identités nationales sont délibérément instrumentalisées. Dans le monde actuel (terrible) où toutes les nations ont tendance à se replier sur elles-mêmes et à rejeter les différences, par crainte aussi que certaines ne dictent à d’autres la manière dont doivent évoluer les identités nationales à l’ère de la mobilité internationale, les études consacrées à la mémoire ne se contentent pas de nous dire qui nous étions dans le passé. Cet article montre que ces études nous disent qui nous pouvons être dans le futur, pourquoi, quels moyens peuvent être mis en œuvre et quelles politiques peuvent être adoptées pour défendre différentes conceptions ou visions de l’identité. De plus, la manière dont sont formulés les appels à l’action qui se fondent sur la mémoire, la manière dont la mémoire est exprimée et représentée ainsi que sa localisation, empirique et conceptuelle, sont autant d’éléments qui façonnent le sens de la mémoire culturelle, qui expliquent son importance et sa finalité.

En géographie, on considère que la mémoire est intimement liée aux lieux et à l’identité, mais aussi au rôle de l’État dans les représentations du souvenir. En observant les politiques de mémoire, il est possible de mieux comprendre non seulement l’influence et l’impact de l’État sur la façon dont les représentations de la mémoire sont vécues, mais aussi sur les (re)productions, la préservation et l’efficience de l’identité. Si l’étude des politiques de mémoire n’est pas nouvelle, le fait que cet article les aborde sous l’angle expérientiel, sensoriel et émergent, fait qu’il se distingue des autres travaux de recherche portant sur les relations (nexus) entre mémoire et identité. En se focalisant sur les lieux de mémoire, les commémorations d’événements et la mémoire au quotidien, les autrices montrent qu’en mettant l’accent sur la manière dont les personnes vivent, comprennent et donnent un sens aux narratifs édictés par l’État, il est possible d’identifier dans quelle mesure ceux-ci risquent d’être remodelés ou instrumentalisés à des fins politiques. En un mot, selon cet article, il est possible, en observant les faits, d’ouvrir de nouvelles perspectives sur la manière dont mémoire et identité sont imbriquées, ce qui permet d’appréhender les conséquences politiques qui en découlent sous un angle nouveau.

Après une partie introductive consacrée aux politiques de mémoire, cet article sera articulé selon un plan thématique en trois parties regroupant divers points de vue fondés sur une approche expérientielle. Premièrement, la localisation de la mémoire sera analysée au travers d’une étude du mémorial national de Pearl Harbor, aux États-Unis. Ensuite, l’article abordera les commémorations d’évènements, par l’étude des cérémonies commémoratives se rapportant à des conflits pour en tirer divers aspects expérientiels qui modèlent le sens que les sociétés donnent à ces évènements. L’avant-dernière partie portera sur la spatialité de la mémoire, en accordant une particulière attention à la mémoire dans le paysage quotidien, laquelle ponctue la vie de tous les jours. Enfin, les dernières parties traiteront des différents moyens par lesquels la mémoire se fond dans nos univers expérientiels, en détaillant la manière dont la mémoire est exprimée, ressentie et vécue.

Les politiques de mémoire

Selon Tosh, les grandes dates qui sont choisies comme symboles d’une nation servent à la fois à asseoir son image et à affirmer une ambition collective7 . Le « choix des dates » vise à établir un lien entre le passé et le présent, en créant une conscience historique commune par laquelle les représentations du passé sont jugées importantes pour le vivre ensemble au présent. Par ailleurs, selon Osbourne, les monuments publics participent souvent à la « construction d’un consensus » devenant ainsi « le foyer d’identification au condensé visuel d’une chronique nationale imaginée rendue par un symbolisme héroïque8  ». Ces foyers d’identification sont de hauts-lieux à partir desquels les identités nationales sont échafaudées ; ils ne font pas seulement partie du paysage urbain et de la vie quotidienne, ils servent aussi à construire une nation. Ewa Nowicka-Rusek et Ayur Zhanaev donnent un exemple éloquent de la forme contemporaine que peut prendre la construction d’une nation en citant la Bouriatie (Sibérie) qui s’inspire énormément du personnage emblématique de Genghis Khan en le représentant sur des monuments publics, dans des films, des séries télévisées et des chansons, en vue de transmettre le sens de la robustesse et d’une tradition culturelle9 .

Ainsi, la mémoire d’une nation repose sur des évènements du passé soigneusement choisis par l’État pour transmettre à la population une certaine version de l’histoire de la nation. Comme ces narratifs de mémoire, pilotés par l’État, ne sont pas reçus de la même manière par tous les individus, l’État utilise un aide-mémoire pour créer, puis invoquer, des narratifs de mémoire fondés sur des évènements marquants pour la nation : par exemple, il choisit la date et le déroulement de la commémoration d’un évènement historique (comme le Jour du Souvenir au Royaume-Uni) ; les noms de personnages célèbres, de lieux ou d’évènements marquants (par exemple, aux États-Unis, de nombreux lieux portent le nom de Martin Luther King), sont attribués aux rues. Le choix de ces symboles revient à ceux qui sont au pouvoir et, comme de telles décisions sont rarement prises facilement, elles s’accompagnent d’une politique de mémoire10 . Selon Rusu, une politique de mémoire suppose de recourir à des stratégies politiques permettant de se réconcilier avec le passé11 . Invoquer la mémoire dans la stratégie nationale permet également de garantir sa préservation : la mémoire lie le passé au présent car, comme l’explique MacDowell, « sans mémoire, on perd la conscience de soi, de son identité, de sa culture et de son patrimoine [traduction CICR]12  ». En outre, comme le soutient Graham Smith, « la continuité résulte d’une construction sociale selon laquelle un groupe ressent un lien relativement cohérent entre son passé et son présent [traduction CICR]13  ». Ce sentiment de continuité, qu’il soit réel ou imaginaire, est un élément-clé des politiques de mémoire.

Il est essentiel de relever que les processus de formation ou de construction des mémoires nationales font appel aux sens. Cette approche rejoint celle d’autres études sur la mémoire qui montrent l’importance des repères sensoriels pour que nos souvenirs restent intacts. Comme l’ont expliqué Drozdzewski et al., « une odeur, une texture familière, une image, un son déjà entendu auparavant, peuvent nous transporter non seulement en d’autres époques, mais aussi dans des lieux différents [traduction CICR]14  ». Au quotidien, la mémoire est donc « un élément très important à prendre en considération pour déterminer ce qui définit une personne, puisqu’il s’agit de l’axe central autour duquel les identités se forment [traduction CICR]15  ». Cette mémoire expérientielle intime est donc un élément non seulement de la manière dont nous nous définissons, mais aussi de là où nous sommes allés et avec qui nous étions. Par des messages sensoriels similaires, les récits de mémoire prônés par les autorités nationales imprègnent l’espace public et le quotidien de chacun pour veiller à ce que l’identité nationale se ressente autant qu’elle se comprend16 . Les bâtiments et les monuments nationaux, la musique, notamment l’hymne national ou les génériques des radio-télévisions publiques, ou encore les saveurs des spécialités culinaires nationales, incarnent cette « idée de nation au quotidien [traduction CICR] », expérientielle et sensorielle17 . Les différends concernant l’inscription des spécialités culinaires sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, prévue par la Convention de l’UNESCO, sont un bon exemple de cette lutte acharnée dans la revendication de l’appartenance nationale, comme en témoigne le litige entre la Turquie et l’Arménie à propos de l’inscription, en 2011, au nom de la Türkiye, du kashkak, un plat à base de viande et de blé concassé, malgré l’opposition de l’Arménie qui revendiquait également être à l’origine de ce plat18 .

Se souvenir sur place

De nombreux paysages mémoriels peuvent être – et sont souvent – considérés comme faisant partie du « patrimoine ». Il s’agit, entre autres, des sites funéraires, des champs de bataille et des mémoriaux commémoratifs des guerres ou d’autres évènements, comme celui qui a été érigé à proximité de Ground Zero à Manhattan, immédiatement après le 11 septembre19 . Si la plupart des paysages mémoriels sont créés pour commémorer ou célébrer un sentiment d’accomplissement, beaucoup sont édifiés pour rendre hommage, se souvenir ou légitimer des décisions politiques, tels que le Vietnam Veterans Memorial à Washington ou l’Australian War Memorial à Canberra. On pourrait dire de ces lieux que ce sont des sites patrimoniaux « discordants » ou « difficiles [traduction CICR] », dès lors que ce sont des lieux qui rappellent des pans sombres ou douloureux de l’histoire et qui font resurgir les politiques du passé dans le présent20 . De nombreux écrits sont consacrés à ces lieux et à leur relation avec la mémoire et l’identité culturelles, en particulier d’un point de vue poststructuraliste21 . Un travail important a été accompli par ces chercheurs, en révélant les rapports de force qui caractérisent toutes les tentatives de représentation du passé et en levant le voile sur leur véritable sens politique ainsi que sur les processus de marginalisation qui y sont associés. De la même manière, ces études ont aussi analysé en détail nombre de situations dans lesquelles des mémoriaux et des sites inscrits au patrimoine mondial ont été utilisés pour appeler à l’insurrection contre la domination, comme dans les luttes après un conflit, pour la reconnaissance et la réconciliation. La frénésie commémorative dans la Mongolie postsoviétique ou la démolition systématique de monuments soviétiques à la suite de l’effondrement du régime communiste dans des pays comme la Géorgie, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, en sont autant d’exemples frappants22 . Dans le même ordre d’idées, on peut également citer d’autres lieux de mémoire officiels, comme les musées nationaux, les mémoriaux et les monuments.

