IRRC No. 910

Opinions de la population cambodgienne sur la mémoire, le pardon et la réconciliation après les Khmers rouges

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Abstract
La justice transitionnelle constitue l’un des traits marquants de la réponse aux atrocités de masse. Axés sur la justice et sur la réparation des préjudices subis par les victimes, les mécanismes de justice transitionnelle influencent et sont influencés par la mémoire collective des conflits. Les auteurs du présent article étudient les dynamiques entre mémoire, traumatismes et pardon au Cambodge. Trente ans après le régime Khmer rouge, les Cambodgiens disent avoir peu d’informations sur le passé, souhaitent fortement connaître la vérité et sont encore animés d’un fort sentiment de haine. Les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) ont suscité ou réveillé l’exigence de vérité, mais aussi, en même temps, un certain désir que la malédiction s’abatte sur les coupables. Bien que les CETC aient été constituées plusieurs décennies après les atrocités de masse, les données montrent que les CETC et la mobilisation de la société civile qui les a accompagnées, peuvent avoir été bénéfiques pour affronter les séquelles des violences

Traduit de l’anglais.

Introduction

Plusieurs dizaines d’années après la chute du régime Khmer rouge (régime KR), certains Cambodgiens en subissent encore les conséquences. Ceux qui ont vécu sous le régime KR ainsi qu’une partie de la nouvelle génération, gardent en mémoire ce régime, éprouvent encore un sentiment de haine à l’encontre des responsables et sont dans l’incapacité de pardonner. Les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) ont été constituées en 2006 pour connaître des violences commises par les KR. Elles ont pour mandat de traduire en justice les responsables des violations des droits de l’homme commises sous ce régime. Pour le gouvernement du Cambodge et pour les Cambodgiens, les CETC sont également vues comme un moyen de parvenir à la réconciliation nationale1 .

Tous les processus de justice transitionnelle ont en commun de favoriser la réconciliation nationale, comme le précisent les mandats des commissions vérité, les programmes de réparation et les procès dans de nombreux pays. La réconciliation est généralement considérée à la fois comme un objectif que les sociétés s’efforcent d’atteindre au lendemain d’un conflit et comme un processus auquel elles doivent se soumettre afin de prévenir le retour de la violence2 . Toutefois, malgré de nombreuses discussions à ce sujet, la manière dont la réconciliation est comprise, en termes opérationnels et quantifiables, varie beaucoup3 .

Apaiser les sentiments de haine et de vengeance à l’encontre d’autres groupes est vu par les individus et les communautés comme un élément important pour prévenir la violence4 . Le pardon, en tant qu’élément du processus de réconciliation, est souvent vu comme étant aux antipodes de la vengeance et les dirigeants ont souvent essayé d’encourager au pardon après des atrocités. En 1998, après des accords d’amnistie et des désertions massives de guérilleros khmers, le Premier ministre cambodgien Hun Sen a invité Nuon Chea et Khieu Samphan5 , de hauts dignitaires KR, à Phnom Penh, la capitale du Cambodge. Lors d’une conférence de presse, Khieu Samphan déclara qu’il fallait « laisser cela à l’histoire, laisser cela au passé » et « oublier le passé », tandis qu’Hun Sen affirma que les dirigeants KR ne devraient pas être accueillis « avec des armes, des balles, des prisons ou des menottes, mais avec un bouquet de fleurs dans l’esprit de la réconciliation nationale6  ». Hun Sen déclara par la suite : « Nous devrions creuser un trou pour y enterrer le passé et, à l’aube du 21e siècle, regarder vers l’avenir en repartant de zéro7  ». Les initiatives visant à favoriser le pardon ont toutefois été critiquées, en ce qu’elles faisaient pression sur les victimes pour qu’elles refoulent la colère légitime qu’elles éprouvaient, cela étant susceptible d’engendrer de graves conséquences psychologiques et, plus largement, de banaliser la violence8 . Manifestement, ces initiatives ont également échoué. Le Cambodge n’a pas connu de nouvelles violences de masse, mais, comme cela est abordé de façon très détaillée plus loin dans cet article, effacer le passé n’a pas permis aux individus et aux populations  d’appréhender et de comprendre ce qu’il s’était passé sous le régime KR, afin de parvenir à la réconciliation9 . À la fin des années 1990, la mobilisation en faveur de la création d’un tribunal international pour juger les plus hauts dirigeants KR prit de l’ampleur et atteignit son apogée avec la mise en place des CETC en 200610 .

