IRRC No. 922

La protection des personnes handicapées lors des conflits armés au Nord-Kivu : défis et perspectives

Télécharger PDF
Cet article est aussi disponible en

Abstract
Cet article propose une analyse de la situation des personnes handicapées confrontées aux conflits armés en République Démocratique du Congo et en particulier dans la province du Nord-Kivu. Cette réflexion va au-delà des quelques chiffres disponibles qui sont saisissants et qui montrent la vulnérabilité des personnes handicapées dans les crises humanitaires, pour souligner les obstacles à la prise en compte des personnes handicapées dans l’action humanitaire mise en place au Nord-Kivu. Aussi, les auteurs formulent des recommandations pratiques pour relever ces défis, remédier aux insuffisances de l’action humanitaire et améliorer la situation des personnes handicapées en leur assurant une protection réelle et efficace en période de conflit armé.

 

Mots-clés : action humanitaire, conflit armé, handicap, inclusion, protection, République démocratique du Congo.

: : : : : : :

Introduction

Selon le Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA), en 2019, quelque 12,8 millions de personnes dont 5,6 millions d’enfants de moins de dix-huit ans ont eu besoin d’assistance humanitaire et de protection en République démocratique du Congo (RDC) (soit près de 13 % de la population totale projetée du pays1 ). Cette crise humanitaire est due en grande partie aux conflits armés, notamment à l’Est du pays, lesquels affectent de manière disproportionnée les femmes, les enfants et les personnes handicapées. Si, en temps de paix, les personnes handicapées2 subissent des violations graves de leurs droits, la situation devient encore plus complexe lors d’une crise humanitaire tel qu’un conflit armé. C’est ce que confirme Humanité & Inclusion, une organisation non gouvernementale précédemment connue sous le nom d’Handicap International, en ces termes : « pendant les crises humanitaires, le taux de handicap est plus élevé. Environ 10 millions des personnes déplacées [dans le monde] sont des personnes handicapées3  ». En outre, selon des études de terrain réalisées par Humanité & Inclusion, 75 % des personnes handicapées affirment rencontrer des difficultés d’accès aux services humanitaires et 92 % des acteurs humanitaires pensent que les personnes handicapées ne sont pas correctement prises en charge lors de leur réponse humanitaire 4 . Par ailleurs, 78 % des acteurs humanitaires ne collectent pas de données sur les personnes handicapées et 79 % n’allouent pas de budget spécifique pour inclure les personnes handicapées dans les programmes humanitaires5 . Aussi, les auteurs ont trouvé utile d’analyser comment les personnes handicapées vivant dans la province du Nord-Kivu en RDC, sont protégées par le droit international humanitaire en période de conflit armé.

Cette étude se fonde sur les instruments nationaux, régionaux et internationaux en vigueur et s’appuie sur des entretiens réalisés en septembre 2020 et entre mai et décembre 2021. Les auteurs se réfèrent en particulier à l’article 11 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006), qui dispose :

Les États Parties prennent, conformément aux obligations qui leur incombent en vertu du droit international, notamment le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, toutes mesures nécessaires pour assurer la protection et la sûreté des personnes handicapées dans les situations de risque, y compris les conflits armés, les crises humanitaires et les catastrophes naturelles6 .

Les auteurs se sont également inspirés d’autres instruments du droit international humanitaire qui protègent « les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités » et qui, dès lors, s’appliquent aux personnes handicapées : la Convention de Kampala (2009), qui est le traité le plus important pour la protection des personnes déplacées en Afrique (parmi lesquelles les personnes handicapées qui ont été déplacées en raison d’un conflit armé7 ) ; les normes Sphères8  ; les normes du Comité permanent interorganisations9  ; la Déclaration universelle des droits de l’homme10  ; et d’autres traités internationaux qui posent des principes directeurs et d’autres principes nécessaires pour la protection des personnes handicapées, bien que leur application demeure problématique, notamment dans le cadre des conflits armés au Nord-Kivu.

