IRRC No. 910

Patrimoine culturel et mémoire après le nettoyage ethnique dans la Bosnie-Herzégovine d’après-guerre

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Traduit de l’anglais.

Le présent article s’appuie, d’une part, sur mon ouvrage Bosnia and the Destruction of Cultural Heritage1 lequel intègre un travail sur le terrain en Bosnie-Herzégovine très innovant, ainsi que des recherches très approfondies et, d’autre part, sur les recherches et le travail de terrain que j’ai effectués ultérieurement dans le pays d’après-guerre. Dans cet article, j’analyse la signification que peuvent avoir la restauration et la reconstruction du patrimoine culturel détruit intentionnellement pendant un conflit, en particulier pour les personnes déplacées de force. Alors que la protection du patrimoine culturel est de plus en plus considérée comme un droit de l’homme important et que l’impact que les déplacements forcés liés à un conflit armé ont sur l’identité culturelle est aujourd’hui mis sur le devant de la scène, l’importance du patrimoine culturel pour les victimes du nettoyage ethnique en Bosnie-Herzégovine pendant la guerre de 1992-1995 (qu’elles soient ou non revenues dans le pays) présente un intérêt pour l’étude des populations contemporaines d’après-guerre.

« Et que se passera-t-il si la mosquée Aladža … n’est pas reconstruite ? Ils diront qu’elle n’a jamais existé…2  ».

« …il est de notre devoir de ne pas oublier…3  ».

Introduction

Le présent article se penche sur le patrimoine culturel et la mémoire au lendemain d’un conflit animé par l’exclusivisme ethnique et au cours duquel des biens culturels et religieux ont été systématiquement détruits dans le but de créer des espaces d’apparence mono-ethnique, conflit qui visait à détruire le pluralisme historique d’un pays européen. Mais ce fut également un conflit pendant et après lequel l’intervention militaire et humanitaire a été massive et à l’issue duquel le règlement de paix définitif a non seulement garanti aux victimes du nettoyage ethnique le droit de revenir dans leur pays pour reconstruire leur communauté, mais a aussi conféré une protection juridique au patrimoine culturel4 . Cette guerre a donné lieu à des atrocités si nombreuses et si graves qu’elles ont été qualifiées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, ce qui a conduit les Nations Unies à créer un tribunal pénal international pour obliger les auteurs de ces crimes et ceux qui les ont permis à répondre de leurs actes et rendre justice aux victimes. Pourtant, malgré tout cela et malgré la mise en place, après la guerre, d’un protectorat international, civil et militaire, doté de pouvoirs très étendus, le processus de restauration et de reconstruction des biens culturels et religieux qui avaient été intentionnellement détruits pendant la guerre a été, dans l’ensemble, difficile, long et souvent violemment contesté. Cet article examine comment, lorsque le patrimoine culturel a été instrumentalisé pendant des guerres et des conflits, il peut encore l’être après la fin des combats. Comme certains défendent la thèse de l’oubli, je m’interroge : si les attaques contre la culture pendant un conflit sont des crimes contre la mémoire et l’identité, y a t-il un devoir de ne pas oublier ?

Alors que dans les conflits contemporains, il semble que la destruction intentionnelle du patrimoine culturel soit désormais la norme, l’anéantissement de biens culturels et religieux en tant que symboles ostentatoires d’un groupe ethnique ou religieux indésirable – voire d’une histoire honnie de l’identité nationale – nous choque, mais ne nous surprend plus lorsque nous en sommes les témoins via nos écrans de télévision ou les réseaux sociaux. Les attaques menées contre des biens culturels et religieux dans les vingt premières années du vingt et unième siècle, notamment contre des sites archéologiques de renommée mondiale en Syrie et en Irak, comme Palmyre et Ninive, occupent une place importante dans l’imaginaire occidental, en particulier les actes destructeurs et malveillants perpétrés et rendus publics par Daech/l’État islamique, même s’ils sont loin d’être les seuls auteurs de tels actes et que ces sites sont loin d’être les seuls types de monuments culturels et religieux détruits. Les spécialistes du patrimoine, comme l’UNESCO, ont avancé l’idée que ce type de destruction préméditée constituait un nouveau phénomène5 .

Pourtant, il n’est pas nécessaire de remonter très loin dans la période de l’après-guerre froide pour trouver un conflit antérieur dans le cadre duquel la destruction intentionnelle et généralisée de biens culturels a eu le pouvoir de choquer le monde. Ce fut le cas des guerres des années 1990 qui ont accompagné la dissolution de la Yougoslavie, de violents conflits ayant eu lieu en Croatie, en Bosnie-Herzégovine et enfin, au Kosovo. Celles que l’on appelle les guerres de succession yougoslave ont été l’aboutissement d’années de rhétorique et de propagande nationalistes déversées par la Serbie de Slobodan Milošević, rhétorique qui rappelait le passé et mettait en évidence les différentes perceptions ethnonationales et ethnoreligieuses, liant étroitement l’identité culturelle à la religion. Pour les Serbes qui vivaient en dehors de la Serbie, dans d’autres parties de la Yougoslavie, la crainte d’une menace existentielle, représentée avant tout par les musulmans et par l’islam, ainsi que la nécessité de vivre séparément ont été fortement encouragées et, le moment venu, ont été soutenues par la puissance de l’Armée populaire yougoslave (Jugoslovenska narodna armija, JNA) et par des unités paramilitaires particulièrement violentes6 .

C’est pendant la guerre en Croatie que le patrimoine culturel est devenu une cible. En 1991, le bombardement par la JNA et le Monténégro du site de Dubrovnik classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, a provoqué une indignation planétaire, mais le pire était à venir. La guerre de Bosnie de 1992-1995 s’est distinguée par sa barbarie et ses violentes campagnes de nettoyage ethnique comme la destruction délibérée de biens culturels et religieux furent les aspects les plus marquants (et les plus médiatisés) de ce conflit7 .

Pendant la guerre de Bosnie, la destruction de biens culturels et religieux, symboles à la fois de l’appartenance ethnoreligieuse et de la diversité historique de l’identité bosniaque, a constitué la destruction la plus massive de patrimoine culturel en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, comme pour la Syrie et l’Irak, nous devrions veiller à ne pas considérer la destruction isolément, comme un phénomène curieusement distinct des autres atrocités. Au contraire, la destruction faisait inextricablement partie du nettoyage ethnique pendant la guerre de Bosnie et constituait l’un des principaux objectifs de ceux qui conduisaient le conflit. Il ne s’agissait pas de dommages collatéraux, ni d’effets secondaires d’opérations militaires, ni de conséquences indirectes de la guerre, mais d’une destruction préméditée et systématique qui se déroulait en général loin des lignes de front8 . Il a été démontré de manière convaincante que le fait de supprimer totalement du paysage des édifices qui marquaient la présence historique de groupes visés par l’élimination (le plus souvent les musulmans de Bosnie) allait de pair avec l’expulsion forcée, la détention dans des camps de concentration, la torture, les viols massifs, les femmes réduites à l’esclavage sexuel et les massacres9 .

Les destructions massives causées par la guerre de Bosnie allaient devenir un repère fondamental pour les discussions sur le patrimoine culturel, les spécialistes du patrimoine et le public en général se demandant comment (et si) les biens culturels pouvaient être protégés en temps de guerre – un débat qui a resurgi vingt ans plus tard, à la suite des destructions en Syrie et en Irak. Dans les années qui ont suivi la fin de la guerre en 1995, la Bosnie est devenue le symbole des violations des droits de l’homme, de la destruction intentionnelle du patrimoine et de l’échec de la communauté internationale, les militaires, les défenseurs des droits de l’homme et les professionnels de l’humanitaire cherchant à comprendre comment les horreurs du nettoyage ethnique, avec son cortège de destructions de biens culturels et religieux, auraient pu être évitées et cherchant à savoir si leurs représentants sur le terrain furent plutôt des spectateurs passifs ou des participants involontaires10 . Les effets de la guerre de Bosnie de 1992-1995 ont perduré bien après la fin du conflit et continuent aujourd’hui encore d’influencer et de préoccuper les responsables politiques. Les questions qui furent soulevées à propos des moyens d’empêcher le nettoyage ethnique et la destruction de biens culturels qui l’accompagne, restent sans réponse.

Afin de pouvoir nous pencher sur le patrimoine culturel et la mémoire au lendemain d’un conflit violent, d’un nettoyage ethnique et de la destruction de biens culturels et religieux, nous devons d’abord examiner le déroulement du conflit et dans quelles circonstances la destruction a eu lieu. Le présent article portera essentiellement sur la destruction en temps de guerre, la reconstruction d’après-guerre et la restauration du patrimoine culturel des communautés musulmanes de Bosnie-Herzégovine qui, de toute évidence, ont le plus souffert pendant le conflit. L’analyse des types de patrimoines bâtis qui ont été détruits ou gravement endommagés pendant la guerre de Bosnie de 1992-1995 montre qu’il s’agissait presque exclusivement de bâtiments religieux et, dans leur grande majorité, de bâtiments ottomans ou associés aux musulmans ou à l’islam. Sur un total de 1 144 mosquées et autres édifices religieux islamiques dénombrés avant la guerre, près de 1 000 ont été détruits ou endommagés pendant le conflit11 .

La guerre de Bosnie, 1992-1995 : l’effacement de la mémoire

La guerre de Bosnie a véritablement commencé après que la Slovénie puis la Croatie aient proclamé leur indépendance par rapport à la Yougoslavie fédérale en 1991, suivis par la Bosnie-Herzégovine en mars 1992. Les combats ont commencé lorsque les Serbes séparatistes de Bosnie, dirigés par Radovan Karadžić et qui œuvraient depuis longtemps à la division ethnique du pays, ont attaqué le territoire et l’ont occupé avec l’aide de la JNA et de paramilitaires serbes et monténégrins arrivés en Bosnie depuis la Serbie, puis qu’ils ont entrepris de déplacer ou d’éliminer les populations devenues indésirables. Karadžić et ses partisans ont commencé à mettre en œuvre leur plan, conçu depuis longtemps, visant à créer un îlot étatique séparé, la Republika Srpska, qui serait un lieu dominé par les Serbes et leur identité culturelle (inextricablement liée à l’Église orthodoxe serbe) et qui finirait, de préférence, par s’unir avec la Serbie.