Outre leur possible contribution au processus de réconciliation, des mécanismes judiciaires tels que les CETC sont réputés pour jouer un rôle important afin de façonner la mémoire dans les sociétés sortant d’un conflit11 . Le droit et les procédures judiciaires jouissent, par nature, d’une certaine autorité car ils sont habilités à différencier les victimes des coupables. En même temps, ils ont nécessairement des limites, laissant de côté ce qui a été décrit comme des « contre-archives », qui renferment des histoires non écrites et des évènements jamais dévoilés12 . Les processus de vérité ont été salués pour avoir mis à jour les violences du passé et pour avoir fait la lumière sur le sort de ceux qui les ont subies. Pour autant, ces processus ont aussi été décrits comme engendrant une « amnésie », une perte partielle ou totale de la mémoire résultant des limites de leur mandat et susceptible de les amener à ne livrer qu’une certaine version de la vérité13 .

La manière dont jaillit la mémoire du passé est essentielle et influe sur les récits individuels et nationaux. Au niveau  individuel, après des guerres ou des violences, les souvenirs sont étroitement liés aux traumatismes et à l’histoire de chacun14 . La mémoire, la connaissance du passé et le partage d’expériences sont liés de manière inextricable. La connaissance peut faire référence à la vérité absolue ou aux faits (la connaissance du contenu) ou peut être définie comme un « réservoir d’informations, de compétences, d’expériences, de croyances et de mémoires d’un individu [traduction CICR]15  ». La mémoire est au cœur de ces deux perceptions de la connaissance : elle englobe à la fois ce qu’une personne sait et ce qu’elle croit être vrai16 . Par le partage d’expériences, les mémoires individuelles participent à la création d’une mémoire collective et à l’émergence de « récits de mémoire [traduction CICR]17 ». Si la mémoire collective peut jaillir naturellement, les récits historiques sont souvent élaborés ou contrôlés, car, dans une période de transition politique, c’est là un moyen de graver une certaine vision de la guerre ou des violences18 . Un nouveau gouvernement pourrait privilégier une certaine version des faits afin de délégitimer le régime précédent ou les belligérants ennemis et les récits qui sont politisés et sciemment mis en avant, peuvent devenir « hégémoniques », dominants et exclure toutes les autres violences19 .

Sous le régime KR, des règles cruelles ont été imposées dans tout le pays mais elles étaient mises en œuvre inégalement selon les régions20 et selon les groupes21 . Avec la création des CETC, les organisations non gouvernementales et la Cour ont organisé des sessions de sensibilisation pour parler du passé, expliquer le rôle des CETC et les avancées qu’elles ont permis. Au cours de ces sessions, les participants décrivaient souvent les préjudices qu’ils avaient subis et les souffrances qu’ils avaient endurées sous le régime KR. Malgré la diversité de ce qu’ils avaient vécu, il semble que les participants n’aient pas eu vraiment la possibilité de livrer un autre récit. Pour correspondre à ce qui était attendu et pour que leur plainte soit recevable, chacun devait avoir connu la faim, la souffrance et avoir subi des préjudices22 .

Cet article analyse le rôle et l’importance qu’ont eu les CETC pour façonner la mémoire et la connaissance, la haine et la vengeance, ainsi que le pardon chez les Cambodgiens. L’article présente en premier lieu la situation cambodgienne et la méthode utilisée ; puis, à partir des données quantitatives et qualitatives  que les auteurs ont recueillies entre 2008 et 2014, il examine les conséquences qu’ont pu avoir les CETC, d’une part sur le relatif silence entourant le régime KR et d’autre part, sur le désir persistant de vengeance et les réactions vis-à-vis du pardon23 . En examinant ces questions dans le cas cambodgien, les auteurs montrent comment la mémoire du passé affecte diversement le quotidien de populations qui ont été affectées par la guerre.

Les auteurs espèrent que ces recherches contribueront à comprendre comment la mémoire et les récits s’élaborent après des violences de masse, comment les mécanismes de justice transitionnelle influent sur ces processus et comment la mémoire interagit avec d’autres facteurs pour peser sur la possibilité d’une réconciliation. Les réponses à ces questions sont essentielles au maintien de la paix dans des pays qui sortent de conflits violents et qui se tournent vers la justice transitionnelle.