Ainsi, notre réflexion est articulée en trois grandes parties. La première présente la situation des personnes handicapées dans les conflits armés au Nord-Kivu. La deuxième montre les obstacles à la prise en compte des personnes handicapées dans la protection des victimes des conflits armés au Nord-Kivu. Enfin, la troisième propose quelques recommandations afin que les personnes handicapées soient véritablement prises en compte dans les activités humanitaires menées dans le cadre des conflits armés au Nord-Kivu.

La situation des personnes handicapées lors des conflits armés au Nord-Kivu

Les personnes handicapées sont, à l’instar des femmes et des enfants, les plus durement affectées par les conflits armés. Au Nord-Kivu, non seulement nombreuses sont les personnes qui sont devenues handicapées du fait des conflits armés ou à la suite d’accidents de la route, mais elles sont de surcroît fortement exposées aux effets de ces conflits. Les auteurs se sont entretenus avec plusieurs organisations, dont des organisations de personnes en situation de handicap (OPH) parmi lesquelles l’Organisation Féminine de la Recherche pour le Développement Intégral (OFERDI), l’Action de Charité pour l’Intégration et le Développement (ACID) Les Kapitula et la Synergie des Associations des Personnes Handicapées (SYAPH). Les informations qui suivent ont été recueillies dans le cadre d’entretiens sur le Nord-Kivu menés entre janvier 2019 et décembre 2021.

Plusieurs personnes handicapées sont décédées car elles n’ont pas pu fuir, contrairement aux personnes qui n’étaient pas handicapées. Un représentant de l’OFERDI témoigne :

Lorsque ça tire, les gens sont perturbés et courent dans tous les sens, chacun n’a pour seul but que sauver sa peau et personne n’a ni le temps, ni la force de s’occuper des personnes handicapées. Et lorsque les assaillants envahissent la zone, les personnes qui sont restées dans leurs maisons (particulièrement les personnes handicapées, les personnes âgées et les personnes malades) sont tuées. Si elles ne sont pas tuées par des armes ou par les incendies, elles meurent de faim, enfermées dans la maison et sans possibilité de se procurer à boire et à manger en l’absence d’autres membres de la famille et de la communauté qui ont fui les combats. D’autres encore essaient de fuir avec leurs proches mais ceux-ci les abandonnent en cours de route, car elles sont incapables de marcher au même rythme que les autres. De plus, elles subissent des harcèlements de toute sorte, des injures et des discriminations11 .

Cette situation se produit tous les jours, non seulement dans le territoire du Masisi, mais également dans d’autres régions du Nord-Kivu.

Bien que ces faits soient rarement signalés aux autorités (que ce soit par crainte des représailles, la quasi-inexistence ou la faiblesse des mécanismes de gestion des plaintes, la coutume locale, l’impunité, l’ignorance, la difficulté de dénoncer ces faits par exemple pour les personnes malvoyantes ou muettes, etc.), il y a des cas préoccupants de personnes handicapées violées et attaquées au Nord-Kivu. « Certaines en meurent, d’autres attrapent des maladies ou ont des grossesses non désirées, d’autres encore sont traumatisées et sans assistance », a affirmé un représentant d’ACID Les Kapitula12 .

Un représentant de la société civile a déclaré :

À Bambo et Tongo, dans le territoire de Rutshuru, par exemple, les hommes sont soumis au travail forcé, d’autres sont victimes d’abus sexuels commis par des hommes armés alors qu’ils tentent de se rendre aux champs. Les femmes et les filles sont utilisées comme un moyen de récompense sexuelle par les commandants de groupes armés qui les emmènent dans les buissons et, si elles essaient de fuir, les tuent. Après que les personnes handicapées aient victimes d’abus sexuels commis par des porteurs d’armes, elles sont abandonnées et n’ont pas d’autre choix que de rentrer chez elles, malgré les risques encourus13 .

D’après un représentant de la SYAPH :

Même quand elles essaient de s’organiser et de trouver comment subvenir à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leurs familles en temps de paix (à travers des activités génératrices de revenus), les personnes handicapées se retrouvent sans rien au lendemain des conflits armés (…). Leurs biens, maisons et matériels sont pillés et/ou incendiés, toutes les activités et initiatives sont anéanties14 .