Toutefois, la Bosnie abritait trois principaux groupes ethnonationaux (musulmans de Bosnie/bosniaques, Serbes de Bosnie et Croates de Bosnie) vivant dans un patchwork démographique qu’il aurait été impossible de démêler sans violence. La capitale de la Bosnie-Herzégovine, Sarajevo, qui était pour les séparatistes, le symbole détesté d’un pluralisme cosmopolite, était désormais une cible et l’artillerie retranchée dans les montagnes qui surplombent la ville, sous le commandement du général serbe de Bosnie Ratko Mladić, a entamé ce qui est devenu le plus long siège d’une ville des temps modernes.

Alors que le conflit opposait d’abord les Serbes séparatistes de Bosnie à l’armée nouvellement formée du gouvernement internationalement reconnu de Bosnie-Herzégovine (que beaucoup qualifient de « musulman » en raison de l’appartenance ethnique de ses membres), cette armée s’est alliée avec les forces du Conseil de défense croate (Hrvatsko vijeće obrane, HVO) pour combattre. Cependant, il n’a pas fallu longtemps pour que les Croates de Bosnie sécessionnistes, encouragés et soutenus par la Croatie, se retournent contre leurs anciens alliés après la publication des modalités du plan Vance-Owen de janvier 1993 qui projetait de créer des provinces ethniquement séparées et après que le HVO ait commencé à revendiquer un territoire pour une entité croate paraétatique homogène d’un point de vue ethnique, Herceg-Bosna, avec Mostar pour capitale12 . Une fois encore, le nettoyage ethnique généralisé s’est accompagné de la destruction du patrimoine religieux et culturel des communautés non croates/catholiques et l’expulsion des populations musulmanes de Bosnie des terres occupées par les Croates était un objectif clé13 . Cette « guerre dans la guerre » a pris fin lors de la signature de l’Accord de Washington en mars 1994 et de la création de la Fédération de Bosnie-Herzégovine (la Fédération dite croato-musulmane).

Les attaques contre des monuments emblématiques, comme l’incendie de la bibliothèque nationale de Sarajevo (Vijećnica) qui datait de l’époque austro-hongroise, déclenché en août 1992 par les forces serbes de Bosnie et la destruction par les forces croates de Bosnie en novembre 1993 du magnifique pont ottoman de Mostar (Stari Most) du seizième siècle14 , furent unanimement condamnées. Les deux villes abritaient un grand nombre d’archives, de bibliothèques, de musées et d’institutions et édifices de grande valeur qui symbolisaient une identité panbosniaque historiquement diversifiée – expressions architecturales du pluralisme du pays et détenteurs de sa mémoire culturelle – qui étaient désormais la cible des troupes séparatistes. À Sarajevo, tout comme la bibliothèque nationale, le célèbre Institut oriental qui renfermait de riches collections de manuscrits islamiques et juifs et d’importants documents ottomans a été délibérément visé par des bombardements d’obus incendiaires et les collections qu’il abritait ont été détruites15 .

Pourtant, les destructions les plus importantes ont eu lieu loin du regard des médias internationaux, basés en grande partie à Sarajevo. C’est dans les petites villes, les villages et les zones rurales isolées, où les forces sécessionnistes ont mené de violentes campagnes de nettoyage ethnique sur d’immenses étendues du territoire, que des biens religieux et culturels ont été détruits et que de nombreuses atrocités et violations des droits de l’homme ont été commises. Il s’agissait d’attaques visant résolument les preuves matérielles d’une hétérogénéité de longue date, transformant un paysage culturel manifestement diversifié en un domaine apparaissant comme historiquement mono-ethnique. Ces attaques constituaient les premières étapes vers la création d’un royaume mono-ethnique au passé fictif, une réécriture de l’histoire dans le cadre de laquelle, en 1993, le maire de la ville de Zvornik tenue par les Serbes de Bosnie, évoquant la ville autrefois majoritairement musulmane, a pu déclarer aux journalistes, avec aplomb : « Il n’y a jamais eu de mosquée à Zvornik [traduction CICR]16  ».

Le professeur Cherif Bassiouni, le juriste en droit pénal international qui a dirigé la Commission d’experts des Nations Unies chargée d’enquêter sur les atrocités commises pendant les conflits yougoslaves et de les documenter, était convaincu que ni le nettoyage ethnique ni la destruction des biens culturels et religieux n’étaient des actes gratuits. Au contraire, ils faisaient partie de la mise en œuvre d’une politique élaborée par des dirigeants et il était important que ces dirigeants et pas seulement les personnes qui exécutaient leurs ordres, soient poursuivis en justice et rendent des comptes17 . Les travaux de C. Bassiouni et de son équipe ont finalement conduit le Conseil de sécurité des Nations Unies à créer le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en 199318 . Le TPIY a commencé à intégrer plus systématiquement, dans ses actes d’accusation, des charges liées à la destruction intentionnelle de biens culturels et religieux et sa jurisprudence a apporté une contribution remarquable à la poursuite de crimes contre le patrimoine culturel, en établissant notamment que la destruction délibérée d’édifices symbolisant l’identité d’un groupe était une manifestation de persécution et un crime contre l’humanité19 .

En effet, alors même que le conflit en Bosnie faisait rage, il était évident pour les victimes comme pour les observateurs, que la plupart des destructions avaient lieu pendant les violentes campagnes de nettoyage ethnique menées contre la population civile. Les destructions visaient non seulement à éliminer l’« Autre » vivant et indésirable, mais aussi à éliminer systématiquement du paysage les traces de sa présence historique20 . Les auteurs eux-mêmes n’émettaient aucun doute quant aux motifs des destructions, déclarant ouvertement leur intention d’effacer, dans telle ou telle région, toute trace visible des cultures des populations expulsées, dans l’espoir de dissuader à tout jamais les survivants de revenir. Milan Tupajić, chef de guerre de la municipalité de Sokolac tenue par les Serbes de Bosnie, l’a clairement expliqué lorsqu’il a témoigné devant le TPIY, décrivant comment, en quelques jours en septembre 1992, toutes les mosquées de sa municipalité avaient été démolies. Lorsqu’un procureur lui a demandé pourquoi, selon lui, les mosquées avaient été détruites, Tupajić a expliqué : « Les Serbes croient que là où il n’y a pas de mosquées, il n’y a pas non plus de peuple musulman. Et que par la destruction des mosquées, on détruirait toute raison qui pourrait les inciter à revenir dans leur village21  ».

Mais il nous faut bien comprendre que la destruction des biens culturels par les trois principaux belligérants fut loin d’être réciproque et identique, comme cela est parfois présenté. Plus de vingt ans d’enquête sur les crimes de guerre et d’évaluations d’experts ont permis d’établir de manière convaincante que la plus grande partie des destructions délibérées de biens religieux et culturels avait eu lieu au cours de campagnes de nettoyage ethnique, dont les principaux auteurs étaient les forces serbes de Bosnie et leurs alliés (notamment la JNA et les unités paramilitaires) qui, à l’automne 1992, contrôlaient plus de 70 % du territoire de la Bosnie-Herzégovine et ciblaient principalement la population musulmane, mais aussi les Croates de Bosnie. Elles ont été suivies, dans une moindre mesure, par les forces séparatistes des Croates de Bosnie qui ont également procédé à un nettoyage ethnique visant principalement la population musulmane, mais aussi la population serbe de Bosnie. Quant aux forces gouvernementales bosniaques, les rapports ont montré que si elles avaient effectivement commis de graves violations des Conventions de Genève, elles n’avaient pas de politique de nettoyage ethnique et ne s’étaient pas livrées à de telles opérations22 .

Il était courant de trouver en Bosnie-Herzégovine, surtout dans les petites villes, une église catholique, une église orthodoxe et une mosquée (et parfois une synagogue) situées à quelques mètres les unes des autres. Or, ces preuves d’une réelle coexistence étaient violemment éliminées. Le choix de cibler plus particulièrement les minarets et de les faire disparaître du paysage a été désigné comme « un genre d’équivalent architectural de l’élimination de la population, et la preuve manifeste que les musulmans étaient partis [traduction CICR]23  ». À la fin de la guerre, à une exception près, pas un seul minaret sur une mosquée en état de fonctionnement n’avait été laissé intact sur les territoires occupés par les forces serbes de Bosnie24 . Cette transformation radicale du paysage était souvent complétée par ce qui a été appelé le « nettoyage linguistique des toponymes », soit le changement des noms de lieux pour les rendre plus « serbes25  ».

Bon nombre des mosquées détruites avaient peu de valeur architecturale, mais beaucoup d’entre elles (peut-être la plupart) étaient très anciennes et même si elles avaient subi de nombreuses rénovations, elles avaient sans doute conservé un important patrimoine mobilier comme des manuscrits islamiques et des tapis donnés par des membres de leur congrégation au fil des siècles. En outre, comme l’ont fait observer les procureurs du TPIY, quelle que soit leur valeur architecturale ou patrimoniale, les institutions religieuses ont une valeur spirituelle pour toute une communauté, laquelle doit être prise en considération pour évaluer l’ampleur du préjudice causé par la destruction, la détérioration ou la profanation de ces édifices26 .

Toutefois, certains des monuments ottomans les plus importants de Bosnie-Herzégovine ont été délibérément démolis. Entre avril et décembre 1993, à Banja Luka, capitale de facto de la Republika Srpska et deuxième plus grande ville du pays, qui n’a jamais été le théâtre d’opérations militaires, 15 mosquées – dont 12 classées monuments nationaux, notamment la Ferhadija, mosquée à dôme du seizième siècle située au cœur même de la ville – ont été systématiquement bombardées, tout comme d’autres monuments du patrimoine ottoman de la ville, y compris son ancienne tour de l’horloge, l’une des rares qui existaient encore dans le pays.