Mémoire du régime khmer rouge

Pendant près de quarante ans, la population cambodgienne a dû composer avec les efforts déployés par le gouvernement pour faire du Kampuchéa démocratique, également connu comme le régime KR, de 1975 à 1979, une période impossible à oublier. Sous ce régime, environ un quart de la population a été massacrée (soit 2 millions de personnes sur une population totale de 7,5 millions) tandis que les élites, les groupes ethniques minoritaires et, pour finir, les membres du parti, ont été systématiquement persécutés24 .

Après le renversement du régime KR, le nouveau gouvernement au pouvoir chercha tout d’abord à construire son propre narratif, puis à enterrer le passé, en partie en raison de ses liens avec les KR25 . Les mesures prises pour imposer un récit de mémoire collective ont coexisté avec les tentatives de la société civile pour préserver et documenter le passé, ainsi qu’avec les actions menées au niveau international visant à ce que les responsables de ces violences répondent de leurs actes26 . Certains lieux de mémoire ont acquis une renommée internationale, comme la prison de Tuol Sleng, également connue sous le nom de S-21 et les champs de la mort de Choeung Ek, situés dans les environs, où plusieurs milliers de prisonniers de S-21 ont été exécutés et enterrés27 . Ces sites ne sont qu’une partie du paysage, bien plus étendu, marqué par la violence des KR : barrages, ponts et routes, où ont péri des victimes du régime KR et qui fonctionnent encore aujourd’hui28 . En outre, si les personnes ont souvent raconté leur histoire à leurs familles ou à leur entourage, les archives historiques officielles de cette période occultent encore nombre des violences qui furent alors commises.

Les récits relatifs à la construction et au fonctionnement de la mémoire collective au Cambodge depuis la chute des KR sont, à bien des égards, emblématiques des dynamiques de mémoire après des violences. Après la chute des KR en 1979, le nouveau gouvernement de la République populaire du Kampuchéa (RPK) a privilégié l’élaboration d’un certain narratif de la période KR, afin d’asseoir sa propre légitimité, en tant que force ayant libéré le Cambodge d’un régime génocidaire29 . En 1979, le gouvernement mit en place un Tribunal populaire révolutionnaire, qui a conduit à la condamnation du régime KR et qui a prononcé la peine de mort par contumace à l’encontre de Pol Pot et de Ieng Sary30 . Le gouvernement fit arrêter et exécuter des milliers de personnes, mais très peu ont comparu devant un tribunal dans le cadre des poursuites judiciaires engagées contre les anciens dirigeants KR. Parallèlement, le gouvernement exhortait la population de tout le pays à livrer leur témoignage sur le régime KR et favorisa la création de lieux de mémoire et l’organisation de cérémonies pour rendre hommage aux morts31 . Ces mesures ont contribué à pacifier le pays, mais de nombreux militants et intellectuels ont contesté la régularité des procédures lors des procès32 et les conséquences des diverses mesures non judiciaires. Les observateurs ont constaté que ces procédures n’avaient apporté à la population que très peu d’informations sur le passé et qu’elles n’étaient pas parvenues à favoriser un véritable dialogue entre les Cambodgiens33 .

La violence KR était omniprésente et de nombreux Cambodgiens furent obligés de commettre des violences pour sauver leur vie. Les gens pouvaient être à la fois victimes, auteurs et témoins. Certains pouvaient être membres des KR, sans avoir commis eux-mêmes des violences. L’absence de reconnaissance officielle de ces implications multiples et le fait que cela n’ait pas été suffisamment approfondi, auraient entravé le processus de réconciliation à de nombreux égards : il se peut que des victimes soient réticentes à accepter d’anciens membres des KR dans leurs communautés et que d’anciens membres KR soient considérés comme des coupables quel que soit le niveau de responsabilité qui fut le leur lors de ces violences34 .