L’ACID Les Kapitula et la SYAPH ont mentionné que les activités génératrices de revenus qu’elles conduisent pour aider les personnes handicapées ont plusieurs fois été anéanties par les conflits armés, ce qui renforce la vulnérabilité de leurs membres. Par exemple, des cochons et des chèvres élevés par l’OFERDI ont été volés par des assaillants à Kitshanga en 2020. Par ailleurs, tous les équipements d’un secrétariat public créé par la SYAPH à Goma ont été volés par des bandits.

Lors des entretiens réalisés dans le cadre de cette étude, plusieurs témoignages font état de la situation des personnes handicapées pendant les conflits armés au Nord-Kivu. En voici deux :

Souvent, lorsque çà commence à tirer, nous ignorons d’où viennent et vers qui sont dirigés ces tirs. Ainsi, les gens courent dans tous les sens, mais tous ont l’instinct de s’enfoncer dans la brousse pour se mettre hors de portée des tirs. Depuis plus de dix-sept ans maintenant je suis sur ma chaise roulante, je ne peux faire aucun mouvement ni me déplacer sans elle. Lorsque les gens fuient vers la brousse, je ne peux pas les suivre étant donné que ma chaise roulante ne peut pas passer dans la brousse. De plus, c’est souvent la nuit, quand il est difficile de voir et de savoir où passer. Et dans cette situation, tout le monde veut se sauver au plus vite et même ma femme et mes enfants m’abandonnent pour fuir ; je ne leur en tiens pas rigueur15 .

Nous sommes habitués, moi particulièrement. Lorsque çà commence à tirer, je prie seulement Dieu pour qu’il sauve mon âme car je ne peux pas fuir. La famille sait déjà qu’après quelques tirs, même les gens du village se livrent aux pillages des maisons de ceux qui ont fui. Alors, chaque fois, on me demande de rester dans la maison, comme je n’ai pas la possibilité de fuir dans mon état (je suis malvoyant, mes deux yeux ne voient rien du tout). Si j’entends quelqu’un s’approcher de la maison, je crie et si c’était un voleur il prend fuite. Ainsi, je suis le gardien de la maison et des biens. Aux yeux de ma famille, ils ont plus d’importance que moi16 .

Obstacles à la protection des personnes handicapées lors des conflits armés au Nord-Kivu

La protection des personnes handicapées lors des conflits armés au Nord-Kivu se heurte à plusieurs obstacles qui sont encore plus importants lorsqu’il faut tenir compte des besoins spécifiques de chaque personne handicapée. Voici quelques-uns des principaux obstacles qui ont été observés par les auteurs.

L’ignorance de l’inclusion et le manque de connaissances des droits des personnes handicapées par les acteurs humanitaires, les États et les communautés

Un défenseur des droits humains des personnes handicapées, Théophile Shukuru, a affirmé :

Nombreux estiment que « protéger les personnes handicapées » constitue un acte de « charité », un « effet de pitié » à leur égard ; ignorant même qu’il existe non seulement des instruments juridiques généraux mais aussi des instruments spécifiques garantissant la protection des personnes handicapées en situation normale comme en cas de crise humanitaire (comme des conflits armés17 ).

En s’appuyant sur ses études de terrain, Oversee Advising Groupm (OAG), souligne :

Les données quantitatives indiquent une faible connaissance du cadre légal [40 % des acteurs affirment connaitre le cadre légal en vigueur]. Certains acteurs expliquent également ne pas avoir une grande connaissance du cadre légal, mais que cela n’est pas indispensable à l’exercice de leur fonction18 .