La ville de Foča, petite mais stratégiquement importante, située à l’est de Sarajevo près de la frontière monténégrine, abritait une population majoritairement musulmane au début de la guerre et une grande partie de l’architecture ottomane restante, dont la mosquée Aladža, un des plus importants exemples de l’architecture ottomane classique en Europe du Sud-Est, renommée pour ses sublimes peintures intérieures. Certaines des pires atrocités de la guerre ont été commises contre les musulmans de Foča par les forces serbes de Bosnie et leurs alliés, qu’il s’agisse de migration forcée, de meurtres, de détention, de torture ou encore de viols systématiques de nombreuses femmes et filles27 . Des quartiers musulmans entiers et toutes les mosquées de la ville avaient été attaqués, la plupart d’entre elles ayant été rasées et leurs vestiges supprimés. La mosquée Aladža, dernière mosquée intacte de Foča, a été soufflée par une énorme explosion dans la nuit du 2 au 3 août 1992, des mois après que les autorités serbes de Bosnie avaient totalement pris le contrôle de la ville. Des photographies prises par un satellite américain passant au-dessus de Foča une semaine après la destruction de la mosquée, montrent clairement un espace vide, là où était autrefois la mosquée Aladža28 . Au début de l’année 1994, la ville de Foča a été officiellement rebaptisée Srbinje, ou « ville serbe29  ».

En milieu rural ou en périphérie des villes, les ruines des édifices détruits étaient souvent laissées à l’abandon, les pierres gisant en tas là où elles étaient tombées. Mais dans le centre des villes et villages, les travaux furent en général entrepris plus rapidement. Les ruines étaient rasées au bulldozer, les débris emportés dans des camions et les sites aplanis, de sorte à ne plus laisser aucune trace visible des édifices. Les sites aplanis ont ensuite servi de parkings, de places de marché ou d’emplacement pour les bennes à ordure, ou restaient vides, souvent jonchés de détritus. Les vestiges de la mosquée Ferhadija ont été jetés dans une décharge municipale avec les vestiges de la mosquée historique Arnaudija, ou jetés dans un réservoir voisin, tandis que des fragments de la mosquée Aladža ont été découverts par une équipe de la Commission d’État de Bosnie chargée de la recherche des personnes disparues, qui procédait à des fouilles sur le site d’un charnier à Foča en 200030 . Des débris de la mosquée Savska de Brčko datant du dix-huitième siècle, dont la destruction avait été si complète que même ses fondations avaient été déterrées, ont été découverts lors de fouilles effectuées par le TPIY en 1997 ; ils recouvraient un charnier de musulmans locaux assassinés pendant le nettoyage ethnique31 .

C’est dans ce contexte, qu’après la guerre, on a assisté au retour des populations victimes du nettoyage ethnique et à la restauration de leur mémoire culturelle brisée. Si l’on examine le sort qui fut réservé, après la guerre, à deux des monuments ottomans les plus importants de Bosnie-Herzégovine, à savoir la mosquée Ferhadija à Banja Luka et la mosquée Aladža à Foča, on peut voir à quel point ce processus peut être long et difficile. Il a fallu attendre 2016 pour que la reconstruction de la mosquée Ferhadija soit terminée et que la mosquée rouvre officiellement, la structure détruite ayant été utilisée le plus possible grâce à des exploits archéologiques et une restauration remarquable. La reconstruction de la mosquée Aladža n’a commencé qu’en 2014 et ne s’est achevée qu’au milieu de l’année 2019.

Patrimoine culturel et droits de l’homme32

La communauté internationale a maintes fois affirmé (et même souvent avec insistance) qu’en Bosnie-Herzégovine, la reconstruction et la restauration du patrimoine culturel détruit ou endommagé pendant le conflit conduiraient forcément à la réconciliation entre les groupes ethnonationaux qui, auparavant, s’opposaient33 . Pourtant, peu d’éléments viennent étayer cette affirmation, du moins à court (et même à moyen) terme. Par ailleurs, une multitude d’exemples permettent d’affirmer le contraire. Il est clair que là où il y a eu un nettoyage ethnique, là où leurs auteurs et leurs partisans sont restés majoritaires et où leur ethno-exclusivisme a été soutenu par des organes officiels, le retour des populations expulsées et la restauration de leur patrimoine culturel et religieux ont souvent été violemment contestés. En pareil cas, le patrimoine était plus fréquemment une source de conflit et de violences organisées, en particulier pendant la reconstruction d’édifices religieux, dont la fonction était de marquer clairement l’identité, ce qui avait justement été la raison de leur destruction en premier lieu.

La signature, en décembre 1995, de l’Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine, connu sous le nom d’Accord de paix de Dayton34 , a marqué la fin de la guerre de Bosnie et officialisé la division de la Bosnie‑Herzégovine en deux entités : la Fédération de Bosnie-Herzégovine (la Fédération dite croato‑musulmane, constituée de dix cantons) et la Republika Srpska centralisée et dominée par les Serbes. Une présence internationale massive, sous la conduite d’une force multinationale de maintien de la paix dirigée par l’OTAN et un Haut-Représentant civil, par l’intermédiaire du Bureau du Haut-Représentant, a supervisé l’application de l’Accord de paix de Dayton ; des milliards de dollars d’aide humanitaire ont été versés dans le pays en vue d’un énorme exercice de reconstruction et de renforcement de l’État.

L’un des principaux objectifs de l’Accord de paix de Dayton était d’inverser les effets du nettoyage ethnique dans l’espoir de restaurer la diversité qui existait en Bosnie-Herzégovine avant la guerre, mais les oppositions non résolues à l’origine du conflit (y compris l’influence persistante de la Serbie et de la Croatie) et le règlement politique prévu dans l’accord de paix allaient avoir un impact négatif important sur la préservation et la restauration du patrimoine culturel. Pourtant, les rédacteurs de l’Accord de Dayton avaient estimé qu’il était indispensable pour le processus de paix de s’attaquer à la dévastation du patrimoine culturel de la Bosnie, à tel point que l’Annexe 8 du traité prévoyait la création d’une Commission de préservation des monuments nationaux. La Commission avait pour mandat de recevoir les demandes tendant à ce que des biens présentant « une valeur culturelle, historique, religieuse ou ethnique » soient classés monuments nationaux et chargeait les autorités compétentes de protéger les monuments concernés, de prendre toutes les mesures nécessaires à leur restauration et de s’abstenir de toute action visant à les endommager – protection étendue aux monuments inscrits sur la liste provisoire en attendant une décision de classement.

Outre l’Annexe 8, deux autres annexes de l’Accord de paix de Dayton devaient également avoir une incidence sur la reconstruction du patrimoine culturel : l’Annexe 6 relative aux droits de l’homme qui reprenait la Convention européenne des droits de l’homme et établissait une Chambre des droits de l’homme, ainsi que l’Annexe 7 relative aux réfugiés et aux personnes déplacées, qui prévoyait le droit de retourner vivre dans leurs foyers d’avant-guerre pour les réfugiés et les personnes déplacées. Alors que les réfugiés et les personnes déplacées commençaient à revenir lentement dans les localités où ils avaient été victimes de nettoyage ethnique, toutes ces annexes ont été de plus en plus invoquées dans la lutte pour la restauration et la reconstruction.

Il peut sembler évident que la restauration et la préservation des monuments historiques et des édifices religieux de Bosnie-Herzégovine détruits et endommagés auraient dû se dérouler dans le cadre de l’Accord de paix de Dayton, tout en soutenant le retour des réfugiés et des personnes déplacées dans leurs foyers et leurs communautés dont ils avaient été expulsés de force. Toutefois, la participation de la communauté internationale à la restauration du patrimoine en Bosnie-Herzégovine dans les dix ans qui ont suivi la fin de la guerre, lesquels ont été décisifs, a été marquée par la priorité accordée à un petit nombre de projets très médiatisés, au premier rang desquels figuraient la restauration de Mostar et de son Vieux Pont, financée par la Banque mondiale et coordonnée par l’UNESCO. Le pont emblématique a largement servi de symbole visible des idées de réconciliation et de reconstruction des relations entre les groupes ethnonationaux de Bosnie que la communauté internationale s’attachait à promouvoir au lendemain de la guerre35 .

Il serait difficile de trouver des acteurs internationaux dans la Bosnie-Herzégovine d’après-guerre ayant lié la restauration du patrimoine au processus de retour, ou de trouver dans leurs discours sur le patrimoine un débat sur la justice ou les droits de l’homme pour les personnes ayant survécu au nettoyage ethnique. Le soutien en faveur de projets de restauration ou de reconstruction de monuments historiques endommagés ou détruits pendant la guerre en Republika Srpska, ou dans les endroits de la Fédération où il existait une opposition acharnée de la part d’entités ethnonationales hostiles et profondément enracinées, était inexistant, car les donateurs internationaux craignaient de prendre part à ce qu’ils percevaient comme des situations difficiles et litigieuses.

Pourtant, la majorité des édifices historiques qui avaient besoin d’être restaurés ou reconstruits se trouvaient de fait dans les localités où le nettoyage ethnique avait eu lieu, et les acteurs les plus importants et les plus actifs investis dans la restauration de biens culturels et religieux après la guerre étaient les communautés qui avaient été victimes du nettoyage ethnique et qui étaient désormais dispersées sur l’ensemble du territoire de la Bosnie-Herzégovine, dans toute la région et dans le monde entier36 . Toutefois, le retour des populations victimes du nettoyage ethnique a été un processus long et contesté dont le rythme ne s’est pas vraiment accéléré avant 2000, soit cinq ans après la fin de la guerre.

Reconstruire le patrimoine culturel dans la Bosnie-Herzégovine d’après-guerre

Points de discorde

Comme indiqué précédemment, c’est lorsque les survivants des déplacements forcés ont commencé à revenir et à reconstruire leurs communautés détruites dans les dix ans qui ont suivi la fin de la guerre, que le processus de restauration a commencé à se généraliser et ce, dans des conditions difficiles, souvent hostiles, avec peu (voire pas) de soutien de la part des donateurs internationaux. Les contacts avec les institutions locales chargées du patrimoine étaient minimes, voire inexistants et même les relations avec les responsables de l’application des Accords de Dayton pouvaient être problématiques. C’est dans ce contexte que la restauration s’est violemment heurtée à la politique encore profondément enracinée d’exclusivisme ethnonational, qui n’a pas disparu une fois la guerre terminée. Les victimes du nettoyage ethnique procédaient à la restauration de leur patrimoine sur un territoire désormais dominé et contrôlé par les auteurs des crimes qu’elles avaient subis et par ceux qui les avaient soutenus.