Les KR sont restés une force d’opposition militaire et politique au Cambodge jusqu’en 1999, date à laquelle les dernières forces armées se sont rendues. Ils étaient affaiblis, en partie par les amnisties accordées, notamment à de hauts dignitaires KR, pour des actes qu’ils avaient commis entre 1975 et 1979. La mobilisation en faveur d’un tribunal international pour juger les hauts dirigeants KR prenait de l’ampleur. Après presque dix ans de négociations, les CETC ont  finalement été constituées en 200635 . Certains se sont demandé si les CETC elles-mêmes, dont la compétence était limitée dans le temps à la période du régime KR et qui étaient focalisées sur la poursuite des hauts dignitaires et des principaux responsables des violences, ne favorisaient pas un narratif étriqué de la justice et de la réconciliation36 . Toutefois, il est maintenant reconnu que les Chambres et la mobilisation de la société civile qui les accompagnait, ont maintenu un débat public d’un certain niveau sur cette période, une démarche qui n’avait pas toujours été soutenue par les dirigeants politiques du pays37 . En règle générale, les Cambodgiens se souviennent des années KR, soit en raison de ce qu’ils ont eux-mêmes vécu, soit par les histoires que d’autres leur ont racontées.

Le Cambodge n’a pas connu de nouvelles violences de masse, mais la colère et la soif de vengeance sont toujours présentes, faisant ainsi obstacle à la réconciliation nationale38 . Dans une étude de 2011, Laura McGrew a constaté que si les Cambodgiens avaient atteint un état de « coexistence de surface [traduction CICR] », ils étaient encore loin de la confiance et de l’interdépendance qui caractérisent une société solidaire39 . Parmi les victimes interrogées par L. McGrew, certaines avaient commencé à accepter des auteurs des violences dans leur communauté, mais elles étaient beaucoup moins enclines à accepter ceux qui étaient considérés comme responsables des violations les plus graves40 . Ceux qui étaient considérés comme ayant commis des infractions pour sauver leur vie ou par ignorance, étaient mieux acceptés que ceux qui n’avaient manifesté aucun remords et qui ne s ‘étaient absolument pas repentis41 . Lorsque des auteurs des violences étaient encore aux manettes du pouvoir, les victimes ont déclaré qu’elles vivaient dans un état de peur permanent42 . Selon l’étude de Burca Munya, parmi les familles qui se sont exprimées ouvertement sur la période KR, des jeunes avaient dit ressentir de la colère, être animés par un sentiment de vengeance et vivre dans la crainte de la réapparition d’un régime semblable43 .

Le Cambodge, où un tribunal a été mis en place trente ans après les faits relevant de sa compétence, constitue un excellent exemple pour mesurer les effets des procès sur la mémoire et le pardon, en ce qu’ils évitent en partie la période troublée qui suit immédiatement un conflit44 .

Méthodologie et sources des données

Cet article se fonde sur de multiples données issues de sondages et de recherches par méthodes mixtes, menées par les auteurs de 2008 à 2014 auprès de la population (enquêtes nationales) ainsi que sur des entretiens avec des personnes qui se sont constituées parties civiles (PC) dans des procédures judiciaires engagées à l’encontre de hauts dignitaires KR devant les CETC45 .

Ces études de la population avaient pour but d’évaluer sa connaissance, sa perception et son avis sur les CETC ainsi que sur la reconstruction de la société, mais également d’examiner les changements intervenus sur ces deux aspects fondamentaux en deux ans. Les entretiens ont été conduits en 2008 et 2010 auprès de quelque 1000 Cambodgiens adultes, choisis au hasard, qui ont répondu à chacun des deux sondages. Pour procéder à cet échantillonnage, l’équipe a utilisé la base de données pour le recensement général de la population au Cambodge en 2008, établi par l’Institut national de statistique du ministère du Plan. Une stratégie d’échantillonnage par grappes en quatre étapes46 a ensuite été conçue afin de garantir que les résultats soient représentatifs de la population. Les enquêteurs ont utilisé un questionnaire structuré qui était le même pour les deux enquêtes. Celles-ci portaient sur neuf aspects : 1) la démographie ; 2) les besoins et les priorités ; 3) la justice et l’état de droit ; 4) le régime KR ; 5) les actions de sensibilisation des CETC ; 6) la connaissance, la perception et l’avis sur les CETC ; 7) la constitution d’archives historiques, l’établissement de la vérité et les réparations ; 8) l’exposition à la violence ; et 9) la santé mentale. Le sondage contenait plusieurs séries de questions visant à comprendre quel était le niveau de connaissance des personnes interrogées sur cette période de violences, en particulier chez les jeunes, qui ne l’avaient pas eux-mêmes vécue et comment cette connaissance était transmise entre les personnes mais aussi d’une génération à l’autre47 . De plus, en 2010, des questions portant sur la première affaire portée devant les CETC et sur la participation des victimes en qualité de partie civile aux procédures judiciaires, furent ajoutées48 . D’abord élaboré en anglais, ce questionnaire fut ensuite traduit en Khmer49 . Afin de s’assurer qu’il était facilement compréhensible pour les personnes interrogées, des experts locaux furent consultés et ce questionnaire fut testé auprès de soixante-sept personnes prises au hasard dans d’autres lieux que ceux visés par l’étude.