Selon Jay Winter, ces lieux de mémoire, qui se trouvent souvent sur des sites symboliques, sont « des lieux où des personnes se rassemblent pour participer à un acte public par lequel ils expriment une "connaissance commune et partagée" [...] du passé, sur laquelle se fonde le sentiment d’unité et d’individualité d’un groupe [traduction CICR]23  ». En outre, la matérialité de ces lieux de mémoire est un élément clef du processus plus vaste de construction d’une nation24 . Compte tenu de leur impact sur la mémoire collective ou « de ce qui reste du passé dans ce que vivent les personnes [traduction CICR]25  », ces mémoriaux et ces musées sont nécessairement emplis de messages et de significations sociales et intégrés à l’environnement culturel, politique et économique. Ainsi, les souvenirs qu’ils déclenchent sont également modelés et influencés par la langue, les rites et les commémorations et font qu’ils participent à divers processus qui donnent aux évènements du passé un sens au présent.

Des paysages mémoriels comme le Mémorial et Musée d’Auschwitz-Birkenau, le Mémorial de la paix d’Hiroshima et le Mémorial national de Pearl Harbor constituent une catégorie à part de ce patrimoine « discordant » ou « difficile », car ils relatent le traumatisme de la guerre dans des lieux construits sur des vestiges résiduels ou matériels d’un conflit, la mémoire étant littéralement gravée dans les lieux. En ce qu’ils rappellent les souffrances et les destructions, ces lieux sont, selon Curti, « toujours vécus et ressentis à travers tout le corps et suscitent donc toujours un mélange d’émotion, d’affect et de mémoire [traduction CICR]26  ». Ainsi, ils exercent un pouvoir particulier sur l’imaginaire. Leur puissance évocatrice tient aux liens qu’ils peuvent établir entre les espaces où se trouvent les visiteurs et le fait de savoir ce qu’il s’est passé en ces lieux. La façon dont ces sites sont conçus et représentés par l’État joue un rôle significatif dans l’ensemble du processus de commémoration, en soufflant, au moins en partie, quelques possibles réponses lorsque l’on réfléchit aux horreurs des conflits et des guerres.

Toutefois, comme l’affirme Curti, il convient aussi d’explorer d’autres réactions qui sont souvent plus personnelles. Celles-ci ne s’expriment pas immédiatement, mais ces réactions sont profondes, physiques et viscérales lorsque les visiteurs sont plongés dans l’ambiance et qu’ils ont l’impression que le lieu est hanté. Le réalisme de nombreux sites patrimoniaux sert donc de point d’ancrage entre le passé et le présent et permet peut-être, au travers d’événements historiques qui parviennent à avoir un impact profond sur nos émotions et notre compréhension, de transmettre des sentiments d’identité et d’appartenance. De tels mécanismes qu’il est possible de désigner par l’expression « mémoire incarnée [traduction CICR] », renvoient à la « dimension expérientielle de la mémoire [traduction CICR] ». En même temps, en privilégiant l’immédiateté exprimée par la formule « ici et maintenant », il faut être conscient des dangers du présentisme qui peut, si rien n’est fait, minimiser l’importance du passé27 . En effet, comme Bergson l’a affirmé avec tant de force, « il n’y a pas de perception qui ne soit imprégnée de souvenirs. Aux données immédiates et présentes de nos sens nous mêlons mille et mille détails de notre expérience passée28  ».

Le patrimoine de Pearl Harbor

Pour examiner ces mécanismes à l’aune des guerres et de la mémoire culturelle, il suffit d’observer les lieux de mémoire dédiés à l’attaque de Pearl Harbor du 7 décembre 1941. Cet exemple illustre avec force comment certains objets, certaines personnes et certains lieux peuvent devenir « collants » ou saturés d’affect, pour reprendre les termes de Sara Ahmed, ou, en d’autres mots, être lourds de sens car ils sont associés à des évènements importants29 . Cet exemple trouve également un écho important dans les travaux de Trigg relatifs à la mémoire des lieux, dans lesquels il s’intéresse aux différentes manières dont la matérialité ou l’installation d’un monument dans un paysage, interagit avec « la fabrique des mémoires [traduction CICR] » et notre propre positionnement « en relation avec ce passé [traduction CICR]30  ».

Le paysage mémoriel de Pearl Harbor illustre magnifiquement les interactions entre guerre, mémoire culturelle et identité, en le faisant évoluer vers la mémoire nationale. En tant que mémorial composé de plusieurs sites, Pearl Harbor est un lieu de mémoire important pour la société américaine et il est même devenu le point d’orgue d’un pèlerinage laïc de grande envergure, ce qui lui confère un rayonnement géographique remarquable. Classé « site historique national » (National Historic Landmark) et abritant encore une base militaire opérationnelle, le mémorial national de Pearl Harbor se compose du Pearl Harbor Visitor Centre (Centre d’accueil des visiteurs de Pearl Harbor), du mémorial de l’USS Arizona, du musée et parc du sous-marin USS Bowfin, du mémorial de l’USS Missouri (surnommé affectueusement le « Mighty Mo ») et du musée de l’aviation du Pacifique. En outre, le mémorial national de Pearl Harbor comprend un certain nombre de quais d’amarrage qui faisaient partie de l’« Allée des cuirassés » dans le port lui-même, ainsi que six anciens baraquements de premiers maîtres, le mémorial de l’USS Utah et celui de l’USS Oklahoma, tous situés sur Ford Island. Les ouvrages consacrés à Pearl Harbor font explicitement référence aux attaques japonaises qui ont marqué l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale en 1941. Le matin du 7 décembre, peu après 8 heures, 183 avions de chasse et des bombardiers-torpilleurs ont attaqué les 185 navires de l’US Navy qui mouillaient dans le port de Pearl Harbor, parmi lesquels se trouvaient sept cuirassés groupés à proximité de la rive est de Ford Island, dans l’« Allée des cuirassés ». Cinq de ces cuirassés ont coulé et les deux autres furent sévèrement endommagés. L’un d’eux, l’USS Arizona, a coulé en neuf minutes, continuant pourtant de brûler deux jours durant : 1 177 soldats sont morts et 337 ont survécu.

L’idée selon laquelle il pouvait être intéressant de préserver des parties du site pour en faire un espace commémoratif est apparue pour la première fois en 1949, avec la création de la Pacific War Memorial Commission. Elle fut suivie, presque dix ans plus tard, de l’autorisation ratifiée par le Congrès de construire un mémorial dédié à l’USS Arizona31 . Son attrait principal, le mémorial de l’USS Arizona, un bâtiment de 56 mètres de long conçu par l’architecte Alfred Preis qui permet de passer au-dessus de l’épave immergée du navire, a été ouvert au public en 1962, au plus fort de la guerre froide32 .  Initialement exploitée par l’US Navy, cette première construction du mémorial national était conçue pour permettre aux visiteurs d’accéder au mémorial USS Arizona par bateau depuis le littoral. En 1965, la base navale de Pearl Harbor a été classée « site historique national » (National Historic Landmark) et à partir de cette date, le nombre de visiteurs n’a cessé de croître. Lors de l’ouverture du site aux visiteurs en 1980, la Navy a confié la gestion et l’organisation du site au service des parcs nationaux (National Park Service), tout en conservant toutefois la gestion du transport aller/retour vers le mémorial de l’USS Arizona. Peu après, en 1981, le sous-marin USS Bowfin a fait son entrée dans le mémorial pour abriter, à partir de 1987, le parc et musée sous-marins USS Bowfin. À peine une dizaine d’années plus tard, en 1998, l’USS Missouri, qui avait été récemment déclassé et radié du Naval Vessel Register (registre des navires militaires), fut donné au mémorial. En 2006, un dernier site historique fut ajouté au mémorial avec le Pacific Aviation Museum qui comprend deux des hangars d’avions d’origine, ainsi que la tour de contrôle de Ford Island, qui étaient tous trois utilisés en 1941. À Pearl Harbor, les vestiges du passé qui peuvent permettre de se souvenir de ce traumatisme ne manquent pas.

Les autrices se sont intéressées à Pearl Harbor car cet exemple illustre bien le pouvoir des lieux de « rassembler, d’attirer le public, de raviver des souvenirs et de susciter des émotions [traduction CICR] », ou, pour reprendre l’expression de Gaston Gordillo, d’agir comme un « objet brillant [traduction CICR]33  ». En employant cette expression, Gordillo fait référence au pouvoir qu’ont certains objets, certaines personnes ou certains lieux, d’« exercer une attraction, en raison de leur relation avec d’autres sujets [traduction CICR]34  ». Pearl Harbor illustre parfaitement la manière dont un vestige de guerre peut devenir – et devient souvent –, un objet de mémoire, non seulement parce qu’il exerce une forte attraction gravitationnelle et qu’il provoque une forte intensité émotionnelle, mais également parce qu’il sert à préciser le sens d’autres objets ou évènements qui en sont proches35 . Par exemple, la « brillance » de Pearl Harbor aurait pu fléchir ces dernières années s’il n’y avait pas eu le 11 septembre qui a relancé l’intérêt, tant au niveau national qu’international, pour l’histoire et la mémoire de la guerre aux États-Unis. Il est important de relever que ces deux évènements sont les seuls cas où la nation américaine a été attaquée sur son propre sol, de sorte qu’après les attaques du 11 septembre, les lieux où l’attaque de Pearl Harbor s’était produite sont redevenus des symboles majeurs, tant pour les médias que pour la population36 . De la même façon, la sortie, en 2001, de la superproduction hollywoodienne, Pearl Harbor, a pénétré l’imaginaire collectif, faisant naître ainsi dans le public le désir d’aller visiter le mémorial qui lui est consacré, lequel attire aujourd’hui quelque 1,8 million de visiteurs par an.