L’utilisation d’outils, de politiques et de stratégies qui excluent les personnes handicapées

Bien que des efforts commencent à être déployés au niveau du Cluster Protection19 pour que les personnes handicapées soient prises en compte dans l’action humanitaire, beaucoup d’acteurs humanitaires utilisent des outils, politiques et stratégies qui n’incluent pas les besoins spécifiques des personnes handicapées lors des interventions visant à protéger les victimes des conflits armés au Nord-Kivu. Par exemple, avant 2019, les fiches d’identification et de distribution, utilisées pour sélectionner les bénéficiaires de l’aide humanitaire, ne prenaient presque pas en compte le handicap. Ceci explique en partie que les personnes handicapées soient oubliées dans la plupart des interventions. Selon Humanité & Inclusion, « 47 % des acteurs estiment que le handicap est pris en compte dans les documents de politiques et stratégies tandis que 29 % pensent que ces documents ne prennent pas en compte le handicap et 24 % qui ne savent pas si les différentes politiques prennent en compte le handicap20  ». Par ailleurs :

Il ressort de ces constatations que les personnes handicapées ne sont généralement pas considérées dans les stratégies humanitaires et le fait de les classer parmi les vulnérables ou les personnes ayant des besoins spécifiques n’est pas de nature à prendre en considération leurs besoins spécifiques et par ricochet à promouvoir leurs droits. Ce qui amène de facto à des risques de discrimination et d’exclusion21 .

L’absence de données sur le handicap et le manque d’indicateurs spécifiques au handicap

Selon les Nations Unies, « le manque de données relatives au handicap, notamment de données qualitatives et ventilées, est un des principaux obstacles à l’évaluation précise du niveau d’inclusion du handicap dans les contextes touchant le développement et l’action humanitaire22  ». Les études d’Humanité & Inclusion confirment cela et soulignent : « que ce soit du côté des acteurs humanitaires ou des acteurs étatiques, tous s’accordent à reconnaitre qu’il n’y a pas de statistiques sur les personnes handicapées23  ». Les recensements ne sont pas effectués par les autorités et même les acteurs humanitaires transmettent rarement des données sur les personnes handicapées. Les OPH elles-mêmes ne connaissent pas à ce jour le nombre de personnes handicapées dans leurs zones d’intervention. Cela est particulièrement vrai au Nord-Kivu et en RDC en général, où il n’y a presque pas de données sur le handicap. En général, ces données ne sont pas collectées (étant donné que même les outils utilisés ne sont pas adaptés) et « beaucoup d’acteurs justifient cela par le manque de temps et de budget au regard de l’urgence de l’intervention24  ».

L’absence de données rend difficile la prise de décision sur la manière de protéger les personnes handicapées

C’est ce que confirme l’une des personnes que nous avons interrogées :

L’État n’a pas assez de moyens pour faire le recensement qui est trop coûteux, il doit recourir à l’appui de ses partenaires internationaux. Certains acteurs de la protection passent pour nous demander les données désagrégées car c’est nous qui centralisons, mais ne les obtiennent pas car nous-mêmes ne les avons pas. Ceci fait qu’ils ne tiennent pas compte du handicap, n’ayant pas les données chiffrées sur le handicap car c’est le chiffre qui parle25 .

La non-implication des PH et de leurs organisations

Les acteurs humanitaires et étatiques qui associent les personnes handicapées et leurs organisations dans les activités de protection des victimes de conflits armés (identification des bénéficiaires, sensibilisations, formations, etc.) sont rares. Par ailleurs, les OPH ne se rapprochent pas beaucoup des acteurs humanitaires ou des acteurs étatiques pour obtenir leur appui. Les OPH gardent leurs distances d’autant plus qu’à chaque fois qu’elles sollicitent une audience auprès d’organisations non gouvernementales, elles ne l’obtiennent pas. Elles sont négligées et les acteurs humanitaires pensent que les OPH viennent pour quémander26 . Les acteurs humanitaires reconnaissent « un manque d’inclusion des personnes handicapées dans la phase de conception du projet, les évinçant ainsi de la phase de programmation et donc des activités27  ». Il s’agit de l’un des obstacles qui empêchent les personnes handicapées d’avoir accès à l’aide humanitaire en RDC.

Les budgets n’incluent pas le handicap (ils ne prennent pas en compte les besoins spécifiques des personnes handicapées)

Lors des activités de protection des victimes des conflits armés au Nord-Kivu, plusieurs acteurs ne prévoient pas la prise en compte des besoins spécifiques des personnes handicapées. Les budgets n’incluent pas le handicap et ne sont guère flexibles, ce qui fait que les personnes handicapées ont du mal à accéder à l’aide humanitaire. Par exemple, pendant la distribution de vivres ou de produits essentiels, la plupart des acteurs humanitaires ne tiennent pas compte des besoins spécifiques dans la constitution des kits et ne prévoient pas de faciliter le transport des kits pour les personnes handicapées du lieu de distribution vers le domicile des personnes en situation de handicap. À cet égard, l’OAG affirme que « les acteurs mentionnent également des problématiques budgétaires28  » qui font obstacle à l’inclusion des personnes en situation de handicap.