C’est alors que la reconstruction des édifices historiques détruits et en ruine (fatalement, le plus souvent des mosquées) s’est heurtée à de fortes contestations et que les efforts de reconstruction ont rencontré une vive opposition, parfois violente, encouragée par des autorités locales faisant obstruction, nombre d’entre elles ayant directement participé au nettoyage ethnique ou l’ayant encouragé. La restauration est alors devenue un combat pour la justice et les droits de l’homme, y compris le droit à l’égalité dans l’espace public en reconstruisant les marqueurs culturels de l’identité d’une communauté. Dans l’ensemble, ce combat s’est déroulé loin des feux des projecteurs des médias internationaux qui se concentraient presque exclusivement sur Sarajevo et sur Mostar.

Pourtant, la restauration des monuments culturels et religieux devait être déterminante pour créer un environnement favorisant le retour des personnes déplacées de force aux endroits d’où elles avaient été violemment expulsées et qui étaient souvent des zones rurales isolées ou de petites villes. Ainsi, la restauration permettait de raconter la réhabilitation psychologique et physique des communautés, le rétablissement de leur présence grâce à la reconstruction de marqueurs visibles de leur identité qui asseyaient leur longue histoire dans le paysage. La restauration a également permis de recouvrer un sentiment d’appartenance et d’identité grâce à la reconstruction du patrimoine détruit. C’était aussi une affaire de mobilisation de la communauté dans laquelle, comme nous le verrons, les « absents » pouvaient participer au retour et à la reconstruction tout autant que les « présents » qui avaient regagné leur lieu de résidence d’avant la guerre.

Lorsque le retour a commencé, la restauration des mosquées dans ces circonstances difficiles rencontrait de nombreux obstacles dressés par les autorités locales, notamment des retards excessifs ou des empêchements dans la délivrance des permis de construire37  ; le refus d’ordonner la démolition des édifices construits sur les sites de monuments détruits ou de mettre fin à des initiatives lancées sur ces sites (comme des marchés ou des parkings)38  ; des arguments selon lesquels les plans d’urbanisme avaient été révisés et les mosquées ne faisaient plus partie des nouveaux plans ou les usages autorisés pour les sites avaient changé39  ; et des affirmations selon lesquelles le terrain sur lequel l’édifice se situait était une propriété collective et que le propriétaire d’avant-guerre du bâtiment qui n’existait plus ne jouissait plus du droit d’usage du site40 .

Les projets les plus litigieux et les plus contestés par les autorités locales concernaient la reconstruction des mosquées dans les centres-villes. Pourtant, jusqu’en 2001, les organismes internationaux chargés de l’application des Accords de Dayton n’ont guère prêté d’attention aux problèmes croissants que posait cet aspect déterminant du retour et ils n’ont pas réussi à mettre au point une approche méthodique pour régler cette question. Ce manque d’attention, alors que le retour s’accélérait, a conduit certaines communautés qui étaient rentrées ainsi que la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine (la Communauté islamique41 ) à invoquer les annexes 6 et 8 de l’Accord de paix de Dayton pour assurer la reconstruction de leurs biens culturels et religieux détruits ou endommagés. Ainsi, après des mois de blocage imposé par les autorités municipales de Banja Luka, le 4 décembre 1996, la Communauté islamique a déposé une plainte contre la Republika Srpska devant la Chambre des droits de l’homme concernant les quinze mosquées de la ville. Elle a affirmé qu’il y avait eu discrimination et violation de la liberté de religion ainsi que de ses droits de propriété, compte tenu de la profanation continue des sites des mosquées et du refus des autorités de délivrer des permis de construire en vue de la reconstruction42 .

Cela étant, cette vérification de l’application des Accords de Dayton par les victimes du nettoyage ethnique qui entendaient obtenir la restauration de leur patrimoine culturel bâti pouvait être considérée comme une provocation, non seulement par les auteurs des violations des droits de l’homme, mais aussi parfois par les entités chargées de superviser l’accord de paix et de favoriser le processus de retour. Par exemple, en 1999, François Perez, représentant du Bureau du Haut-Représentant à Bijeljina, a déclaré au sujet des mesures prises par la Communauté islamique pour reconstruire la mosquée historique Atik sur son site du centre-ville, que la Communauté islamique était « trop exigeante » et que « peut-être qu’avec le temps, une mosquée pourrait être construite en périphérie de la ville43  ».

L’Association pour la restauration de la confiance entre les citoyens de Stolac, une association de citoyens originaires de Stolac dont beaucoup avaient été expulsés de force, a publiquement affirmé cet objectif de veiller au respect des droits des rapatriés conformément aux Accords de Dayton. Le programme de l’Association visant à restaurer méthodiquement le cœur dévasté de la ville qui datait de l’époque ottomane s’est heurté à des menaces, à des violences ainsi qu’à une ferme opposition de la part de l’administration locale croate de Bosnie et ses partisans44 . La restauration du patrimoine culturel de Stolac, à commencer par la structure centrale de la mosquée Čaršija du dix-septième siècle45 , était clairement liée au contrôle de la mise en œuvre de l’Accord de paix de Dayton (notamment de l’Annexe 8), du processus de retour, de la justice pour les rapatriés et d’un cadre permettant aux victimes de persécutions d’exercer leurs droits fondamentaux46 .

Pourtant, parmi toutes les annexes de l’Accord de paix de Dayton, l’Annexe 8 a été celle que la communauté internationale et le Bureau du Haut-Représentant ont le plus négligée, puisqu’il a fallu attendre 2001 pour qu’ils s’intéressent enfin un peu à sa mise en œuvre. Puis, en mai 2001, les cérémonies de pose de la première pierre sur les sites de la mosquée Osman-paša à Trebinje et de la mosquée Ferhadija à Banja Luka, furent perturbées par de grandes émeutes antimusulmanes, violentes et bien organisées, que les autorités de la Republika Srpska n’ont guère cherché à contrôler47 . Cette situation était très embarrassante pour le Bureau du Haut-Représentant qui a alors compris à quel point il avait négligé l’application de l’Annexe 8 et qui attira l’attention sur la façon dont la question des monuments nationaux était utilisée pour entraver le retour des réfugiés et la réinstallation des communautés, d’autant plus que la situation à Stolac concernant la reconstruction de la mosquée Čaršija menaçait elle aussi de s’aggraver48 .

Le détournement de la mémoire : les revendications d’ordre archéologique

Une fois qu’il fut clairement établi que le Bureau du Haut-Représentant prendrait des mesures pour faire en sorte que les communautés rapatriées puissent reconstruire leurs édifices religieux, une nouvelle tactique fut mise en place pour empêcher la reconstruction des mosquées. Cette nouvelle tactique s’appuyait sur la communauté scientifique et le prétendu besoin urgent, fort opportunément, de procéder à des fouilles archéologiques pour explorer d’autres vestiges qui étaient susceptibles de se trouver sous la mosquée, ce qui a été présenté comme un motif raisonnable et « scientifique » d’arrêter la reconstruction des mosquées dont la structure avait été rasée.

Fondées sur des preuves historiques fallacieuses ou inexistantes, ces revendications ont été légitimées par la participation active d’archéologues et d’historiens professionnels qui ont fourni une assise scientifique à ces arguments, parfois au moyen de séminaires d’« experts » et de publications qui présentaient les destructions commises en temps de guerre, bien que généralement qualifiées d’actes criminels, comme des actes finalement bénéfiques car ils permettaient d’explorer les sites concernés et de mieux comprendre le passé de la Bosnie-Herzégovine49 .

Ces propositions de recherche archéologique n’avaient cependant qu’un seul but : « prouver » qu’une église catholique avait existé sur le site avant la conquête ottomane de la Bosnie‑Herzégovine et qu’elle avait été détruite pour permettre la construction d’une mosquée sur son emplacement. Selon cette stratégie, empêcher la reconstruction de la mosquée permettait de réparer une injustice historique. Les arguments selon lesquels une église avait préalablement existé sur le site d’une mosquée avaient en commun de citer les travaux d’historiens bosniaques (musulmans) de premier plan. La tactique consistant à imposer la nécessité de procéder à des fouilles archéologiques pour essayer de retarder ou d’empêcher la reconstruction de mosquées a été utilisée sur les sites de la mosquée Atik à Bijeljina, de la mosquée Ferhadija à Banja Luka et de la mosquée Osman-paša à Trebinje (tous en Republika Srpska), ainsi que sur les sites de la mosquée Čaršija à Stolac et de la mosquée Šišman Ibrahim-paša à Počitelj (au sein de la Fédération).

À Stolac, les personnes qui avaient été déplacées de force ont commencé à revenir et à faire valoir leurs droits à un patrimoine et à une identité dans l’espace public. Les musulmans et les Serbes de la municipalité de Stolac avaient été victimes d’un nettoyage ethnique de la part des forces croates de Bosnie, le patrimoine ottoman de la ville avait été dévasté et ses mosquées et églises orthodoxes rasées lors d’un des épisodes de destruction culturelle le plus notoire de la guerre de Bosnie. Rares sont ceux qui visitent aujourd’hui la ville construite en pierres, autrefois jolie, et dont le paysage dévasté a été comparé à celui de Dresde après la Seconde Guerre mondiale. Les autorités municipales de Stolac étaient, après la guerre (et sont encore), dominées par des nationalistes croates radicaux qui ont fondé pour Stolac une identité culturelle censée être purement croate et catholique.

À compter du printemps 2001, les rapatriés de Stolac ont commencé à élaborer des plans pour reconstruire la mosquée Čaršija dans ce qui avait été autrefois le centre de la petite ville avec son complexe harmonieux d’édifices ottomans, mais qui en était désormais le cœur vide. En réponse à ceux qui voulaient réécrire l’histoire culturelle de la ville en la décrivant comme un lieu sans présence musulmane, la reconstruction de la mosquée serait le début de la réottomanisation et islamisation de Stolac. Le prêtre catholique local, Don Rajko Marković et l’évêque catholique romain de Mostar, Ratko Perić, ont défendu l’idée selon laquelle un édifice chrétien avait préalablement existé sur le site de la mosquée et ont affirmé qu’il était important de procéder à des fouilles archéologiques sur le site50 . Marković a demandé un permis pour construire une église sur l’ancien emplacement de la mosquée.