Outre leur capacité à « attirer » à eux d’autres objets et à leur donner un sens, les lieux de mémoire tels que Pearl Harbor présentent l’avantage de permettre aux visiteurs de voir et de ressentir l’histoire, in situ, ce qui est essentiel au duo guerre/mémoire. Toutefois, ce pouvoir d’attraction ne se résume pas à l’importance de l’« authenticité ». Au contraire, il renvoie à l’influence et à la capacité d’un site de donner l’impression « d’y être », autrement dit, il procure un sentiment d’authenticité. À Pearl Harbor, il est très important d’avoir la possibilité d’entrer dans le sous-marin USS Bowfin, de se tenir au-dessus de l’USS Arizona ou de se pencher par-dessus la rambarde du pont de l’USS Missouri, lieu de la cérémonie de la signature des actes de capitulation du Japon, ces trois exemples procurant à la fois un sentiment d’espace, une impression de confinement, une expérience tactile, une sensation de silence, de claustrophobie et d’impuissance. Il est intéressant de noter que l’USS Bowfin ne mouillait pas à Pearl Harbor au moment des attaques puisqu’il n’a été mis en service qu’un an plus tard exactement. Cependant, la possibilité de monter à bord d’un sous-marin qui était en service pendant la guerre et qui mouille à présent dans le port du mémorial national de Pearl Harbor est, pour beaucoup de visiteurs, une expérience unique. Dès lors, le « concept » d’ « authenticité » agit alors sur le processus de mémoire de façon diffuse et multiple : le sous-marin est bien « réel », mais l’endroit même où il se trouve a nécessairement quelque chose de surfait.

Cette observation nous permet d’élargir notre réflexion pour nous pencher sur notre capacité émotionnelle, autrement dit sur ce qu’un corps peut sentir et exprimer. Il s’agit d’une notion qui se situe quelque part entre l’humain et le non-humain et qui brouille véritablement la frontière entre les deux. Le mémorial national de Pearl Harbor montre bien que le travail de mémoire est lié à l’histoire personnelle des visiteurs et à leurs propres souvenirs, à la diversité de leurs personnalités, de leur statut social, de leur appartenance culturelle et de leurs origines ethniques, mais qu’il est également conditionné par les pratiques discursives dans lesquelles ils évoluent et auxquelles ils adhèrent. Mais cela démontre aussi que ces mécanismes de fabrique de la mémoire ne reposent pas uniquement sur l’humain. Le pouvoir émotionnel du mémorial national de Pearl Harbor privilégie un récit du passé presque exclusivement américain, en s’appuyant sur des discours guerriers et nationalistes. En cela, ce mémorial s’inscrit clairement dans un projet politique plus vaste : c’est un public majoritairement américain qui absorbe ce discours et, comme diverses études l’ont montré, la plupart des visiteurs se sentent obligés de venir à Pearl Harbor et considèrent cette visite comme un moyen d’accomplir, à titre personnel, leur devoir de citoyen37 . En d’autres termes, les visiteurs peuvent se sentir concernés pour diverses raisons et donc, en venant visiter le site, ils apprennent à connaitre la nation et à être en osmose avec elle, sur des aspects qui tournent autour de la reconnaissance des sacrifices et, ce faisant, de l’hommage rendu à l’action de l’armée ou de ses services. Cette opportunité de connaître l’histoire de Pearl Harbor et de s’en souvenir se manifeste notamment au travers d’une apparente contradiction : le caractère inimaginable des attaques, leur violence, les souffrances et l’horreur absolue qu’elles ont engendrées et, dans le même temps, l’idée d’être associé ou de s’identifier à l’expérience subjective qui est générée et galvanisée par la motilité affective et émotionnelle produite par la combinaison du non-humain (le lieu) et de l’humain (sa commémoration).

La relative « brillance » de sites tels que Pearl Harbor tient à leur pouvoir d’en appeler à un sens de l’identité, tant individuelle que nationale et, le plus souvent, à le (ré)affirmer. En outre, le fait « d’être là », sur les lieux, conjugué au sentiment profond de fierté et d’honneur que procure le site, qui renforce particulièrement le pouvoir du lieu à transporter et à émouvoir, ce qui lui confère par la même occasion, le pouvoir de « frapper » les visiteurs et d’interagir avec eux lorsqu’ils déambulent dans le mémorial. Cela est abordé dans la partie suivante qui traite des commémorations.

Évènements commémoratifs

Étant donné que les sites patrimoniaux comme celui de Pearl Harbor jouent un rôle crucial dans la manière dont la relation entre mémoire et identité collective est perçue, il est important que ces lieux soient régulièrement utilisés et animés pour y organiser des événements commémoratifs. Dans cette partie, les autrices analysent la mémoire et l’identité au travers de l’organisation régulière de cérémonies commémoratives, ainsi que par l’approche collective, expérientielle et analytique, que leur étude permet de dégager. Il s’agit de cérémonies planifiées, annuelles le plus souvent, qui réunissent des personnes qui en sont informées à l’avance et qui ont l’habitude d’y participer. Ces cérémonies permettent d’asseoir certains discours en mémoire d’une partie de la population, mais aussi de fidéliser l’adhésion de l’auditoire à ces récits et de faire en sorte que les personnes qui y assistent restent soudées entre elles. En outre, ces cérémonies ont souvent une dimension sensorielle et symbolique toute particulière, qui joue un rôle essentiel sur la manière dont elles sont vécues mais aussi pour transmettre les messages qu’elles portent. Comme relevé précédemment, les lieux de mémoire ou les sites patrimoniaux sont des espaces chargés de symboles qui, souvent aussi, nous invitent ou nous forcent à interagir physiquement avec eux, d’une façon ou d’une autre, par exemple en levant la tête pour regarder des panneaux, observer des statues ou lire une plaque, ou en marchant en silence dans des espaces feutrés qui invitent au recueillement38 . Lorsque ces sites sont utilisés pour une cérémonie commémorative, la musique, les jeux de lumière, artificielle et naturelle, la météo, les rassemblements et la lecture de textes connus, les métamorphosent temporairement en des lieux emplis de symboles et porteurs d’une ambiance particulière qui agit d’une certaine manière sur la mémoire et sur l’identité. Ainsi, dans cette partie, les autrices vont se concentrer sur les cérémonies commémoratives régulièrement organisées, lesquelles supposent que les participants en soient informés en amont et qui permettent aussi à un plus large public de saisir l’importance de ces événements dans l’imaginaire collectif. Ensuite, nous examinerons plus largement, l’apport de ces cérémonies commémoratives à la réflexion, aux échanges et aux discussions sur l’identité d’une population, ainsi que leur caractère profondément collectif.

Wagner-Pacifici parle d’une présentation repensée de l’événement par laquelle la commémoration peut être vue comme un « moment temporairement figé [traduction CICR] » qu’elle entend graver dans la mémoire collective39 . Dans l’exemple qu’elle prend, « une fois passée la phase de confusion, de rupture et de stupeur [traduction CICR] », les attentats terroristes du 11 septembre aux États-Unis ont été immortalisés officiellement, notamment par des mémoriaux, lesquels deviennent ensuite « partie intégrante de l’événement qu’ils incarnent, en le perpétuant et en étant tantôt inertes, tantôt mis à l’honneur [traduction CICR]40  ». Selon elle, ce qui est important dans les relations entre mémoire et identité et dans la manière dont elles sont récupérées et perçues, c’est qu’en nous remémorant des événements, nous devons composer avec leur caractère changeant et instable, à savoir qu’au fil du temps, ils peuvent prendre un tout autre sens et une nouvelle dimension41 . Il s’agit là d’une approche pragmatique car, comme nous le verrons dans la partie qui suit, l’analyse des cérémonies commémoratives exige non seulement d’observer le fait qu’elles soient organisées régulièrement et qu’elles soient accompagnées d’éléments de langage connus, mais aussi de tenir compte d’une part d’imprévu, de leur particularité et des motivations diverses de ceux qui y assistent. En outre, le fait d’être attentif à tous les détails d’une cérémonie commémorative ou de lieux de mémoire aide à comprendre non seulement leur fonction, mais aussi l’ampleur de leur rayonnement et de la fidélité (ou pas) de ceux à qui ils pourraient s’adresser. L’attention portée à ces lieux et à ces événements prend une dimension politique importante lorsque l’on regarde qui est désigné comme « l’autre » dans les discours et quelles peuvent être les conséquences de cette « altérité » au regard, par exemple, de questions de justice sociale, de réconciliation après un conflit, d’intégration multiculturelle ou de transformation politique de l’État. Par exemple, en Australie, ce n’est que récemment que le rôle des Aborigènes dans l’armée a commencé à être reconnu officiellement dans les cérémonies commémoratives militaires, ce qui montre combien le discours peut évoluer, mais également combien cette reconnaissance peut être longue et difficile42 . Aussi, nous allons examiner plus avant quatre caractéristiques des cérémonies commémoratives, ainsi que la manière dont elles s’intègrent dans une politique de mémoire et d’affirmation de l’identité, en mettant l’accent sur l’importance des approches empiriques qui s’attachent à la spécificité des lieux et des événements.