En outre, les auteurs réalisèrent trois séries d’entretiens avec les parties civiles à des affaires portées devant les CETC50 . Ces études avaient pour objectif de suivre et d’évaluer le processus de participation des PC aux affaires portées devant les CETC et au programme de l’Association pour les Droits de l’Homme et le Développement au Cambodge (ADHOC), qui a accompagné près de la moitié des personnes dont la constitution de PC  avait été déclarée recevable dans le Dossier 002 devant les CETC. Les sondages ont également recueilli l’opinion des PC sur le processus plus général de justice transitionnelle déployé dans le pays. Le tableau 1 montre le nombre de PC interrogées par les auteurs dans les Dossiers 001 et 002 soumis aux CETC.

 

Tableau 1. Parties civiles et représentants des parties civiles interrogés
Dossier (année) Nombre total de PC ou de personnes demandant à se constituer PC Nombre total de parties civiles interrogées (y compris les représentants des parties civiles [RPC])
001 (2010) 90 personnes demandant à se constituer PC 75 personnes demandant à se constituer PC (y compris 22 personnes dont la constitution de PC n’a pas été déclarée recevable)
002 (2011) 2 124 PC (à partir de mai 2011) 414 PC (y compris 120 des 122 RPC)
002 (2014) 2 124 PC (à partir de mai 2011) 329 PC (y compris 113 des 122 RPC d’origine)

La première série d’entretiens fut réalisée aux alentours de décembre 2010, à la fin du procès de Kaing Guek Eav, alias Duch (Dossier 001). La seconde série d’entretiens fut menée en 2011, avant l’audience initiale du procès de Nuon Chea et Khieu Samphan dans le cadre du Dossier 00251 et la troisième série d’entretiens fut conduite en janvier 2014, après le procès au fond et avant le jugement dans le cadre du Dossier 002/0152 .

Les questionnaires structurés pour les enquêtes menées auprès des PC étaient les mêmes que ceux utilisés pour les sondages d’opinion menés auprès de la population, mais ils mettaient l’accent sur le processus de participation aux CETC, notamment mais pas seulement, sur la marche à suivre pour déposer une demande de constitution de PC, sur la représentation juridique, sur la participation au procès et, le cas échéant, sur des questions propres au programme ADHOC.

Si ces sondages furent conduits avec la plus grande rigueur possible, il faut toutefois admettre qu’ils comportent quelques limites. Premièrement, les questionnaires contenaient des questions concernant des faits remontant à plus de trente ans. Il est possible qu’avec le temps, la mémoire des personnes interrogées se soit altérée et qu’il en ait résulté certains partis pris. Par ailleurs, dans la mesure où les avis et les opinions sont influencés par les évènements contemporains inhérents à chaque situation, les données ne donnent qu’un aperçu des opinions telles qu’elles ont été exprimées au moment du sondage. Plusieurs questions avaient été élaborées pour s’assurer de la fiabilité des réponses. Enfin, bien que les questions aient été finalisées après un essai pilote, les personnes interrogées étaient libres de les interpréter selon leur propre compréhension des termes utilisés. Un choix rigoureux de la formulation, une traduction minutieuse ainsi qu’une consultation approfondie d’experts locaux sur la terminologie, ont réduit le risque d’une mauvaise interprétation des questions.