Les « preuves » de l’existence de l’église (appelée Sainte-Anne) étaient constituées par des légendes locales et reposaient sur l’hypothèse selon laquelle une mosquée aurait pu être construite sur une église, formulée dans un ouvrage d’Hivzija Hasandedić, l’historien bosniaque (musulman) très respecté51 . Hasandedić a ensuite publiquement condamné cette interprétation délibérément tronquée de son texte52 . De son côté, l’évêque Perić a adopté une ligne moralement juste et a écrit que la reconstruction de la mosquée Čaršija serait « un nouvel acte irréligieux, injuste et immoral » si les travaux de restauration se poursuivaient – la destruction de la mosquée en 1993 avait constitué un crime et il serait tout aussi criminel de reconstruire la mosquée sur un site chrétien sacré53 .

Un argument « scientifique » justifiant des fouilles archéologiques a été avancé lors de la table ronde organisée à Stolac en octobre 2001. De nombreux archéologues et historiens professionnels croates et croates de Bosnie ont mis en place un cadre universitaire et fait en sorte que leurs conclusions soient respectées. Lors de l’une de leurs réunions, les experts ont affirmé avec assurance l’existence préalable d’une église sur le site de la mosquée Čaršija. Les participants à la table ronde ont condamné la soi-disant destruction de l’église présumée par les Ottomans au seizième siècle, qu’ils ont qualifiée de crime contre l’humanité qui ne pourrait jamais « être prescrite » et d’injustice qu’il fallait maintenant réparer. Ils ont demandé que des fouilles archéologiques soient menées sur le site de la mosquée dans la recherche de la « vérité » et de la « justice », une voie que la communauté internationale devrait encourager54 .

Ces appels crédibles, apparemment rigoureusement « scientifiques » et « professionnels » en faveur de fouilles archéologiques sur des sites où des bâtiments historiques avaient été détruits (toujours des mosquées sur le point d’être reconstruites) ont parfois réussi à décider des professionnels du patrimoine de toutes les ethnies, par ailleurs bien intentionnés, à déclarer leur soutien à cette prétendue chance d’explorer le passé diversifié de la Bosnie-Herzégovine. Mais il était évident que ce besoin de procéder à des fouilles visait uniquement à empêcher la reconstruction de mosquées au cœur des villes qui avaient subi un nettoyage ethnique et dans lesquelles les victimes de ce nettoyage revenaient. Le Bureau du Haut-Représentant a commencé à adopter une position ferme au sujet des nombreuses tentatives persistantes visant à entraver la reconstruction des mosquées, y compris les demandes de fouilles archéologiques et a refusé d’autoriser la réalisation de telles fouilles.

Une seule exception a été admise pour le site de la mosquée Atik totalement détruite à Bijeljina, désormais située en Republika Srpska, près de la frontière serbe. En effet, vingt-deux pierres tombales chrétiennes datant de l’époque médiévale préottomane, connues en Bosnie-Herzégovine, sous le nom de stećci, certaines avec des inscriptions en cyrillique, ainsi qu’un certain nombre de restes humains sans lien, avaient bel et bien été découverts en décembre 2002 alors que les fondations restantes de la mosquée étaient déterrées en vue de sa reconstruction. Le Bureau du Haut-Représentant a alors autorisé les fouilles dans un laps de temps strictement limité.

La découverte a stimulé les médias locaux serbes de Bosnie et a conduit certains habitants à affirmer que ce qui avait été trouvé correspondait aux restes d’une église et d’un cimetière médiévaux, à des squelettes et des os de chrétiens morts depuis longtemps. L’opposition à la reconstruction de la mosquée a donné lieu à des veillées à la bougie pour les âmes des chrétiens sur les tombes desquels la mosquée aurait été construite. Une coalition de six ONG serbes locales a lancé un appel en faveur de la construction sur le site d’un « établissement multinational et multireligieux, symbole de coexistence [traduction CICR] », plutôt que d’une mosquée, menaçant d’avoir recours à des « mesures et activités inconstitutionnelles » si leur demande n’était pas satisfaite.

Les fouilles devaient être le dernier d’une série de retards et d’entraves empêchant le lancement de la reconstruction de la mosquée Atik qui, malgré une décision rendue par la Chambre des droits de l’homme le 8 mars 2001 selon laquelle un permis de reconstruction de la mosquée devait être délivré dans un délai de trois mois, n’a pas été autorisé avant décembre 2002. Cela étant, le Bureau du Haut-Représentant a constamment et expressément cité la décision de la Chambre des droits de l’homme concernant la reconstruction de la mosquée et sa protection en vertu de l’Annexe 8 de l’Accord de paix de Dayton qui a servi de fondement à sa décision. Cela a incité ceux qui n’avaient pas pu effectuer de fouilles sur le site de la mosquée Čaršija de Stolac à accuser le Bureau du Haut-Représentant de discrimination puisqu’il avait approuvé les fouilles sur le site de la mosquée Atik.

Sur ce site, les fouilles ont été effectuées par une équipe composée d’archéologues du Zemaljski Muzej (Musée national de la Bosnie-Herzégovine) de Sarajevo et d’institutions chargées du patrimoine de la Republika Srpska. L’équipe a estimé avec certitude qu’aucune église n’avait préalablement existé sur le site et que les pierres tombales avaient été apportées d’ailleurs uniquement pour servir de fondations à la première construction de la mosquée Atik au seizième siècle. Les restes humains étaient en fait ceux de musulmans enterrés dans un cimetière situé près de la mosquée et qui n’était plus utilisé depuis longtemps. Les détracteurs ont néanmoins déclaré que les restes d’une église auraient sûrement été trouvés si les archéologues avaient continué de creuser. Après une présentation des résultats des fouilles, la reconstruction de la mosquée Atik a repris au printemps 2003.

L’utilisation abusive de l’archéologie ne fut pas le seul aspect qui caractérisa les premiers retours de victimes du nettoyage ethnique, mais c’est encore le cas aujourd’hui. Revenons à Foča pour examiner le cas de la mosquée Careva datant du seizième siècle qui a été rasée. Il a fallu attendre le 22 octobre 2012 pour que la première pierre de la mosquée reconstruite soit finalement posée, plus de vingt ans après la destruction du bâtiment d’origine. Mais au moment où la reconstruction allait commencer, les autorités locales de l’Église orthodoxe serbe ont demandé l’interruption des travaux, affirmant (comme à Stolac) que la mosquée avait été construite sur les fondations d’une église, en l’occurrence orthodoxe. Elles ont insisté pour que des recherches archéologiques aient lieu pour permettre d’établir les « faits55  ».

Tout cela a eu lieu en dépit du fait que le site de la mosquée Careva avait été classé monument national en 2004 et que la Communauté islamique de Foča avait obtenu l’autorisation des autorités de la Republika Srpska pour lancer la reconstruction. Beaucoup se sont demandé pourquoi l’Église orthodoxe serbe avait attendu dix-sept ans après la fin de la guerre pour soulever cette question. Une fois encore, comme à Stolac, les représentants de l’Église orthodoxe serbe ont tiré leurs « preuves » des écrits d’un historien bosniaque, allégations formulées par Alija Bejtić dans un article de 1956, mais dont l’interprétation avait été totalement rejetée plus tard par d’autres historiens56 .

Il n’en reste pas moins que les travaux ont été suspendus tandis que des archéologues de l’Institut de la protection du patrimoine culturel, historique et naturel de la Republika Srpska fouillaient le site. Mais la question ne se posait plus de savoir si la reconstruction de la mosquée aurait lieu, quelles que soient les tentatives d’obstruction. Fin avril 2013, les recherches archéologiques étaient terminées et même si les fondations d’un édifice pré-ottoman ont été découvertes sur le site, rien ne permettait d’affirmer qu’il s’agissait des fondations d’une église et la reconstruction de la mosquée Careva a pu reprendre.

Lieux de mémoire : construire une Bosnie virtuelle

Les multiples sites web de villes et villages créés par les réfugiés et les personnes déplacées pendant et après la guerre, ont joué un rôle essentiel pour préserver la mémoire de ce qui avait été perdu en raison de la destruction et de l’absence57 . Créés à une époque où l’utilisation d’internet se généralisait, ces sites web ont conçu une Bosnie virtuelle qui a permis aux communautés dispersées partout dans le monde de maintenir une cohésion vitale. Ces portails de victimes du nettoyage ethnique constituaient de véritables sites de préservation de la mémoire, du patrimoine et de l’identité.

Alors que les auteurs du nettoyage ethnique et leurs partisans commençaient à réécrire le passé local, l’histoire de villes et de villages d’avant la guerre était ainsi rappelée, documentée et mise à la disposition des personnes déplacées de force qui pouvaient consulter les pages de ces sites web. On y trouvait des galeries de photographies d’avant-guerre, de vieilles cartes postales et d’autres illustrations d’édifices, de paysages urbains, de personnes et d’événements aujourd’hui disparus, appartenant à un passé plus ou moins lointain, ainsi que des informations sur l’histoire et le patrimoine (souvent tirées de travaux de recherche) et même des documents aussi ordinaires et pourtant révélateurs que les annuaires téléphoniques d’avant-guerre58 .

Après la fin de la guerre, alors que certaines des communautés expulsées commençaient à revenir (ou, dans certains cas, avant qu’elles ne commencent à revenir), les sites web ont permis des actions de soutien communautaire « réparatrices », comme des collectes de fonds pour la reconstruction des mosquées et des églises locales. La plupart de ces sites ont aujourd’hui disparu du web, ce qui représente une perte considérable de la mémoire des communautés que ces sites abritaient et qui, pour la plupart, n’ont pas été enregistrés.