L’inaccessibilité des infrastructures et des moyens de communication (bureaux, médias, etc.)

Les études de l’OAG montrent que seulement 30 % des acteurs considèrent que leurs programmes et les informations disponibles sont accessibles29 . En raison des conflits armés au Nord-Kivu, les informations sont la plupart du temps transmises par radio, ou de bouche à oreille à travers des rassemblements lors de sessions de sensibilisation, sans tenir compte des besoins spécifiques des personnes handicapées comme les personnes malentendantes ou malvoyantes. Par ailleurs, lors des activités de sensibilisation ou de distributions, les sites sont souvent inaccessibles et inadaptés à la situation des personnes handicapées. En outre, la plupart des bureaux et autres infrastructures utilisées par des acteurs humanitaires et étatiques ne sont pas accessibles : par exemple, il y a trop d’escaliers, ce qui ne facilite pas l’accès aux personnes à mobilité réduite. Même l’accessibilité aux installations sanitaires est compliquée, que ce soit dans les bureaux des acteurs humanitaires et étatiques, ou dans les camps de déplacés.  Lorsque des personnes handicapées tentent d’utiliser ces infrastructures, elles s’exposent à des risques élevés (chutes, fractures, infections, etc.). World Vision a alerté sur les pratiques EAH (eau, assainissement et hygiène) en milieu scolaire où les normes d’accessibilité ne sont généralement pas respectées (classes et latrines30 ). Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires a lui-même reconnu que les bâtiments où se trouvent ses locaux à Goma, au Nord-Kivu, ne sont pas accessibles (en effet, il y a beaucoup d’escaliers et pas de rampes) et qu’il faut les adapter pour qu’ils le deviennent31 .

Ces situations nécessitent une action transformatrice afin de garantir l’inclusion du handicap dans la protection des victimes des conflits armés au Nord-Kivu.

 

Pour une action humanitaire inclusive du handicap dans les conflits armés au Nord-Kivu

Les obstacles à la protection des personnes handicapées lors des conflits armés au Nord-Kivu ont sans doute des solutions. Pour les trouver, il est nécessaire que tous les acteurs impliqués (le gouvernement de la RDC, qui est le premier responsable de la protection de toutes les personnes se trouvant sur son territoire, les membres des groupes armés, les acteurs humanitaires, qui travaillent en partenariat et en coopération avec le gouvernement, la population en général ainsi que les personnes handicapées et les OPH) fassent preuve dune réelle volonté politique et respectent les obligations leur incombant en vertu de l’article 11 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. À ce sujet, les auteurs formulent quelques recommandations.

Sensibiliser les populations locales et les leaders communautaires sur l’inclusion et les droits des personnes handicapées

Au Nord-Kivu, il importe que les acteurs humanitaires (notamment à travers le Cluster Protection) et étatiques (à travers les services techniques comme la Division des Affaires Sociales) mènent des actions de sensibilisation des communautés sur le respect des droits des personnes handicapées ainsi que sur leur protection. Parallèlement, ils devront travailler au renforcement des mécanismes de solidarité communautaires pour la protection des personnes handicapées dans les conflits armés.

Renforcer les capacités des acteurs humanitaires, étatiques ainsi que des OPH sur l’inclusion des personnes handicapées dans l’action humanitaire, particulièrement en situation de crise humanitaire tels des conflits armés

Comme l’a expliqué Humanité & Inclusion :

Les acteurs étatiques et humanitaires en RDC n’ont pas suffisamment de connaissance sur les personnes handicapées, méconnaissant ainsi leurs besoins spécifiques et ne pouvant apporter de réponses adaptées et d’aménagements raisonnables. Ils ont pour la plupart, une mauvaise perception et connaissance du handicap ; ce qui ne leur permet pas d’avoir un regard positif sur les personnes handicapées. Des sensibilisations ainsi que des renforcements de capacités s’imposent afin d’amener les acteurs humanitaires à considérer les personnes handicapées sous un nouveau jour comme le recommande la Convention relative aux droits des personnes handicapées32 .