Premièrement, les commémorations qui sont inscrites au calendrier annuel des cérémonies nationales, confortent certains discours, grâce à leur régularité et au rituel immuable de leur déroulement. Par exemple, la cérémonie s’ouvre avec une musique connue, son déroulement est ponctué de sons, comme des tirs ou des mots murmurés, signalant au public qu’il participe à un rituel et le guidant à chaque phase du déroulement de la cérémonie. Ces rituels sont exécutés selon une certaine gestuelle (rassemblement, position debout, salut, main placée sur le cœur) dont le sens reste gravé dans la mémoire corporelle43 . Certaines journées commémoratives peuvent être soit attendues avec impatience, soit redoutées car il se peut que la compréhension de l’événement commémoré ait été altérée par de précédentes cérémonies. Le fait d’anticiper permet, entre autres, de comprendre le déroulement des cérémonies commémoratives et la manière dont elles sont perçues. Par exemple, s’agissant  de l’Anzac Day, la journée nationale du souvenir en Australie et du Dawn Service (ou « cérémonie de l’aube »), « la cérémonie est annoncée publiquement quelques jours avant sa tenue et fait l’objet d’une couverture médiatique de plus en plus intense, tandis que sur le plan individuel, les préparatifs et le fait de participer physiquement à un mouvement collectif vers le site du mémorial, ne se ressentent qu’au dernier moment, immédiatement avant la tenue de la cérémonie [traduction CICR]44  ». La dimension émotionnelle qui a marqué les journées du souvenir des années précédentes, lesquelles ont pu être émouvantes, tristes, ennuyeuses ou pénibles, s’ajoute à la perception d’ensemble et est souvent associée au ressenti des participants sur le discours qui est délivré. Ces rituels qui sont réguliers et qui obéissent à un protocole strict, permettent de réunir les participants dans ces moments de recueillement et leur donnent l’impression d’être en communion avec les personnes qu’ils imaginent avoir accompli ou qui accompliront le même rituel. Ces moments de communion sont indispensables pour construire et préserver les communautés nationales (imaginées45 ).

Toutefois, le caractère si singulier de la temporalité qui est inhérente au caractère répétitif de ces cérémonies, ne se limite pas à leur programmation annuelle et à leur préparation. Ce que l’on observe également, c’est que les cérémonies commémoratives sont davantage tournées vers l’avenir que vers le passé. Elles sont l’occasion, tant pour l’État que pour les participants, de s’adresser à ceux qui y participeront dans le futur et qui vivront à leur tour ce qui est considéré comme important dans le présent. Selon Middleton et Brown, cela revient à concevoir « des futurs imaginaires dans le passé [traduction CICR]46  ». Le besoin de nous projeter dans le futur nous permet de comprendre pourquoi les gouvernements investissent dans des mémoriaux, des musées, des rituels réguliers, l’éducation et bien d’autres formes de représentation de l’histoire de la nation et de son passé afin de renforcer et de préserver une certaine mémoire et certains moyens de s’en souvenir. Lier le passé au présent et faire en sorte que  la population s’approprie ce discours renforce l’adhésion collective aux discours forgeant l’identité nationale, le fameux effet « collant » décrit précédemment. La mémoire officielle est un moyen d’influencer l’avenir, de tenter de légitimer certaines interprétations en les rendant difficiles à oublier et en léguant aux générations qui suivent des vestiges matériels et immatériels afin de façonner leur pensée. La régularité des cérémonies commémoratives, ainsi que les éléments matériels et sensoriels qui les ponctuent, font partie de ce processus mémoriel organisé.

Deuxièmement, les cérémonies commémoratives se caractérisent par le fait qu’elles donnent au public l’opportunité de réfléchir à la notion d’identité collective. À cette fin, elles bénéficient en général d’une large couverture médiatique. Ce sont des moments où des discours mémoriels choisis servent, sans aucun doute, à consolider l’identité nationale, mais ils peuvent aussi être l’occasion de remises en question, de contestations ou d’évolutions. Par exemple, le journaliste Paul Daley a saisi l’occasion d’un article sur l’Anzac Day de 2016 pour mettre en avant ce qui n’était pas commémoré lors du « carnaval de commémoration [traduction CICR]47  ». Daley a mis l’accent sur bien des aspects du conflit qui étaient passés sous silence, comme des combattants ou d’autres personnes qui sont morts ou dont le visage a été défiguré, ou encore les sommes colossales consacrées à la consolidation du discours mémoriel. Daley et d’autres ont notamment pointé du doigt les politiques de mémoire dans les discours délivrés lors de l’ANZAC et la manière dont ils occultent la reconnaissance par la nation des guerres frontalières et des violences commises contre les aborigènes qui étaient et sont encore au cœur du projet colonial de l’Australie. Par exemple, selon l’historien Mark McKenna, l’Anzac Day est une manière de contourner le débat politique, ce qui soulage la mauvaise conscience de l’opinion publique et détourne son attention de la question, toujours d’actualité et non encore résolue, de la dépossession des peuples aborigènes de leurs terres48 . De la même façon, Drozdzewski et Waterton se sont demandé si et dans quelle mesure, le récit de l’ANZAC était suffisamment souple pour englober la population australienne dans toute sa diversité49 . Pour autant, elles ont également souligné que le discours s’éloignait rarement de celui accepté par le public et que tout écart était considéré comme diffamant. Aussi, les cérémonies commémoratives régulièrement organisées lors de la journée de l’ANZAC permettent d’entretenir les controverses récurrentes et, en Australie, façonnent l’adhésion de l’opinion publique au discours historique.

Un troisième aspect est relatif à la manière dont les commémorations parviennent à réunir des gens et les invitent à participer ensemble à une cérémonie. Ce recueillement collectif se manifeste de deux façons différentes. D’abord par le fait de savoir que beaucoup d’autres personnes commémorent le même événement. Par exemple, en Australie, l’Anzac Day a lieu chaque année le 25 avril, tandis que les célébrations de la cérémonie de l’aube ont lieu dans toute l’Australie et ailleurs dans le monde. Le rassemblement des citoyens est largement relayé par les médias et retransmis sur les chaînes d’information publiques australiennes (télévision et radio) en continu (Australian Broadcasting Corporation Network), à commencer par la cérémonie de l’aube organisée au niveau local, reportage qui est suivi de la cérémonie nationale officielle au Mémorial australien de la guerre, dans la capitale, à Canberra. L’effervescence médiatique se poursuit toute la journée, dès le lever du soleil sur les lieux de mémoire australiens à Gallipoli (Turquie) et à Villers-Bretonneux (France), ainsi que dans plusieurs villes d’Asie du Sud-Est. Du fait de la vaste portée géographique de cette médiatisation, les cérémonies de l’ANZAC sont retransmises à la télévision de 5 h 30 du matin à environ 15 heures, ce qui contribue à donner une impression de communion qui se manifeste par une participation massive aux cérémonies et/ou par le grand nombre de téléspectateurs qui suivent ces évènements.

Un dernier aspect du caractère collectif de ces commémorations qui mérite d’être mentionné ici, tient aux cérémonies elles-mêmes. Le fait de se rassembler aux premières lueurs de l’aube, de se tenir debout au milieu d’une foule qui peut atteindre des dizaines de milliers de personnes attendant le début de la cérémonie, de murmurer tous ensemble les mêmes mots ou d’entonner les mêmes chants, représente pour la plupart des participants, une expérience très forte50 . Dans ces instants où des gens, à travers tout le pays, partagent le même moment, la communauté nationale imaginée est immédiatement perceptible et viscérale et cela est encore conforté par sa dimension collective. Ces scènes de communion sont diffusées par les médias nationaux. Cependant, dans ces moments-là, la proximité physique des autres peut diminuer ou brouiller l’impact rhétorique de l’événement, par exemple lorsque des parapluies empêchent de voir ce qu’il se passe, ou lorsque le bruissement des manteaux ou les chuchotements de certains empêchent d’entendre les discours. L’idée ici est de dire que comme les commémorations organisées par l’État sont souvent des cérémonies publiques, l’occasion d’être au milieu d’un groupe doit favoriser la compréhension du conflit comme du traumatisme et montre combien les cérémonies comptent pour les personnes et influencent certains aspects de la perception.

Les discours prononcés lors de ces cérémonies commémoratives, qui renvoient de façon un peu confuse à un sentiment de fierté ou de tristesse, rendent hommage à des personnes qui en viennent à représenter l’ensemble de la population ou qui sont cités en exemple pour ce que l’on nomme les mérites nationaux. Pour autant, tout cela fait que les cérémonies sont toujours empreintes d’une dimension matérielle, sensorielle et discursive. Les cérémonies commémoratives estompent la mémoire et les discours promus par l’État par l’atmosphère particulière qui s’en dégage. Mitchell remarque que les politiques de mémoire et l’identité peuvent jouer un rôle à cet égard lorsqu’elle souligne :

La répétition des différents événements et rituels commémoratifs [...] est cruciale pour estomper les différences entre les interprétations que chacun peut avoir du passé ; elle permet d’imposer une représentation collective uniformisée et hautement idéalisée. Cette représentation forme ensuite un cadre social général à l’intérieur duquel se forgent les souvenirs à venir et, au fil du temps, les mémoires individuelles tendent à se conformer et à correspondre à ce cadre51 .

Lorsque l’assistance se laisse envahir par l’atmosphère sensorielle et corporelle des lieux de mémoire et des cérémonies commémoratives, certaines personnes peuvent les ressentir à l’aune de leur propre vécu, ce qui peut permettre à chacun de les repenser. Ainsi, cette approche « permet de voir en quoi le représentationnel et le post-représentationnel sont des éléments importants dans le sentiment d’appartenance à la nation, lequel s’exprime à travers les interactions entre les individus et leurs environnements bâtis52  ». Par exemple, tandis que l’Anzac Day pourrait être vu sous l’angle du discours historique bien particulier qui l’accompagne, il peut faire froid et il peut être inconfortable et fatiguant d’assister en personne à une cérémonie. Comme plusieurs de ces commémorations l’ont montré, il se peut qu’il y ait des moments de recueillement et d’adhésion à la mémoire collective, mais les participants peuvent aussi avoir froid aux pieds, les yeux fatigués et mal au dos car ils se sont levés de très bon matin et qu’ils attendent debout depuis plus d’une heure avant le lever du soleil sous un ciel d’automne53 . Aussi, le lien entre mémoire et identité peut ne pas être aussi figé et monolithique que l’État voudrait parfois nous le faire croire ; il est également subordonné et étroitement lié à l’état physique, émotionnel et individuel des personnes par lesquelles il est censé agir. Cette implication devient encore plus manifeste si l’on dépasse l’analyse des commémorations officielles organisées par l’État pour s’intéresser aux lieux de mémoire du quotidien.