Reconstruire le patrimoine

Parmi les sites web qui fonctionnent encore en 2019, on trouve le site Bošnjaći.net qui est le plus largement partagé. À compter de 2006, Bošnjaći.net a publié des campagnes de collecte de fonds pour la reconstruction des mosquées démolies et en ruine en Herzégovine orientale, aujourd’hui situées en Republika Srpska. Peu de musulmans étaient revenus dans la région et il a été estimé que la situation de ceux qui étaient revenus était la pire du pays. En 2009, la campagne a ouvertement encouragé les musulmans à ne pas abandonner leurs « traces culturelles et religieuses dans la région » et les engageait à continuer avec acharnement à préserver leur patrimoine et leur identité59 . Ainsi, la collecte de fonds a permis de lancer la reconstruction et la restauration des mosquées des petites villes et villages de Nevesinje, Odžak, Gacko, Bileća, Ljubinje, Trebinje, Gornje Grančarevo, Lastva, Pridvorci et Skočigrm.

C’est dans ces circonstances difficiles que les rapatriés se sont attachés à véritablement « restaurer » leurs communautés, y compris le droit à la visibilité dans l’espace public grâce à la reconstruction des marqueurs bâtis de l’identité de leur communauté et ce, souvent, comme nous l’avons vu, en étant confrontés à la ferme opposition et à l’animosité des autorités locales radicalement nationalistes et de leurs partisans. En observant certaines des initiatives visant à reconstruire des biens culturels et religieux musulmans délibérément détruits pendant la guerre de Bosnie dans des zones qui avaient été particulièrement victimes du vaste nettoyage ethnique, on comprend le sens que ces reconstructions ont fini par avoir à la fois pour ceux qui sont revenus et ceux qui ne sont pas revenus, ainsi que pour les musulmans de Bosnie et la Communauté islamique dans son ensemble.

La reconstruction de ces édifices religieux intentionnellement détruits est presque devenue pour les victimes du nettoyage ethnique de retour chez elles une nécessité absolue, qui a non seulement contribué au rétablissement d’un sentiment d’appartenance, mais qui a également constitué un acte puissant de mémoire et de témoignage, pour faire échec à la réécriture de l’histoire par les auteurs du nettoyage ethnique. Comme nous le verrons, ces reconstructions ont même eu lieu lorsque les survivants du nettoyage ethnique ne sont pas physiquement revenus chez eux.

« De même qu’il est de notre devoir de ne pas oublier Srebrenica, l’holocauste des Juifs, il est de notre devoir de ne pas oublier nos mosquées démolies [traduction CICR]60  ». Tels ont été les mots qu’Enis Tanović, dirigeant de la Communauté islamique de la petite ville de Gacko en Herzégovine orientale, aujourd’hui en Republika Srpska et non loin de Foča, a employés le 7 mai 2014 alors qu’il s’adressait à une assemblée réunie devant la mosquée de Gacko récemment reconstruite et qui avait fait partie des édifices visés par les campagnes lancées sur Bošnjaći.net. Avant la guerre, la population de Gacko était presque également divisée entre Serbes et musulmans, mais la petite ville et sa région ont été le théâtre d’un violent nettoyage ethnique de la population musulmane au début de la guerre en 1992. Aujourd’hui, plus de vingt ans après, pas un seul musulman n’est revenu vivre dans la ville, bien qu’un petit nombre soit de retour dans les villages voisins.

Le 7 mai marque l’anniversaire de la destruction de la mosquée Ferhadija à Banja Luka en 1993 et la date avait été choisie par la Communauté islamique pour célébrer la Journée de la mosquée, au cours de laquelle les musulmans étaient censés réfléchir non seulement à l’importance de la mosquée dans l’islam, mais aussi à la destruction intentionnelle des mosquées pendant la guerre de 1992–1995.

À Gacko, Enis Tanović avait dirigé d’une main de fer la Communauté islamique locale et ses efforts de reconstruction, mais la ville de Gacko d’après‑guerre n’était plus un endroit où les musulmans pouvaient se sentir chez eux. Sur l’ensemble du territoire municipal, six mosquées avaient été détruites. Parmi les trois reconstruites depuis la fin de la guerre, deux ont subi de nouvelles attaques en 2001 et 2008, longtemps après la signature de l’Accord de paix de Dayton. Les premiers rapatriés qui essayaient de reconstruire leur maison retrouvaient souvent des mines terrestres placées sur leur terrain en ruine. Même en 2014, lorsque Tanović s’est adressé à l’assemblée réunie devant la mosquée reconstruite, on entendait des chants antimusulmans provenant des cafés voisins et de nombreux murs de la ville étaient couverts de graffitis glorifiant les criminels de guerre condamnés Ratko Mladić et Vojislav Šešelj. Malgré cela, Tanović a eu le sentiment d’être mû par une mission impérieuse, à savoir « ramener la vie à Gacko », pour rétablir un sentiment d’« appartenance », en commençant par la reconstruction des mosquées et la restauration des lieux qui, selon lui, constituaient une base indispensable sur laquelle ceux qui viendraient après lui pourraient s’appuyer61 .

Dans la ville voisine de Nevesinje, l’imam local, Mehmed Čopelj, a raconté une histoire similaire lorsqu’il a emmené l’auteure et son collègue Richard Carlton sur les différents sites religieux de la petite ville et de ses environs. Nous avions visité Nevesinje en 2000 lorsque nous documentions la destruction de biens culturels et religieux dans la Republika Srpska puis y étions retournés en 2015 pour voir de nos propres yeux la façon dont le retour et la reconstruction avaient évolué. Comme à Gacko, la population non serbe de Nevesinje avait été victime d’un violent nettoyage ethnique qui avait notamment donné lieu à la destruction totale des mosquées de la ville en état de fonctionnement et de son église catholique, le tout sans que la moindre opération militaire se déroule dans la ville. Avant la guerre de 1992–1995, les musulmans représentaient un peu plus de 15 % de la population de la ville. Pourtant, en 2015, pas un seul musulman (y compris Čopelj lui-même) n’était revenu vivre dans la ville à proprement parler, principalement en raison de craintes liées à la sécurité – même si certains vivaient dans des villages voisins. Aucun musulman n’osait alors vivre à Nevesinje.

Il n’en reste pas moins que deux mosquées avaient été restaurées dans le centre‑ville, ainsi que la mosquée Ljubović datant du dix‑septième siècle, et située dans le village voisin d’Odžac (où aucun musulman ne vivait). La mosquée Čučkova, qui servait d’atelier avant la guerre et qui n’avait pas été endommagée, a été la première à être restaurée pour redevenir une mosquée en état de fonctionnement. La reconstruction de la grande mosquée Careva était presque terminée. Elle avait été complètement détruite en 1992 et ses vestiges (ainsi que ceux de l’église catholique) avaient été jetés dans une décharge à l’extérieur de la ville.

La Communauté islamique locale avait également obtenu la permission de reconstruire un troisième édifice religieux dans le centre de Nevesinje, la mosquée Dugalića. Mais outre la question du financement, étant donné que si peu de musulmans étaient revenus et qu’ils disposaient déjà de deux mosquées en état de fonctionnement, Čopelj était tenu de demander : « Qui s’y rendrait ? Nous n’avons pas besoin d’une autre mosquée. » Pourtant, quand nous avons vu le site de la mosquée Dugalića, c’était comme si rien ne s’était passé pendant les quinze années qui s’étaient écoulées depuis que nous avions parcouru la Republika Srpska où nous avions vu des parkings et des tas de pierres. Le site non clôturé de la mosquée était encore utilisé pour garer des voitures, déposer des bennes à ordures et couper du bois, tout cela étant théoriquement illégal. Pendant ce temps, l’église orthodoxe serbe voisine, dont l’enceinte était entourée d’une clôture basse, était soigneusement et magnifiquement entretenue.

Mosquées mémoriaux

La restauration est par ailleurs devenue un outil puissant pour témoigner de l’existence historique, avant la guerre, de communautés qui avaient été victimes d’un nettoyage ethnique, pour rétablir une présence musulmane visible, même en l’absence des musulmans eux-mêmes. Ainsi, à certains endroits, les survivants expulsés (mais absents) qui avaient été victimes du nettoyage ethnique ont refusé d’abandonner leurs « traces culturelles et religieuses » et ont décidé de reconstruire leur patrimoine détruit, un phénomène qui a été désigné par l’expression « memorial Mosques » (« mosquées mémoriaux62  »).

L’une de ces mosquées commémoratives était la mosquée Avdić datant du dix-septième siècle et située dans le village musulman dévasté de Plana, avec son minaret caractéristique, carré, ressemblant à un campanile, qui aurait été construit à l’origine par des bâtisseurs chrétiens de Dubrovnik située sur la mer Adriatique voisine. Plana se trouve près de la route principale qui se dirige vers le nord en partant de Bileća et est encore aujourd’hui un bastion de soutien au chef paramilitaire serbe et criminel de guerre condamné Vojislav Šešelj. Les habitants de Plana sont désormais éparpillés partout dans le monde, que ce soit en Amérique, en Australie et en Scandinavie, ou dans d’autres régions de la Fédération comme Tuzla, Zenica et Sarajevo.

En décembre 2008, la campagne en faveur de la mosquée Avdić avait permis de récolter plus de 10 500 $ de la part de donateurs qui avaient versé des sommes allant de 20 $ à plus de 2 000 $63 et des campagnes de collecte de fonds étaient menées par l’Association des citoyens de Bileća depuis la ville lointaine de Chicago. Pourtant, la reconstruction a pris énormément de temps : alors que la structure principale de la mosquée était reconstruite en 2010, les fonds n’étaient pas suffisants pour terminer les travaux et la mosquée n’a pas officiellement rouvert avant 2013, soit plus de vingt ans après avoir été détruite. Lorsque l’auteure a visité la mosquée en 2015, pas une seule personne n’était revenue vivre dans le village dévasté, dont les maisons sans toit demeuraient vides. Le premier mevlud64 en un quart de siècle, s’est tenu à la mosquée en mai 2017 pour célébrer son 400e anniversaire. Cette occasion a permis de rassembler d’anciens habitants déplacés en raison de la guerre et même les descendants de ceux qui avaient fui lors de conflits antérieurs65 . Ce retour n’était cependant que temporaire et Plana reste un village vidé de ses habitants. Seules les personnes décédées récemment sont revenues, définitivement, puisqu’elles sont enterrées dans le cimetière à côté de la mosquée.