Certains des résultats les plus significatifs portent sur la connaissance que les gens avaient des KR, sur leur volonté de parler de la période KR, sur leur souhait de connaître la vérité sur cette période et sur leur sentiment quant à la possibilité d’une réconciliation. Pour analyser ces résultats plus en détail, les auteurs procédèrent à un nouvel examen des documents afin de recenser certains des principaux aspects relatifs, de manière générale, à la mémoire et à la justice transitionnelle. Parallèlement, ils entreprirent de nouvelles analyses pour avoir une idée des modes d’interactions entre la mémoire et la réconciliation après une période de violences. Cette nouvelle étude mit l’accent sur une série de données liées à la mémoire et à la réconciliation, de façon à comprendre leurs interactions.

Rompre le silence ?

Les mécanismes de justice transitionnelle peuvent certainement aider à rompre le silence qui entoure les crimes et les violations graves commis pendant des conflits. Il est évident que ce silence autour d’évènements souvent majeurs, empêche l’émergence d’un récit exhaustif et d’une mémoire collective. On peut toutefois légitimement se demander quelle est la part réelle de ce silence ou, en d’autres termes, y avait-il un silence à rompre au Cambodge53  ?

 

Tableau 2 : Connaissance du régime Khmer rouge*
  N’avaient pas connu le régime KR Avaient vécu sous le régime KR
2008 2010 2008 2010
Connaissance des KR Faible/très faible 81% 80% 37% 36%
Sources d’information Sa propre expérience N/A 1% 80% 78%
Famille et amis 84% 88% 17% 18%
École 6% 2% 1% 1%
Médias 9% 8% 2% 3%

* Cette question n’a pas été posée aux PC dès lors que, les concernant, l’accent était seulement mis sur leur expérience en tant que PC.

Selon les sondages de 2008 et 2010, les plus jeunes disent ne guère connaître la période KR qu’ils n’ont pas connue54 (voir tableau 2). Environ 80 % d’entre eux, ainsi qu’un tiers de ceux qui ont vécu sous les KR ont dit avoir une faible ou une très faible connaissance de cette période, tant en 2008 qu’en 2010. Cela peut sembler surprenant, mais peut s’expliquer par le secret alors entretenu par le régime ainsi que par le fait que les gens avaient peu de contacts avec le monde extérieur, en dehors de leur entourage immédiat.

Pour environ 80 % des personnes interrogées ayant vécu sous le régime KR, la principale source d’information sur cette période venait de leur propre expérience, tandis que la famille et les amis constituaient la principale source d’information pour plus de 80 % des jeunes Cambodgiens interrogés. Très peu de personnes interrogées ont dit avoir entendu parler de la période KR à l’école ou dans les médias, même si, chez les jeunes générations, l‘école et les médias figuraient légèrement comme les sources d’information les plus courantes. Ces réponses ne sont pas surprenantes dans la mesure où les médias ont parlé de l’histoire de la période KR à l’époque des CETC, mais avait rarement avant. De plus, pour les personnes peu alphabétisées ou pour celles vivant dans des zones rurales, l’accès à l’information par les médias était souvent difficile, voire impossible55 . Comme les écoles étaient en cours de reconstruction et les professeurs en formation, le système scolaire était, pour ainsi dire, inexistant dans les années 198056  et l’histoire sommaire des KR, introduite dans les programmes scolaires dans les années 1980, disparut des programmes en 1993 avant d’y être réintégrée seulement en 201057 .

En plus de ce manque de connaissances, il y a une certaine réticence à parler de cette période (voir tableau 3). Environ 40 % de ceux ayant vécu sous les KR n’en parlent que rarement, voire jamais ; parmi ceux qui n’ont pas vécu sous le régime KR, le chiffre passe à environ trois sur quatre. Cela peut s’inscrire dans une tendance plus large consistant à éviter de parler des violences passées et, donc, de se les remémorer. En psychologie, l’évitement de souvenirs douloureux est un mécanisme de défense et de survie courant58 . Interrogés dans le cadre de deux enquêtes réalisées par l’Organisation psychosociale transculturelle du Cambodge (TPO Cambodge) en 2015 et 2016, des jeunes ont déclaré que leurs parents ne parlaient pas des KR soit car cela leur était trop douloureux, soit car cela leur rappelait ce qui était arrivé aux membres de leur famille, soit encore parce qu’ils ne voulaient pas évoquer ce qu’eux-mêmes avaient fait pendant cette période59 . Partant des entretiens avec des jeunes, Munyas a constaté de nombreuses incohérences dans les histoires qu’ont livrées des Cambodgiens ayant vécu sous le régime KR à leurs enfants. Certains parents étaient trop traumatisés ou trop focalisés sur la lutte qu’ils menaient au quotidien, pour évoquer des traumatismes anciens60 . Après la chute du régime, il se peut aussi que d’anciens membres KR aient caché leur véritable identité ou le rôle qui fut le leur sous ce régime, par crainte d’être poursuivis devant les CETC ou ostracisés par leur communauté61 .