Rendre les outils, politiques et stratégies, inclusifs du handicap

Il importe que les divers plans, politiques, stratégies et autres, développent déjà des notions sur le handicap, sinon, le handicap ne sera pas pris en compte dans la pratique.

Toujours désagréger les données par âge, sexe et handicap

La désagrégation des données par handicap (sur les fiches d’identification, de distribution, de suivi, dans les rapports d’activité, etc.) permet d’attirer l’attention particulière des intervenants et, par conséquent, de mettre en place des activités inclusives du handicap. Si des efforts ont été fournis pour désagréger les données par âge et sexe, il est donc possible de le faire également par handicap.

 

Impliquer directement et à toutes les étapes d’intervention, les personnes handicapées et les OPH

Les personnes handicapées sont des expertes de leurs besoins, il faut toujours les impliquer et non réfléchir à leur place au sujet de leurs besoins spécifiques. Certains acteurs humanitaires estiment que les personnes handicapées ne sont pas visibles. Les auteurs pensent plutôt que ce postulat révèle un manque de détermination et d’engagement en faveur de l’inclusion des personnes handicapées. Si l’on regarde bien, toutes les composantes de la population sont concernées par le handicap (hommes, femmes, garçons, filles, personnes âgées, etc.). Par ailleurs, de plus en plus de personnes handicapées se regroupent pour former des associations, ce qui permet de les identifier encore plus facilement. À noter que les OPH ont besoin de renforcer leurs capacités techniques, opérationnelles et financières pour atteindre leurs objectifs et c’est pourquoi elles ont besoin d’un appui de la part des acteurs humanitaires et étatiques. Il importe également de mentionner que les personnes handicapées et les OPH doivent fournir plus d’efforts pour se rapprocher des acteurs étatiques et humanitaires (notamment en participant aux réunions de coordination humanitaire, en s’enregistrant auprès des services techniques de l’État, etc.) afin de contribuer eux-mêmes à leur inclusion dans l’action humanitaire.

Mettre en place des budgets inclusifs

Pour couvrir les coûts liés à de petits aménagements nécessaires à la prise en compte des besoins spécifiques des personnes handicapées et à l’adaptation des infrastructures pour les rendre accessibles, il importe de réserver au moins entre 2 et 7 % du budget global33 . Si ce budget est prévu dès la planification, le manque de fonds ne sera plus jamais un obstacle à l’inclusion des personnes handicapées dans l’action humanitaire. Même si, lors de l’évaluation des besoins, il n'y a pas de personnes handicapées parmi les bénéficiaires (ce qui arrive rarement), le coût de l’inclusion, qui n’est pas exorbitant, devrait toujours être prévu. En effet, « le handicap peut toucher tout le monde, à tout moment car nous sommes tous de potentielles personnes handicapées34  ».

Mettre en place des indicateurs pour contrôler la manière dont les personnes handicapées sont prises en compte dans la prévention et la réponse aux crises

Ces indicateurs permettent de veiller à ce que les personnes handicapées sont prises en compte dans la réponse humanitaire. Ce peut être, par exemple, le nombre de personnes handicapées concernées par la réponse, le nombre d’aménagements réalisés, etc.

Faire des aménagements raisonnables

Il est important de rendre les infrastructures accessibles en procédant à des aménagements raisonnables. Cela peut consister, par exemple, à installer des rampes, des rambardes ou des barres d’appui, à optimiser l’espace, traduire des textes importants en langage des signes ou en braille.

Recourir à des spécialistes en inclusion

Dans les interventions d’urgence comme c’est le cas des conflits armés au Nord-Kivu, les acteurs humanitaires doivent solliciter l’appui de conseillers techniques inclusion (par exemple, la Cellule Technique Inclusion d’Humanité & Inclusion), ou recruter dans leurs équipes des personnels permanents ou des consultants experts dans l’inclusion des personnes handicapées, afin de veiller à la mise en place d’une action humanitaire inclusive du handicap.