Conclusion

Nous avons donc vu à quel point la restauration et la reconstruction de biens culturels et religieux détruits intentionnellement pendant la guerre dans le but de créer des espaces d’apparence mono-ethnique pouvaient être un processus difficile, long et souvent violemment contesté. Lorsque le patrimoine culturel a été instrumentalisé pendant des guerres et des conflits, ni les auteurs des destructions ni leurs victimes ne sont en mesure, à court ou même à moyen terme, d’oublier. Loin d’avoir permis la réconciliation, la restauration du patrimoine culturel détruit en Bosnie-Herzégovine fut plus souvent source de conflits, en particulier lors de la reconstruction d’édifices religieux, dont la fonction de marqueurs d’identité est évidente, ce qui est la raison même qui avait initialement conduit à leur destruction.

  • 1Voir Helen Walasek, Bosnia and the Destruction of Cultural Heritage, Routledge, Londres, 2015, pour de plus amples développements sur les sujets abordés dans le présent article.
  • 2Nihad Čengić, conservateur d’art puis membre du personnel de l’Office pour la protection des biens culturels à Sarajevo, cité dans Bill Schiller, « Bosnian Artists Save Heritage Treasures », Toronto Star, 15 mai 1993, p. A10.
  • 3Enis Tanović, s’exprimant à Gacko, le 7 mai 2014, cité dans « Dan džamija: U Gacku su od Dejtona do danas dvije džamije dva puta obnavljane », Klix, 7 mai 2014, disponible sur : https://tinyurl.com/y4zfs5xj (toutes les références internet ont été vérifiées en mars 2022).
  • 4Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine, également connu sous le nom d’Accord de paix de Dayton ou d’Accords de Dayton, disponible sur : https://peacemaker.un.org/bosniadaytonagreement95.
  • 5Voir, par exemple, Édouard Planche, spécialiste du patrimoine de l’UNESCO, cité dans James Reinle, « UN Unable to Stop IS Relic-Smuggling from Iraq and Syria », Middle East Eye, 4 juin 2015, disponible sur : www.middleeasteye.net/news/un-unable-stop-relic-smuggling-iraq-and-syria.
  • 6Pour un récit plus complet du déroulement de la guerre en Bosnie‑Herzégovine, voir Marko Attila Hoare, The History of Bosnia: From the Middle Ages to the Present Day, Saqi, Londres, 2007.
  • 7Pour un récit plus complet, voir H. Walasek, op.cit. note 1.
  • 8Pour de plus amples informations, voir Helen Walasek, « Destruction of the Cultural Heritage in Bosnia-Herzegovina: An Overview », ibid.
  • 9Voir H. Walasek, op. cit. note 1.
  • 10Kirsten Young, « UNHCR and ICRC in the Former Yugoslavia: Bosnia‑Herzegovina », Revue internationale de la Croix-Rouge, vol. 83, n° 843, 2001, pp. 764-786 ; Maria Teresa Dulti, Protection des biens culturels en cas de conflit armé : Rapport d’une réunion d’experts (Genève, 5-6 octobre 2000), Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Services consultatifs en droit international humanitaire, Genève, 2001.
  • 11D’après les chiffres de la communauté islamique de Bosnie‑Herzégovine. Voir « Dan dzamija », 6 mai 2015, disponible sur : www.islamskazajednica.ba/vijesti/aktuelno/22237-dan-dzamija. Bien entendu, de nombreux édifices religieux sans valeur architecturale ou historique ont également été détruits dans le cadre des mêmes processus. Par ailleurs, environ 233 églises catholiques et 70 églises orthodoxes (y compris des monastères) ont été détruites ou sérieusement endommagées pendant le conflit.
  • 12Herceg‑Bosna a cessé d’exister après la signature en mars 1994 de l’Accord de Washington qui a mis fin aux combats. L’Accord a créé la Fédération de Bosnie‑Herzégovine, la Fédération dite croato‑musulmane. Toutefois, pendant le conflit, les séparatistes ont reçu un soutien considérable de la Croatie et de l’armée croate. Le HVO était la force militaire de Herceg‑Bosna.
  • 13Il restait alors peu de résidents serbes de Bosnie, car la plupart avaient fui ou avaient été expulsés.
  • 14Voir H. Walasek, op. cit. note 1, pour un récit plus complet des destructions en Bosnie-Herzégovine et de leurs répercussions.
  • 15András Riedlmayer, « Erasing the Past: The Destruction of Libraries and Archives in Bosnia-Herzegovina », Middle East Studies Association Bulletin, vol. 29, n° 1, 1995.
  • 16Carol J Williams, « Serbs Stay Their Ground on Muslim Lands », Los Angeles Times, 28 mars 1993, disponible sur : www.latimes.com/archives/la-xpm-1993-03-28-mn-16253-story.html.
  • 17Mike Sula, « On Top of the World », Chigaco Reader, 4 mars 1999, disponible sur : www.chicagoreader.com/chicago/on-top-of-the-world/Content?oid=898556.
  • 18Le siège du TPIY était à La Haye, aux Pays‑Bas. Son mandat a pris fin en 2017 ; les fonctions résiduelles du TPIY sont exercées par le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux. Voir https://www.icty.org/fr pour de plus amples informations sur les travaux du TPIY.
  • 19Serge Brammertz, Kevin C. Hughes, Alison Kipp et William B. Tomljanovich, « Attacks against Cultural Heritage as a Weapon of War: Prosecutions at the ICTY », Journal of International Criminal Justice, vol. 14, n° 5, 2016.
  • 20Voir Rapport final de la Commission d’experts, Doc. NU S/1994/674, 1994, par. 136.
  • 21Tupajić a témoigné devant le TPIY. Voir TPIY, Krajišnik, affaire n° IT-00-39-T, 29 juin 2005, p. 15432, disponible sur : https://www.icty.org/x/cases/krajisnik/trans/fr/050629IT.htm.
  • 22Rapport final de la Commission d’experts, annexe IV : The Policy of Ethnic Cleansing, Doc. NU S/1994/674/Add.2 (vol. I), 28 décembre 1994, Introduction; CIA, Sanitized Bosnia, Serb Ethnic Cleansing, 4 janvier 1995, disponible sur : https://www.cia.gov/readingroom/document/0001074874. Voir également « Ethnic Cleansing and Atrocities in Bosnia », déclaration du directeur adjoint de la CIA chargé des renseignements John Gannon, audience publique de la Commission spéciale du Sénat des États-Unis sur le renseignement (SSCI) et de la Commission spéciale du Sénat sur les relations extérieures (SFRC), 9 août 1995, disponible sur : https://irp.fas.org/cia/product/ddi_testimony_8995.html.
  • 23Colin Kaiser, Report on Destruction of Cultural Property 09-Jul-02, affaire Krajišnik, affaire n° IT-00-39, 2002, p. 4.
  • 24Marija Arnautovic, « Bosnia: The Village Where Hate Never Triumphed », Institute for War and Peace Reporting, numéro TRI 642, 10 avril 2010, disponible sur : iwpr.net/global-voices/bosnia-village-where-hate-never-triumphed.
  • 25« Renaming Fashion », Transitions Online, 12 avril 1993, disponible sur : https://tol.org/client/article/15051.html. Voir également « Serbs Would Change Name of Sarajevo », AP News, 10 novembre 1992, disponible sur : https://tinyurl.com/yyerzuwv ; Dusko Doder, « Warring Bosnia Factions Practice Linguistic Cleansing of Geographic Names », Baltimore Sun, 4 mai 1993, disponible sur : https://www.baltimoresun.com/news/bs-xpm-1993-05-04-1993124122-story.ht….
  • 26S. Brammertz et al., op. cit. note 19.
  • 27Les crimes commis contre la population musulmane de Foča ont fait l’objet d’un certain nombre d’affaires portées devant le TPIY. Voir TPIY, « Facts about Foča », disponible sur : www.icty.org/x/file/Outreach/view_from_hague/jit_foca_en.pdf.
  • 28Voir H. Walasek, op. cit. note 1, p. 34.
  • 29TPIY, Le Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovač, Zoran Vuković (Foča), affaire nos IT-96-23-T, IT-96-23/1-T, jugement, 22 février 2001, par. 47.
  • 30Voir TPIY, Le Procureur c. Milorad Krnojelac (Foča), affaire n° IT-97-25-T, témoignage de Racine Manas, 18 janvier 2001, pp. 1854-1866.
  • 31Richard Wright, Exhumations at Brčko, rapport pour le TPIY, réf. n° 02926651, 23 août 1998.
  • 32En ce qui concerne le droit au patrimoine culturel en tant que droit de l’homme, il existe une littérature de plus en plus abondante sur le sujet, notamment grâce aux rapports et déclarations de Karima Bennoune, la Rapporteuse spéciale des Nations unies dans le domaine des droits culturels ; voir : www.ohchr.org/fr/Issues/CulturalRights/Pages/SRCulturalRightsIndex.aspx. Voir également Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, « The Destruction of Cultural Heritage Is a Violation of Human Rights », communiqué de presse, 4 mars 2016, disponible sur : https://www.ohchr.org/en/press-releases/2016/03/destruction-cultural-he…;; UNESCO, « L’UNESCO et le Comité international de la Croix Rouge (CICR) s’unissent pour protéger le patrimoine culturel en cas de conflit armé », communiqué de presse, 29 février 2016, disponible sur : www.unesco.org/new/fr/member-states/single-view/news/unesco_and_icrc_pa…;; CICR, « Protection des biens culturels – Questions & réponses », 30 octobre 2017, disponible sur : www.icrc.org/fr/document/protection-des-biens-culturels-questions-repon….
  • 33Voir, par exemple, Specific Action Plan for Bosnia-Herzegovina, Preliminary Phase: Final Report, Programme de coopération et d’assistance techniques relatives à la conservation intégrée du patrimoine culturel, Conseil de l’Europe, division du patrimoine culturel, Strasbourg, mars 1999, p. 5 ; « Rencontre avec Gilles Péqueux, ingénieur responsable de la reconstruction du pont de Mostar », Courrier des Balkans, 1er mars 2003, disponible sur : https://tinyurl.com/y4pw47sl ; Andrea Rossini, « Ricostruire il ponte di Mostar seguendone lo “stato dello spirito” », Osservatorio Balcani e Caucaso, 11 avril 2003, disponible sur : https://tinyurl.com/y6rw6ezz.