La mémoire au quotidien

Dans leur analyse attentive des relations entre mémoire et identité, les autrices se sont jusqu’à présent focalisées sur les cérémonies commémoratives et les lieux de mémoire officiels. Dans les deux cas, la spatialité de la mémoire, ou la « prise de conscience » (« a-where-ness ») de la mémoire est capitale54 . Les lieux de mémoire, leur emplacement qui associe la mémoire à un territoire et/ou les lieux mnémoniques et symboliques créés par l’organisation et la tenue de cérémonies commémoratives, reposent sur l’association de la mémoire à des espaces géographiques précis55 . La désignation officielle de ces lieux de mémoire et les commémorations qui y sont régulièrement organisées confèrent à ces lieux une importance pour la nation, qu’il s’agisse de monuments, de mémoriaux ou de plaques commémoratives56 . Le plus souvent, ces lieux font l’objet d’une désignation par l’État pour être le lieu de grandes commémorations régulières, attestant de l’importance de ce qu’il faut se souvenir du passé de la nation mais aussi de là où il faut s’en souvenir. Dans cette dernière partie, les autrices analysent maintenant la mémoire au quotidien, autrement dit dans les lieux, les paysages et nos espaces de vie de tous les jours. Il peut s’agir de rues, de zones commerciales, de parcs, de squares publics et de terrains de jeu. Ce sont les lieux où nous travaillons, où nous vivons et où nous nous divertissons ; nous allons de l’un à l’autre, nous les traversons, parfois rapidement lorsque nous sommes happés par notre routine quotidienne. Ce sont aussi des lieux et des espaces qui nous sont familiers ; nous pouvons nous y repérer (presque) sans réfléchir, car nous nous appuyons sur la mémoire que nous en avons. La mémoire habite ces espaces et ces lieux, sans que, bien souvent, nous ne réalisions l’étendue de nos connaissances vernaculaires. Comme nos déplacements et nos pensées, dans ces espaces et ces lieux, ne sont pas guidés par le souci de se souvenir ou de se remémorer le passé, mais par les exigences et la routine de nos tâches quotidiennes, il peut, en apparence, ne pas être nécessaire de définir une politique de mémoire. Pourtant, les rues, les parcs et les espaces publics que nous empruntons chaque jour incarnent la mémoire de la nation57 .

Étudier aussi le quotidien en tant que moment où la mémoire et l’identité se rejoignent en symbiose dans une relation complexe, revient à s’intéresser aux petits gestes commémoratifs. Parmi ceux-ci, on peut citer, bien que la liste ne soit pas exhaustive, les noms de rue, les plaques apposées sur des immeubles ou sur le trottoir, des vestiges d’une guerre ou d’un conflit, comme des impacts de balles ou d’éclats d’obus, ainsi que des cierges et des fleurs. Ainsi, notre analyse sous le prisme du quotidien s’imprègne non seulement de la nature de ces espaces, mais aussi du type de commémoration et de souvenirs que ces espaces diffusent de manière implicite. En effet, la représentation du passé de la nation joue un rôle dans la vie de tous les jours, un aspect mis en exergue avec force par les violences qui ont éclaté en réaction au projet de déboulonnage de la statue équestre du général américain confédéré Robert Lee à Charlottesville, en Virginie58 . En d’autres termes, la mémoire s’invite dans notre quotidien ; elle perdure et suscite une adhésion. Les politiques d’identité soulèvent d’autres questions comme celle relative au possible dessein hégémonique que cette mémoire dans les lieux et espaces quotidiens peut servir et celle de savoir si la contestation y est ou non possible. Au-delà de ces affronts, il est « nécessaire » que certains lieux de mémoire soient vus et/ou dûment commémorés pour préserver leur impact. Par exemple, Jay Winter, dans son étude sur les lieux de mémoire relatifs aux guerres, a souligné que ces actes et manifestations sont « cruciaux [traduction CICR] » tant pour entretenir la force et la signification de ces lieux, que pour les exposer et les préserver59 . De la même manière, selon James Young, sans un processus de socialisation, « simples pierres dans le paysage, les monuments n’ont pas une grande valeur en eux-mêmes60  ». Par exemple, on peut se demander si le fait de passer chaque jour devant un mémorial peut être considéré en soi comme un moment de recueillement, en particulier lorsque l’on a conscience de sa présence, mais qu’on ne s’arrête pas pour le regarder.

Par exemple, en observant la mémorialisation à petite échelle dans le paysage urbain quotidien de Varsovie et de Berlin, il a été découvert que les habitants de ces villes ne s’arrêtaient pas forcément devant les mémoriaux, mais qu’il y avait « une prise de conscience » (« a-where-ness ») de leur présence et de ce qui était commémoré ici61 . En affirmant que « la mémoire est toujours "à disposition", mais qu’elle n’est "accessible" que lorsqu’elle provoque une émotion sensorielle [traduction CICR] », Muzaini laisse entendre que le recueillement peut s’exprimer de diverses façons, qu’il peut se faire dans le silence, qu’il peut être intérieur et émotionnel62 . En outre, il soutient que « les actes [de mémoire] au quotidien se situent souvent à la croisée de plusieurs subjectivités, d’émotions multiples et de diverses temporalités [traduction CICR]63  ». De la même manière, dans son analyse des moyens par lesquels la mémoire des guerres s’entrecroise avec l’identité des jeunes habitants des îles Falkland, Benwell a expliqué que le croisement de divers supports de mémoire (paysages d’après-guerre, programmes scolaires, dialogues avec les adultes et cérémonies commémoratives officielles) contribue à la transmission de l’identité nationale64 . À Victoria Dock, une zone résidentielle située à Hull au Royaume-Uni, Atkinson a également montré qu’en mettant l’accent sur des marqueurs quotidiens de la mémoire, par exemple en donnant aux rues des noms évoquant la mer, en posant des ancres de bateau et en pavant les sols de mosaïques, il était possible de « repenser la mémoire dans une approche moins étroite et en perpétuel renouvellement [traduction CICR]65  ». Dans l’ensemble, tous ces auteurs montrent que la participation et l’expérience ont leur importance dans la manière dont nous interagissons et continuons d’interagir avec les espaces et les lieux du quotidien.

En considérant la mémoire au-delà de la représentation, ces études proposent une autre perspective qui est précisément celle que nous, ainsi que d’autres auteurs, défendons dans notre approche axée sur l’expérientiel66 . Atkinson a conceptualisé cette tendance à aller au-delà de la représentation comme un pas vers une « topologie des mémoires… [qui est] continuellement repensée par l’apparition de nouveaux pans de la mémoire [traduction CICR]67  ». Réfléchir à la (re)production et la transmission de la mémoire sous le prisme du quotidien se départit d’une ligne plus orthodoxe qui consiste à associer la mémoire à des dates et à des événements spécifiques caractérisés par certains actes commémoratifs. De son côté, la pratique de la commémoration et du souvenir dans le paysage urbain du quotidien peut être à la fois discrète, controversée, variée et prendre de multiples formes. Par exemple, s’agissant des plaques commémoratives de Tchorek (apposées sur les murs d’un certain nombre de bâtiments à Varsovie) qui rendent hommage aux victimes polonaises des crimes commis par les nazis à Varsovie pendant la Seconde Guerre mondiale, l’un des participants à l’étude a fait remarquer que les plaques commémoratives de Tchorek « sont plus liées à la réalité quotidienne ou à la vie de tous les jours. Il ne s’agit pas d’un lieu où l’on se rend pour visiter un monument, mais nous passons devant elles tous les jours, c’est un sentiment légèrement différent [traduction CICR]68 ».

La principale idée ici est qu’une absence apparente d’actes commémoratifs ne veut pas nécessairement dire – et ne devrait pas vouloir dire - que la mémoire est sous-estimée ou oubliée, dès lors que le souvenir peut se manifester sous différentes formes selon les lieux. Ainsi, si la mémoire des guerres dans le paysage quotidien peut être vécue, (re)produite et entretenue avec ou sans rituel collectif organisé, quel peut alors être l’impact de politiques de mémoire et d’identité ? Les marqueurs du passé d’une nation qui sont soigneusement choisis pour le représenter dans le paysage urbain quotidien, peuvent être « ostensiblement visibles, franchement banals et apparemment évidents [traduction CICR]69  ». Dans leur récent ouvrage The Political Life of Urban Streetscapes, Reuben Rose-Redwood et al. relèvent qu’« en tant que lieu du quotidien et de rencontres fugaces, la “rue” peut aussi devenir un lieu de mémoire [traduction CICR]70  ». Il suffit de penser, par exemple, aux nombreuses rues portant le nom de Garibaldi en Italie, d’Aleja Armii Krajowski en Pologne, ou d’anciens soldats de l’ANZAC en Australie. Ce n’est pas un hasard si ces rues portent le nom de batailles célèbres, d’armées ou de héros des guerres. D’ailleurs, le fait que les rues auxquelles ces noms sont attribués, se trouvent en centre-ville ou en zone périurbaine et qu’il s’agit souvent de larges artères urbaines, témoigne ouvertement de la mise en place d’une politique de mémoire.