Diversifier les moyens de communication en tenant compte des différents types de handicap

Pour éviter toute sorte d’exclusion et de discrimination, les acteurs humanitaires sont tenus de diversifier leurs moyens de communication. Par exemple lors des grandes campagnes de sensibilisation, ils pourraient faire intervenir des interprètes en langue des signes et recourir à divers canaux de communication (les images, les sons, les affiches, le langage corporel, les gestes, etc.).

Conclusion

Comme nous l’avons constaté dans cet article, les personnes handicapées présentent une vulnérabilité particulièrement aiguë dans les conflits armés au Nord-Kivu. Si elles sont confrontées à de nombreuses difficultés en temps de paix (discrimination, violences, abus, exploitation sexuelle et économique, celles-ci s’aggravent en temps de guerre, comme c’est le cas depuis plusieurs décennies au Nord-Kivu. En plus d’être victimes des conflits armés, les personnes handicapées ont des besoins spécifiques nécessitant une attention particulière de la part des acteurs de la protection. Du fait qu’elles ne participent pas ou plus aux hostilités, les personnes handicapées ont droit à une protection spéciale garantie par les différents instruments juridiques nationaux, régionaux et internationaux, plus particulièrement le droit international humanitaire, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et la Convention de Kampala (2009).

La plupart des manquements et obstacles constatés dans les activités de protection des victimes de conflits armés pour prendre en compte le handicap sont liés et s’ajoutent à l’ignorance, au manque de volonté politique et de flexibilité de la part des acteurs de la protection. Il est essentiel de fournir une assistance aux victimes des conflits armés pour sauver des vies, mais il est tout aussi indispensable de veiller à ce que l’assistance fournie soit accessible, respectueuse de la dignité humaine et adaptée aux besoins spécifiques des bénéficiaires. Les auteurs espèrent ainsi que les différentes recommandations formulées dans le présent article vont contribuer à rendre effective et efficace la prise en compte des personnes handicapées dans les activités de protection des victimes des conflits armés. Tous les acteurs devraient se les approprier pour garantir une action humanitaire inclusive.

Comme cet article ne pouvait, ni ne prétendait, aborder toutes les facettes du handicap et des vulnérabilités dans les crises humanitaires (tel un conflit armé), l’étude de ces aspects reste à approfondir. Les contributions d’autres chercheurs permettraient de répondre aux aspects qui n’ont pas été traités dans cet article, ce qui participerait ainsi à améliorer la qualité de la protection des personnes handicapées dans les conflits armés au Nord-Kivu et dans le monde.