  • 34L’intégralité du texte de l’Accord de paix de Dayton est disponible sur : https://peacemaker.un.org/bosniadaytonagreement95.
  • 35Voir, par exemple, Emily Makas, « Representing Competing Identities: Building and Rebuilding in Postwar Mostar », thèse de doctorat, Université de Caroline du Nord à Charlotte, 2007, pp. 324-329, disponible sur : uncc.academia.edu/EmilyMakas ; Banque mondiale, Project Appraisal Document on a Proposed Credit in the Amount of SDR 3.0 Million (US$4.0 Million Equivalent) to Bosnia and Herzegovina for a Pilot Cultural Heritage Project, rapport n° 19115-BiH, Unité chargée du secteur infrastructure, Bureau régional Europe et Asie centrale, 14 juillet 1999 ; Banque mondiale, Implementation Completion Report on a Credit in the Amount of US$4.0 Million Equivalent to Bosnia and Herzegovina for a Pilot Cultural Heritage Project, rapport n° 32713, Unité chargée du secteur infrastructure, Bureau régional Europe et Asie centrale, 22 juin 2005.
  • 36Notamment dans le nord-ouest, le nord-est et l’est de la Bosnie‑Herzégovine (comme à Prijedor, Bosanska, Krupa, Bijeljina, Zvornik, Brčko, Foča, Gacko, Trebinje) et à Stolac.
  • 37Ce fut le cas lorsqu’il a été envisagé de reconstruire la mosquée Ferhadija à Banja Luka, la mosquée Atik à Bijeljina et la mosquée Kizlaragina à Mirkonjić Grad.
  • 38Comme, par exemple, sur le site de la mosquée Kizlaragina à Mirkonjić Grad.
  • 39Comme pour la mosquée Ferhadija à Banja Luka et la mosquée Atik à Bijeljina.
  • 40La propriété collective est née après la Seconde Guerre mondiale, à l’époque de la République fédérale socialiste de Yougoslavie dont faisait partie la République de Bosnie-Herzégovine. Au sujet de la mosquée Atik, voir HRC (Chambre des droits de l’homme pour la Bosnie-Herzégovine), The Islamic Community in Bosnia and Herzegovina v. The Republika Srpska (Bijeljina Mosques), affaire n° CH/99/2656, Décision sur la recevabilité et sur le fond, 6 décembre 2000.
  • 41La Communauté islamique (Islamska Zajednica) est une entité juridique qui représente la pratique officielle de l’islam en Bosnie-Herzégovine.
  • 42HRC, The Islamic Community in Bosnia and Herzegovina v. The Republika Srpska (Banja Luka Mosques), affaire n° CH/96/29, Décision sur la recevabilité et sur le fond, 11 juin 1999. Voir aussi Brett Dakin, « The Islamic Community in Bosnia and Herzegovina v. The Republika Srpska: Human Rights in a Multi-Ethnic Bosnia », Harvard Human Rights Journal, vol. 15, printemps 2002.
  • 43Entretien avec François Perez, Bijeljina, 28 septembre 1999, in Human Rights Watch, Bosnia and Hercegovina, Unfinished Business: The Return of Refugees and Displaced Persons to Bijeljina. Abuses against Minorities after the War, vol. 12, n° 7(D), mai 2000.
  • 44Voir Amra Hadžimuhamedović, « The Built Heritage in the Post-War Reconstruction of Stolac », in H. Walasek, op. cit. note 1, chap. 6. Voir également Edin Mulać (dir.) « Written Memory against Apartheid in the Municipality of Stolac », in The Revival of Stolac, Association pour le renouvellement de la confiance citoyenne dans la municipalité de Stolac, Sarajevo, 8 juillet 2001.
  • 45Également parfois appelée la mosquée Careva, Carska, Empereur ou Impériale. Sa reconstruction s’est achevée en 2003.
  • 46Voir la déclaration préliminaire in Edin Mulać (dir.) « Crimes in Stolac Municipality (1992-1996) », in The Revival of Stolac, Association pour le renouvellement de la confiance citoyenne dans la municipalité de Stolac, Sarajevo, 2001, réimprimé avec addenda.
  • 47« Riots Halts Bosnia Mosque Building », BBC News, 7 mai 2001, disponible sur : news.bbc.co.uk/2/hi/europe/1317366.stm ; Radio Free Europe/Radio Liberty, « Bosnian Serbs Sentenced over Mosque Incident », RFERL Newsline, 29 avril 2002, disponible sur : www.rferl.org/a/1142665.html ; Beth Kampschror, « News from Bosnia: RS Leaders under Pressure », Central Europe Review, 25 mai 2001, disponible sur : www.pecina.cz/files/www.ce-review.org/01/17/bosnianews17.html ; Bureau du Haut‑Représentant, « High Representative Appalled at Trebinje Violence », communiqué de presse, Sarajevo, 5 mai 2001, disponible sur : www.ohr.int/?p=56153.
  • 48Concernant les événements qui se sont déroulés à Stolac en juin 2001, voir A. Hadžimuhamedović, op. cit. note 44.
  • 49Par exemple, la table ronde universitaire qui s’est tenue à Stolac le 5 octobre 2001, intitulée « La région de Stolac au XVIe siècle : situation religieuse et politique » (plus d’informations ci-dessous) et « Histoire de la ville croate de Počitelj », qui s’est tenue à Počitelj en 1996.
  • 50Zvonko Dragić, « Who Are Victims of Apartheid in Stolac? », Hrvatska Rijec, 3 septembre 2001.
  • 51L’ouvrage mentionné d’Hivzija Hasandedić était Muslimanska Baština Istočne Hercegovine (patrimoine musulman en Herzégovine orientale), El Kalem, Sarajevo, 1990.
  • 52Amra Hadžimuhamedović, « Cultural Memory in Stolac – Destruction and Reconstruction », in Amra Hadžimuhamedović (dir.), Human Rights and Destruction of Culturel Memory: The Stolac Case, Norwegian Helsinki Committee, Oslo, 2005, p. 278.
  • 53Senad Mehmedbašić, « Second Letter to Bishop Perić », Association pour le renouvellement de la confiance citoyenne dans la municipalité de Stolac, 22 septembre 2001, p. 5.
  • 54Zvonko Dragić, « Croat Scientists Appealed for Protection of Cultural-Historical Heritage: Their Bosniak Colleagues Ignored Gathering », Hrvatska Rijec, 29 octobre 2001 ; Don Luka Pavlović, « Slučaj Sultanove Džamije u Stocu u Hercegovini », Biskupije Mostar-Duvno i Trebinje-Mrkan, 30 novembre 2002, disponible sur : https://md-tm.biskupija-mostar.ba/clanci/sedlarove-klevete.
  • 55Voir « Arheolozi ne ugrožavaju obnovu hrama », Glas Srpske, 11 novembre 2012, disponible sur : www.glassrpske.com/lat/drustvo/vijesti/Arheolozi-ne-ugrozavaju-obnovu-h…;; « Arheolozi istražuju lokalitet fočanske Careve džamije », Tuzla Live, 20 avril 2013, disponible sur : tuzlalive.ba/arheolozi-istrazuju-lokalitet-focanske-careve-dzamije-84662/ ; « U Foči ponovno pokrenuti radovi na Carevoj Džamiji », Oslobodenje, 21 juin 2013.
  • 56Alija Bejtić, « Povijest i umjetnost Foče na Drini », Naše starine: Godišnjak Zemaljskoog zavoda za zaštitu spomenika kulture i prirodnih rijetkosti NR Bosne i Hercegovine, Sarajevo, 1956. Sur le site de la Commission chargée de la préservation des monuments nationaux, les indications relatives à la mosquée Careva citent et examinent ces allégations ainsi que les observations plus récentes d’autres historiens sur la question, disponible sur : http://old.kons.gov.ba/index.php?lang=4.
  • 57Voir Helen Walasek, « Domains of Restoration: Actors and Agendas in Post-Conflict Bosnia », in H. Walasek, op. cit. note 1, pour plus d’informations sur ce sujet. Voir également András Riedlmayer et Stephen Naron, « From Yizkor Books to Weblogs: Genocide, Grassroots Documentation, and New Technologies », in Jeannette A. Bastian et Ben Alexander (dir.), Community Archives: The Shaping of Memory, Facet Publishing, Londres, 2009.
  • 58Parmi ces sites figurait le site www.focaci.org désormais inactif.
  • 59Le texte original se lit comme suit : « Bošnjački je narod protjeran iz dobrog dijela Gacka, Trebinja, Bileće, Ljubinja i Nevesinja, međutim mi ne smijemo odustati od naših kulturnih i vjerskih tragova na tim prostorima. Moramo biti uporni u očuvanju naše baštine i identiteta, kako nam se ne bi ponovila islamska Španija. » Voir « Ramazanska akcija prikupljanja novca za obnovu džamije u Pridvorcima kod Trebinja », 14 août 2010, disponible sur : https://bosnjaci.net/prilog.php?pid=38585.
  • 60E.Tanović, op. cit. note 3. Dans l’original : « Isto kao što nam je dužnost da ne zaboravimo Srebrenicu, holokaust nad Jeverejima, naša je obaveza da ne zaboravimo i naše porušene džamije. »
  • 61Safet HadžiMuhamedović, « Waiting for Elijah: Time and Encounter in a Bosnian Landscape », thèse de doctorat non publiée, Goldsmiths, Université de Londres, 2015, p. 90. Archives en possession de l’auteure.
  • 62Richard Carlton, « Restoring and Preserving Cultural Property in Post-Conflict Bosnia-Herzegovina », présentation lors d’une conférence organisée au Chartered Institute for Archaeologists, Newcastle, 20 avril 2017.
  • 63« Izvještaj o akciji obnove Avdića džamije », Bileća Online, 3 décembre 2008.
  • 64En Bosnie‑Herzégovine, un mevlud est une célébration musulmane marquée par des récitations, des chants et des poèmes islamiques mettant à l’honneur la naissance du prophète Mahomet.
  • 65« U Planoj kod Bileće obilježena 400-ta godišnjica izgradnje džamije », Medžlis Islamske Zajednice Mostar, 3 mai 2017, disponible sur : medzlismostar.ba/u-planoj-kod-bilece-obiljezena-400-ta-godisnjica-izgradnje-dzamije/.

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