À Cracovie, en Pologne, lors du changement de nom des rues après la guerre, la plupart des rues de la ville qui portaient le nom allemand qui leur avait été attribué pendant la guerre, ont été débaptisées pour reprendre leur nom polonais d’avant-guerre. Cependant, le régime soviétique qui venait d’être mis en place a décidé de rebaptiser sept rues situées dans la vieille ville de Cracovie et sa périphérie71 . Il s’agissait, par cette décision, d’évoquer l’échec du fascisme et l’asservissement des Polonais aux Allemands, mais le choix de ces rues, dans la vieille ville, montre que ce n’est pas seulement le nom qui est important, mais aussi le lieu choisi. Ainsi, une grande portion de la rocade entourant la vieille ville, qui est longée par des voies pour les tramways et les bus, a été rebaptisée rue ou avenue du Premier mai-fête du travail (Świeto Pierwszego Maja), une date importante dans le calendrier soviétique instituée pour renforcer l’histoire et l’identité communes des travailleurs dans les territoires sous contrôle des socialistes soviétiques. Cet exemple montre combien « les processus décisionnels et le vaste réaménagement de la géographie politique et de la sémiotique urbaine [traduction CICR] » jouent vraisemblablement un rôle dans l’exposition de certains noms de rue selon leur emplacement géographique72 . Lorsque les habitants d’une ville pensent à l’itinéraire qu’ils vont emprunter quotidiennement, ils se rappellent le nom de cette rue, comprennent son importance dans l’histoire de la nation et le répètent (oralement ou mentalement). Cette répétition s’inscrit dans un processus de dénomination comme de normalisation, qu’Azaryahu décrit comme la « capacité [de baptiser des rues] pour qu’une version de l’histoire devienne un élément inséparable de la réalité telle qu’elle se construit, se vit et se perçoit chaque jour [traduction CICR]73  ». La stratégie peut consister à choisir de donner certains noms à des rues en fonction de leur localisation car cela peut augmenter la fréquence à laquelle ces noms sont répétés, ce qui fait qu’au-delà de l’aspect discursif et structurel du paysage urbain du quotidien (à savoir la décision d’attribuer des noms à des espaces publics), il faut également s’intéresser au pouvoir performatif et de (re)production du quotidien qui, de manière implicite, sert à asseoir, certains objectifs politiques et à susciter une forte adhésion autour d’une certaine version de l’histoire de la nation.

Pour autant, l’emplacement stratégique d’une rue à laquelle on donne tel ou tel nom ne garantit pas nécessairement que le fait de répéter fréquemment ce nom aura l’effet recherché. L’approche expérientielle tient pour partie au regard que vont porter les personnes qui se trouvent dans ces espaces sur la volonté de graver la mémoire dans le paysage urbain et peut-être à leur désapprobation74 . Pour illustrer l’opposition à l’attribution de noms à des rues, on cite souvent l’étude menée par Meyer sur Zanzibar, dans laquelle il souligne qu’« à l’époque du colonialisme, de nombreux surnoms sardoniques que l’on avait attribué à des lieux étaient devenus officiels [traduction CICR] », car très peu d’officiels coloniaux parlaient le swahili75 . Il souligne que les noms doivent être prononcés à haute voix et entendus pour que leur signification culturelle soit pleinement comprise76 . Cet élément expérientiel que l’on ne peut pas percevoir en lisant une carte ou en consultant les archives, permet, à l’oreille, de déceler le ton moqueur et le dédain. Kearns et Berg étudient également comment la manière de prononcer des noms de lieux maoris en Nouvelle-Zélande s’apparente à une forme de résistance. Ils affirment que « la prononciation peut être une forme de résistance [traduction CICR] » parce que « la façon de parler est presque toujours un acte éminemment social [traduction CICR]77  ». Dès lors, le fait de répéter oralement des noms de lieux maoris, lesquels peuvent « se prononcer de diverses manières politiquement correctes [traduction CICR] », peut avoir pour autre effet de conforter la politique identitaire maorie en Nouvelle-Zélande. Les recherches menées par Duminy à Durban offrent un autre exemple d’opposition à la rebaptisation de certaines rues après l’asservissement colonial. S’interrogeant sur le concept de résistance symbolique, Duminy indique en substance que l’opposition au changement de noms de rues à Durban, laquelle se manifeste par exemple par le retrait des nouvelles plaques de rues, par le fait de continuer à utiliser les anciens noms des rues ou par la production d’un discours médiatique sur les lieux choisis pour ces nouveaux noms, a été peu vive, montrant ainsi l’acceptation du droit de l’État à rebaptiser des rues78 .

À ce stade de l’analyse, il est utile de réfléchir à l’acceptation du droit de l’État à poser des marqueurs de l’histoire de la nation dans l’espace public. Contrairement aux mémoriaux et aux cérémonies commémoratives qui, bien évidemment, mettent en avant un fil narratif particulier, le cadre quotidien a ce pouvoir, en créant un lien entre l’identité nationale et la mémoire culturelle, que les noms de parcs, de rues et de lieux d’un quartier ne soient pas vus comme des espaces et des lieux qui sont utilisés à des fins politiques. Par exemple, dans les deux premières villes australiennes, Sydney et Melbourne, où vivent les autrices, de nombreux noms de rues et de lieux rendent hommage à l’histoire coloniale. Que ce soit Elizabeth, William, George ou Victoria, ce sont tous des toponymes connus, marqueurs de la colonisation. Pour la plupart, ces appellations n’ont pas été remises en question car, dans une large mesure, il apparaît qu’elles ne sont pas équivoques. De la même manière, on trouve fréquemment des statues de James Cook, Lachlan Macquarie et Arthur Philip ; pourtant, des voix commencent à s’élever parmi les Australiens non-indigènes sur la responsabilité de ces hommes dans l’extermination de la population aborigène qui a suivi l’arrivée des Européens en Australie79 . Ces voix ont encore peu d’écho dans un environnement politique où les débats autour du républicanisme n’ont pas réussi à se traduire dans les urnes et où la plus grande commémoration d’une guerre, narre encore la naissance héroïque d’une nation sur le champ de bataille étranger de Gallipoli, tout en passant sous silence la décision tactique des Britanniques d’envoyer les troupes de l’ANZAC sur un front qui les condamnait à une mort certaine. En réalité, l’Australie s’était dotée d’un régime démocratique treize ans avant cette bataille, avec l’instauration de la Fédération.

Le marquage de l’espace public, conjugué au martèlement d’une ligne politique dominante dans le discours quotidien, permet aux élites politiques de s’adresser à la population dans des espaces et des lieux en apparence banals et ordinaires. Dans cet univers qui reste par ailleurs dominé par une acceptation instinctive ou passive de la norme qui est instituée, il semblerait que les voix discordantes soient très minoritaires.

Conclusion

Les choix que fait une nation des représentations de son passé, tels qu’ils sont affichés publiquement, sont pesés et ces événements sont commémorés en fonction de l’environnement sociétal dans lequel nous vivons maintenant, mais également selon l’histoire des sociétés. Selon Halbwachs, la mémoire est un processus fondamentalement social : non seulement nous nous rappelons un événement, un lieu ou une personne, mais nous replaçons aussi ce souvenir dans une époque, avec des personnes ou des lieux80 . Plus important encore, lorsque nous nous souvenons, nous y pensons en nous référant à notre position dans le présent et l’instant présent a ce pouvoir d’influencer ce que nous revivons ainsi que la pertinence et/ou l’importance d’un souvenir particulier. S’agissant des politiques de mémoire, la représentation des récits nationaux par des mémoriaux et des monuments ne devrait pas être envisagée comme une simple « toile de fond matérielle [traduction CICR]81  » à partir de laquelle une histoire est racontée ; les représentations publiques de la mémoire devraient plutôt être vues comme faisant partie intégrante de l’histoire de la mémoire d’une nation, des commémorations et de la construction de son identité. En plus de ses aspects sociaux et temporels particuliers, « l’activité commémorative est inévitablement politique [traduction CICR]82  », ce qui signifie qu’elle s’adresse toujours à certaines personnes tout en en excluant d’autres et qu’elle a toujours été un puissant moyen pour définir « l’autre », en des termes nationaux.

Dans cet article, les autrices ont cherché à placer leur analyse à l’intersection entre les discours et les objets matériels et discursifs d’une mémoire partagée et les individus qui sont les acteurs de la mémoire. Ainsi, lorsque la mémoire promue par l’État, en vient à « jouer un rôle », il convient de prêter une attention particulière à l’expérientiel. Cette approche qui est celle défendue par les autrices, porte ses fruits précisément parce qu’elle nous permet de dépasser les dimensions représentatives et discursives toutes tracées de la mémoire des guerres, ou sa « toile de fond matérielle », pour s’intéresser à la manière dont la société la perçoit et lui donne un sens dans divers environnements. Il s’agit là d’un aspect qui est souvent ignoré dans la foule de rapports qui portent sur les aspects structurels ou discursifs, même si, comme le souligne Marshall, « nous utilisons nos sens pour établir des liens avec notre environnement et pour s’approprier l’esprit des lieux [...]. En ce qu’il fait appel à nos sens, le souvenir fait partie de ces états incarnés [traduction CICR]83  ».