  • 1Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires (UNOCHA), Plan de réponse humanitaire 2017 - 2019 pour la RDC, UNOCHA, décembre 2018, p. 6, disponible sur : https://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/r-publique-d-moc….
  • 2Selon l’article 1 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, New York, 13 décembre 2006 (entrée en vigueur le 3 mai 2008), par personnes handicapées, « on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ».
  • 3Humanité & Inclusion, Le processus HNO/HRP : La nécessité de prendre en compte les personnes handicapées dans l’action humanitaire, présentation Power Point, non publié, août 2019.
  • 4Humanité & Inclusion, Présentation au Sommet Humanitaire, Humanité & Inclusion, Istanbul, 2016.
  • 5Humanity & Inclusion, Analyse des barrières d’accès et de participation des personnes handicapées à la réponse humanitaire en RDC, Humanité & Inclusion, Kinshasa, juin 2020.
  • 6Convention relative aux droits des personnes handicapées, op. cit., article 11.
  • 7Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala), Kampala, 23 octobre 2009 (entrée en vigueur le 6 décembre 2012), disponible sur : https://www.peaceau.org/uploads/convention-on-idps-fr.pdf.
  • 8Sphère, Le manuel Sphère : la Charte humanitaire et les Standards minimum de l’intervention humanitaire, 4è éd., Sphère, Genève, 2018.
  • 9Comité permanent interorganisations (IASC), Directives sur l’intégration des personnes handicapées dans l’action humanitaire, 2019, juillet 2019, disponible sur : https://interagencystandingcommittee.org/system/files/2021-02/IASC%20Gu….
  • 10Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration universelle des droits de l’homme, Paris, 10 décembre 1948.
  • 11Entretien anonyme avec un représentant de l’OFERDI, une OPH active à Kitchanga / Mweso dans le territoire du Masisi au Nord-Kivu, novembre 2021.
  • 12Entretien anonyme avec un représentant d’ACID Les Kapitula, une OPH active à Kitchanga, dans le territoire de Rutshuru au Nord-Kivu, novembre 2021.
  • 13Entretien anonyme avec un représentant de la société civile à Bambo / Rutshuru, mai 2021.
  • 14Entretien anonyme avec un représentant de la SYAPH, une plateforme pour les OPH à Goma, au Nord-Kivu, novembre 2021.
  • 15Entretien anonyme avec une personne à mobilité réduite, Bambo / Rutshuru, novembre 2021.
  • 16Entretien anonyme avec une personne malvoyante, Mangina / Beni, novembre 2021.
  • 17Théophile Shukuru, défenseur des droits humains des personnes handicapées, entretien sur la nécessité de mieux faire connaitre la Convention relative aux droits des personnes handicapées, Goma, décembre 2021.
  • 18OAG, Prise en compte des Personnes Handicapées dans la réponse humanitaire en RDC : Enquête CAP multisectorielle couplée avec les questions du Washington Groupe, Humanité & Inclusion, Kinshasa, octobre 2021, p. 21, disponible sur : https://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/prise-en-compte-….
  • 19Le Cluster Protection, mis en place par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HRC) au Nord-Kivu, coordonne la réponse des acteurs humanitaires dans le domaine de la protection. Il est co-dirigé par le Conseil norvégien pour les réfugiés. Une réunion est organisée une fois par mois pour communiquer des directives techniques afin de prendre en compte la protection dans les opérations humanitaires. Voir Cluster Protection, Orientations du Cluster Protection au Nord-Kivu, présentation PowerPoint, Goma, février 2021, slides 5-15.
  • 20Humanité & Inclusion, op. cit. note 5, p. 21.
  • 21Ibid., p. 28.
  • 22Nations Unies, Stratégie des Nations Unies pour l’inclusion du handicap, disponible sur : https://www.un.org/fr/content/disabilitystrategy/assets/documentation/U….
  • 23Humanité & Inclusion, op. cit. note 5, p. 29.
  • 24Déclaration d’un acteur humanitaire pendant la phase d’élaboration du Plan de réponse humanitaire en RDC, UNOCHA, Goma, juin 2020.
  • 25Entretien anonyme avec un agent de l’Institut National de la Statistique, Goma, novembre 2021.
  • 26Déclaration d’un représentant d’OPH au Nord-Kivu pendant la phase d’élaboration du Plan de réponse humanitaire en RDC, UNOCHA, Goma, juin 2020.
  • 27OAG, op. cit. note 18, p. 23.
  • 28Ibid.
  • 29Ibid., p. 27.
  • 30Ibid., p. 24.
  • 31Déclaration d’un représentant d’UNOCHA pendant la phase d’élaboration du Plan de réponse humanitaire en RDC, Goma, juin 2020.
  • 32Humanité & Inclusion, op. cit. note 5, p. 17.
  • 33Consortium âge et handicap, Normes minimales d’inclusion de l’âge et du handicap dans l’action humanitaire, CBM International, HelpAge International et Handicap International, Bensheim, Londres et Lyon, disponible sur : https://reliefweb.int/report/world/humanitarian-inclusion-standards-old… et Light for the World, Resource Book on Disability Inclusion, 2017, p. 36, disponible sur : https://www.light-for-the-world.org/publications/resource-book-on-disab….
  • 34Humanité & Inclusion, « Messages de sensibilisation sur le handicap et l’inclusion », non publié, Goma, juin 2020.

Poursuivre la lecture du #IRRC No. 922

Autres articles sur Persons with disabilities, Rights of persons with disabilities, humanitarian aid, Inclusion, general protection