Toutefois, cela ne signifie pas que les outils officiels de mémoire tels que les monuments, les musées, les journées du souvenir et les cérémonies commémoratives devraient être écartés, car ce sont des points de repère puissants qui alimentent souvent les discours relatifs aux conflits et à la nation largement répandus. Lorsqu’on s’intéresse à ce qui relève de l’individuel et de l’expérientiel dans les lieux et les événements officiels, ainsi que dans l’environnement quotidien le plus banal, il est nécessaire de montrer que ces discours sont en réalité intériorisés de manière complexe, d’une façon qui, quelque part, n’est pas déconnectée des autres aspects de notre vie. Autrement dit, la mémoire fait partie intégrante de la manière dont nous nous comprenons et dont nous appréhendons le monde et cela comporte des aspects qui peuvent se recouper avec les intérêts de l’État. Il en résulte que pour bien saisir l’influence que la mémoire nationale et collective des guerres pourrait exercer sur la cohésion sociale et culturelle de la population, il faut la considérer comme entremêlée avec notre vie sensorielle, expérientielle, idiosyncrasique et quotidienne. Cela pourrait permettre de mieux comprendre comment naît un sentiment d’appartenance à la nation, ce sentiment de faire partie d’un tout, mais également de mieux comprendre comment il pourrait être possible de faire évoluer les compréhensions actuelles ou convenues ou d’y résister. Dans leur article, les autrices ont essayé de définir la nation dans la manière dont les sociétés la ressentent et se retrouvent en elle84 mais aussi de montrer combien cela va bien au-delà des discours véhiculés par les canaux officiels. Cela peut nous permettre de repenser « le rôle que joue » la mémoire lorsqu’il est question d’appartenance nationale et de voir là où les politiques de mémoire pourraient être ébranlées, contestées ou transformées pour devenir plus inclusives et plus justes.

  • 1 [1]© Les autrices 2019. Il s’agit d’un article en libre accès, diffusé conformément aux clauses de la Creative Commons Attribution licence (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), laquelle autorise la libre réutilisation, reproduction et redistribution sur quelque support que ce soit, sous réserve que les références originales soient correctement citées.  [1]     Ernest Renan, « Qu’est-ce qu’une Nation ? » (texte de sa conférence publié pour la première fois en 1882), in Ernest Renan, Discours et Conférences (1887), broché, 2010, Paris ; Danielle Drozdzewski, Sarah De Nardi et Emma Waterton, « Geographies of Memory, Place and Identity: Intersections in Remembering War and Conflict », Geography Compass, vol. 10, no 11, 2016 ; Patrick Finney, « On Memory, Identity and War », Rethinking History, vol. 6, no 1, 2001.
  • 2Robert Bevan, The Destruction of Memory: Architecture at War, Wiltshire, Reaktion Books, Londres, 2006.
  • 3Maoz Azaryahu, « German Reunification and the Politics of Street Names: The Case of East Berlin », Political Geography, vol. 16, no 6, 1997.
  • 4Danielle Drozdzewski, Sarah De Nardi et Emma Waterton, « The Significance of Memory in the Present », in Danielle Drozdzewski, Sarah De Nardi et Emma Waterton (dir.), Memory, Place and Identity: Commemoration and Remembrance of War and Conflict », Routledge, Abingdon, 2016, p. 3.
  • 5Astrid Erll, « Cultural Memory Studies: An Introduction », in Astrid Erll et Angsar Nunning (dir.), Cultural Memory Studies: An International and Interdisciplinary Handbook, Berlin, DeGruyter, 2010, pp. 1-2 ; voir également Ann Rigney, « Cultural Memory Studies: Mediation, Narrative and the Aesthetic », in Anna Lisa Tota et Trever Hagen (dir.), Routledge International Handbook of Memory Studies, Routledge, Abingdon, 2015 ; Lucy Bond, Stef Craps et Pieter Vermeulen (dir.), Memory Unbound: Tracing the Dynamics of Memory Studies, Berghahn Books, New York, 2017.
  • 6Owain Jones, « Geography, Memory and Non-Representational Geographies », Geography Compass, vol. 5, no 12, 2011, p. 875.
  • 7John Tosh, In Pursuit of History, Londres, Longman Press, 1991, p. 2.
  • 8Brian S. Osborne, Paysages, mémoire, monuments et commémoration. L’identité à sa place », Déclaration de principe commandée par le ministère du Patrimoine canadien pour le séminaire d‘identité et de diversité ethnoculturelles, raciales, religieuses et linguistiques, Halifax (Nouvelle-Écosse), 1-2 novembre 2001, p. 16, disponible sur : https://www.yumpu.com/fr/document/read/16650882/paysages-memoire-monume… (toutes les références Internet ont été vérifiées en mars 2023).
  • 9Ewa Nowicka-Rusek et Ayur Zhanaev, « The Image of Genghis Khan in Contemporary Buryat Nation Building », Polish Sociological Review, no 187, 2014.
  • 10D. Drozdzewski, S. De Nardi et E. Waterton, op. cit. note 1 ; Andreas Huyssen, Present Pasts: Urban Palimpsests and the Politics of Memory, Stanford University Press, Stanford, Californie, 2003 ; Katharyne Mitchell, « Monuments, Memorials and the Politics of Memory », Urban Geography, vol. 24, n° 5, 2003 ; Berber Bevernage et Nico Wouters (dir.), The Palgrave Handbook of State-Sponsored History After 1945, Palgrave Macmillan, Londres, 2018.
  • 11Mihai Stelian Rusu, « Transitional Politics of Memory: Political Strategies of Managing the Past in Post-Communist Romania », Europe-Asia Studies, vol. 69, no 8, 2017.
  • 12Sara McDowell, Heritage, Memory and Identity: The Ashgate Research Companion to Heritage and Identity, Ashgate, Aldershot, 2016, p. 42.
  • 13Graham Smith, « Nation » in Ron J. Johnston, Derek Gregory, Geraldine Pratt et Michael Watts (dir.) Dictionary of Human Geography (quatrième édition), Blackwell, 2000, Oxford, p. 532.
  • 14D. Drozdzewski, S. De Nardi et E. Waterton, op. cit. note 4, p. 1.
  • 15Barbara Misztal, Theories of Social Remembering, Open University Press, Maidenhead, 2003, p. 1.
  • 16Michael Billig, Le nationalisme banal, traduit par Camille Hamidi et Christine Hamidi, édition coordonnée et présentée par Sophie Duchesne, PUL (presses universitaires de Louvain), 2019.
  • 17Michael Skey et Marco Antonsich (dir.) Everyday Nationhood: Theorising Culture, Identity and Belonging after Banal Nationalism, Palgrave Macmillan, Basingstoke, 2017.
  • 18Bahar Aykan, « The Politics of Intangible Heritage and Food Fights in Western Asia », International Journal of Heritage Studies, vol. 22, no 10, 2016.
  • 19Joy Sather-Wagstaff, Heritage that Hurts: Tourists in the Memoryscape of September 9/11, Left Coast Press, Walnut Creek, Californie, 2011.
  • 20Gregory Ashworth et John Tunbridge, Dissonant Heritage: The Management of the Past as a Resource in Conflict, John Wiley & Sons, Malden, Massachusetts, 1996 ; Steven Cooke et Donna-Lee Frieze, « Affect and Politics of Testimony in Holocaust Museums », in Divya Tolia-Kelly, Emma Waterton et Steve Watson (dir.), Heritage, Affect and Emotion: Politics, Practices and Infrastructures, Routledge, Abingdon, 2017.
  • 21Emma Waterton et Steve Watson, The Semiotics of Heritage Tourism, Channel View Publications, Bristol, 2014. Voir également S. Cooke et D-L. Frieze, op. cit. note 20 ; Joy Sather-Wagstaff, « Making Polysense of the World », in D. Tolia-Kelly, E. Waterton et S. Watson (dir.), op. cit. note 20 ; Mattias Frihammer et Helaine Silverman (dir.) Heritage of Death: Landscapes of Emotion, Memory and Practice, Routledge, Abingdon, 2018.
  • 22Alexander C. Diener et Joshua Hagen, « From Socialist to Post-Socialist Cities: Narrating the Nation through Urban Space », Nationalities Papers: The Journal of Nationalism and Ethnicity, vol. 41, no 4, 2013.
  • 23Jay Winter, « Historians and Sites of Memory », in Pascal Boyer et James V. Wertsch (dir.) Memory in Mind and Culture, Cambridge University Press, Cambridge, 2009, p. 252.
  • 24Karen Till, « Places of Memory », in John A Agnew, Katharyne Mitchell et Gerard Toal (dir.) A Companion to Political Geography, John Wiley & Sons, Malden, Minnesota, 2003.
  • 25Geoff Cubitt, History and Memory, Cambridge University Press, Cambridge, 2007, p. 10.
  • 26Giorgio Hadi Curti, « From A Wall of Bodies to a Body of Walls: Politics of Affect/Politics of Memory/Politics of War », Emotion, Space and Society, vol. 1, no 2, 2008, p. 108.
  • 27E. Waterton et S. Watson, op. cit. note 21 ; Geoffrey White, « Epilogue: Memory Moments », Ethos, vol. 34, no 2, 2006.
  • 28Henri Bergson, Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit, Presses Universitaires de France, 1939, p. 19. Voir également Monica Degen et Gillian Rose « The Sensory Experiencing of Urban Design: The Role of Walking and Perceptual Memory », Urban Studies, vol. 49, no 15, 2012.
  • 29Sara Ahmed, « Affective Economies », Social Text, vol. 22, no 2, 2004.
  • 30Dylan Trigg, The Memory of Place: A Phenomenology of the Uncanny, Ohio University Press, Athens, Ohio, 2012, pp. 82, 98.
  • 31Emily Rosenberg, « Commemoration of Sacrifice », in Emily Rosenberg (dir.) A Date Which Will Live: Pearl Harbor in American Memory, Duke University Press, Durham, Caroline du Nord, 2003 ; Geoffrey M. White, « Disney’s Pearl Habor: National Memory at the Movies », The Public Historian, vol. 24, no 4, 2002.
  • 32Robin Gerster, « On the War Path », Eureka Street, vol. 11, no 1, 2001 ; Yujin Yaguchi, « War Memories Across the Pacific: Japanese Visitors at the Arizona Memorial », in Marc S. Gallicchio (dir.) The Unpredictability of the Past, Duke University Press, Durham, Caroline du Nord, 2007.
  • 33Gaston R. Gordillo, Rubble: The Afterlife of Destruction, Duke University Press, Durham, Caroline du Nord, 2014, p. 22.
  • 34Ibid.
  • 35Ibid.
  • 36Geoffrey M. White, « Pearl Harbor and September 11: War Memory and American Patriotism in the 9-11 Era », The Asia-Pacific Journal, vol. 1, no 4, 2003.
  • 37Emma Waterton, Memorialisation and Affect: Remembering Pearl Harbor – Final Report, Université occidentale de Sydney, Sydney, 2016.
  • 38Shanti Sumartojo, « On Atmosphere and Darkness at Australia’s Anzac Day Dawn Service », Visual Communication, vol. 14, no 2, 2015 ; Shanti Sumartojo, « Commemorative Atmospheres: Memorial Sites, Collective Events and the Experience of National Identity », Transactions of the Institute of British Geographers, vol. 41, no 4, 2016. Voir aussi Shanti Sumartojo, « Ambiances commémoratives : concepts, méthodologies, implications », traduction par Anne Hertzog disponible sur : https://journals.openedition.org/espacepolitique/8651.
  • 39Robin Wagner-Pacifici, « Reconceptualizing Memory as Event », in Anna Lisa Tota et Trever Hagen (dir.) Routledge International Handbook of Memory Studies, Routledge, Londres, 2015, p. 23.
  • 40Ibid.
  • 41Ibid.
  • 42Ben Wellings et Shanti Sumartojo, « Anzac, Race and Empire: Memorialising Soldiers and Warriors in Australia », in Shanti Sumartojo et Ben Wellings (dir.) Commemorating Race and Empire in the First World War Centenary, Presses Universitaires de Provence, Marseille, 2018.
  • 43Paul Connerton, How Societies Remember, Cambridge University Press, Cambridge, 1989, p. 72.
  • 44S. Sumartojo, « On Atmosphere and Darkness », op. cit. note 38, p. 7.
  • 45Benedict Anderson, Imagined Communities: Reflections on the Origins and Spread of Nationalism, Verso, Londres, 1983.
  • 46David Middleton et Stephen D. Brown, « Experiences and Memory: Imaginary Futures in the Past », in A. Erll, A. Nünning et S. B. Young (dir.), op. cit. note 5.
  • 47Paul Daley, « Australia’s Anzac Carnival of Commemoration Leaves Some Things not Talked About », The Guardian, 25 avril 2016, disponible sur : https://www.theguardian.com/australia-news/postcolonial-blog/2016/apr/2….
  • 48Mark McKenna, « Anzac Day: How Did It Become Australia’s National Day? » in Marilyn Lake et Henry Reynolds (dir.) What’s Wrong With Anzac? The Militarisation of Australian History, Sydney, University of New South Wales Press, 2010, p.112.
  • 49Danielle Drozdzewski et Emma Waterton, « In remembering Anzac Day, What Do We Forget? », The Conversation, 20 avril 2016, disponible sur : https://theconversation.com/in-remembering-anzac-day-what-do-we-forget-….
  • 50Shanti Sumartojo, « On atmosphere and darkness », op. cit. note 38.
  • 51K. Mitchell, op. cit. note 10, p. 443. Traduction de cet extrait par Anne Hertzog in Shanti Sumartojo, « Ambiances commémoratives : concepts, méthodologies, implications », disponible sur : https://journals.openedition.org/espacepolitique/8651.
  • 52S. Sumartojo, traduction de cet extrait par Anne Hertzog op. cit, note 51, par. 29.
  • 53S. Sumartojo, « On Atmosphere and Darkness », op. cit. note   38.
  • 54B. S. Osborne, op. cit. note 8, p. 39.
  • 55Pierre Nora, « Entre mémoire et histoire, la problématique des lieux », in Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, I. La République, Paris, Gallimard, 1984.
  • 56Alan Gordon, Making Public Pasts: The Contested Terrain of Montreal's Public Memories, 1891-1930, McGill-Queen’s University Press, Ontario, 2001, pp. 16-17.
  • 57Danielle Drozdzewski, « Encountering Memory in the Everyday City », in D. Drozdzewski, S. De Nardi et E. Waterton (dir.), op. cit. note 4, p. 19.
  • 58Hilda E. Kurtz, « Introduction to the Special Forum: In the Aftermath of the Hate Rally in Charlottesville », Southeastern Geographer, vol. 58, no 1, 2018.
  • 59Jay Winter, « Sites of Memory and the Shadow of War », in A. Erll, A. Nünning et S. B. Young (dir.), op. cit. note 5, p. 63.
  • 60James E. Young, The Texture of Memory: Holocaust Memorials and Meaning, Yale University Press, New Haven, Connecticut, 1993, p. 2. Traduction de cet extrait proposé par Young in « Écrire le monument : site, mémoire, critique », disponible sur : https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1993_num_48_3_279169.
  • 61D. Drozdzewski, op. cit.  note 57.
  • 62Hamzah Muzaini, « On the Matter of Forgetting and "Memory Returns" », Transactions of the Institute of British Geographers, vol. 40, no 1, 2015, p. 110.
  • 63Ibid., p 110.
  • 64Matthew C. Benwell, « Encountering Geopolitical Pasts in the Present: Young People's Everyday Engagements with Memory in the Falkland Islands », Transactions of the Institute of British Geographers, vol. 41, no 2, 2016, p. 129.
  • 65David Atkinson, « Kitsch Geographies and the Everyday Spaces of Social Memory », Environment and Planning A: Economy and Space, vol. 39, no 3, 2007, p. 537.
  • 66Divya Tolia-Kelly, « Landscape, Race and Memory: Biographical Mapping of the Routes of British Asian Landscape Values », Landscape Research, vol. 29, no 3, 2004 ; O. Jones, op. cit. note 6.
  • 67David Atkinson, op. cit. note 65, p. 537.
  • 68Participant 34, 21 mai 2014, in D. Drozdzewski, op. cit. note 57.
  • 69Maoz Azaryahu, « The Power of Commemorative Street Names », Environment and Planning D: Society and Space, vol. 14, no 3, 1996, p. 311.
  • 70Reuben Rose-Redwood, Derek Alderman et Maoz Azaryahu, « The Urban Streetscape as Political Cosmos », in Reuben Rose-Redwood, Derek Alderman, Maoz Azaryahu (dir.), The Political Life of Urban Streetscapes: Naming, Politics, and Place, Taylor & Francis, Derby, 2017, p. 1.
  • 71Danielle Drozdzewski, « Using History in the Streetscape to Affirm Geopolitics of Memory », Political Geography, vol. 42, 2014.
  • 72R. Rose-Redwood, D. Alderman et M. Azaryahu, op. cit. note 70, p. 6.
  • 73M. Azaryahu, op. cit. note 69, p. 321.
  • 74James Duminy, « Street Renaming, Symbolic Capital, and Resistance in Durban, South Africa », Environment and Planning D: Society and Space, vol. 32, no 2, 2014 ; Joshua Hagen, « Theorizing Scale in Critical Place-Name Studies », ACME, vol. 10, no 1, 2011 ; Reuben Rose-Redwood, « From Number to Name: Symbolic Capital, Places of Memory and the Politics of Street Renaming in New York City », Social & Cultural Geography, vol. 9, no 4, 2008.
  • 75Garth Andrew Meyers, « Naming and Placing the Other: Power and the Urban Landscape in Zanzibar », in Lawrence D. Berg et Jani Vuolteenaho (dir.) Critical Toponymies: The Contested Politics of Place Naming, Ashgate, Farnham, 2009, p. 92.
  • 76Ibid., p. 86.
  • 77Robin A. Kearns et Lawrence D. Berg, « Proclaiming Place: Towards a Geography of Place Names », in Lawrence D. Berg et Jani Vuolteenaho (dir.), op. cit. note 75, p. 158.
  • 78J. Duminy, op. cit. note 74.
  • 79« Captain Cook Statue Vandalised in Melbourne before Australia Day », The Guardian, 25 janvier 2018 ; Christopher Knaus, « ‘No Pride in Genocide’: Vandals Deface Captain Cook Statue in Sydney’s Hyde Park », The Australians, 26 août 2017 ; « Statues Vandalised in Sydney’s Hyde Park », The Australian, 26 août 2017.
  • 80Maurice Halbwachs, La mémoire collective, Paris Presses Universitaires de France, 1950.
  • 81Nuala Johnson, « Cast in Stone: Monuments, Geography, and Nationalism », Environment and Planning D: Society and Space, vol. 13, 1995, p. 51.
  • 82Ben Wellings, Matthew Graves et Shanti Sumartojo, « Commemorating Race and Empire in the First World War Centenary », in Ben Wellings et Shanti Sumartojo (dir.), Commemorating Race and Empire in the First World War Centenary, Presses Universitaires de Provence et Liverpool University Press, Aix-en-Provence, 2018, p. 8.
  • 83Debra Marshall, « Making Sense of Remembrance », Social & Cultural Geography, vol. 5, no 1, 2004, p. 38.
  • 84Angharad Closs Stephens, « The Affective Atmospheres of Nationalism », Cultural Geographies, vol. 23, 2015.

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