Les deux sondages montrent aussi, très nettement, que l’économie, l’emploi et la réduction de la pauvreté (83 % et 98 %, respectivement en 2008 et 2010) figuraient parmi les priorités des personnes interrogées ; venaient ensuite, les infrastructures (48 % et 50 % respectivement en 2008 et 2010) ; et les services tels la santé et l’alimentation. On peut comprendre que des personnes ayant de telles priorités puissent ne pas prendre le temps de parler ou de chercher à en savoir plus sur des évènements remontant à plus de trente ans. Il ressort d’études précédentes que, confrontés à la pauvreté, les Cambodgiens déplacés étaient davantage préoccupés par leurs tâches quotidiennes et leur survie au jour le jour, que par une réflexion sur le passé62 . Il convient de relever que les PC et les représentants des parties civiles (RPC) étaient bien plus enclins à parler souvent des KR puisque, en tant que PC, ils étaient régulièrement impliqués dans les activités des CETC et qu’ils recevaient des informations relatives aux procédures devant les CETC63 .

Pour autant, cela ne veut pas dire que la population cambodgienne dans son ensemble, se désintéresse de la période KR : parmi ceux n’ayant pas connu le régime KR, tant en 2008 qu’en 2010, 85 % des personnes interrogées souhaitaient en savoir davantage, à l’instar d’une large majorité de ceux qui avaient vécu sous ce régime (74 % en 2008 et 67 % en 2010). Compte tenu de ce manque de connaissances de la période KR et de la tendance à ne pas vouloir en parler, en particulier chez les plus jeunes générations, les auteurs se proposent maintenant d’examiner quelles sont les réactions face à la découverte de l’histoire et de la vérité sur ces années de violence. Cela est particulièrement important dans la mesure où les politiques publiques du Cambodge ont favorisé un narratif étriqué sur le régime et il se peut qu’il soit encore nécessaire de promouvoir des échanges plus larges.

 

Tableau 3 : Parler des Khmers rouges
  N’ayant pas vécu sous le régime KR Ayant vécu sous le régime KR PC et RPC
2008 2010 2008 2010 2010 2011 2014
PC PC RPC PC RPC
Ne parlent pas ou peu des KR 69% 76% 40% 41% 16% 12% 7% 20% 7%

 

Il ressort clairement des résultats des sondages que les réactions à propos de la vérité et de la mémoire ont considérablement évolué entre 2008 et 2010 (voir tableau 4), au moment où les procès devant les CETC, largement soutenus par la société civile, ont commencé. S’agissant des opinions à propos de la recherche de la vérité, on note une nette évolution entre le premier et le second sondage. En 2010, près de 10 % des personnes interrogées étaient convaincues qu’il fallait faire éclater la vérité. Le pourcentage de personnes interrogées qui pensaient qu’une réconciliation serait impossible sans connaitre la vérité est passé de 64 % en 2008 à 81 % en 2010. Par ailleurs, en 2010, les personnes interrogées étaient nettement plus nombreuses à estimer que les cambodgiens ne pourraient pas aller de l’avant sans savoir le sort qui avait été réservé à leurs proches : 83 % en 2010 contre 64 % en 2008. Cela montre qu’au moment où se sont tenus les premiers procès devant les CETC, les Cambodgiens ont ressenti un changement dans leur environnement qui laissait entrevoir une plus grande possibilité d’ouverture. De manière plus fondamentale, les procès ont révélé des informations sur la période KR qui, jusqu’alors, étaient inconnues du plus grand nombre. En offrant la possibilité au moins à quelques victimes de s’exprimer, il est possible que les procès aient fait naître le sentiment qu’il était possible de parler du passé et ce, sans être inquiété. Il est probable que la couverture médiatique accrue de la période KR et qu’un plus grand intérêt pour cette période suscité par la mobilisation de la société civile aient renforcé ce sentiment64 . Comme en 2008, plus de la moitié des personnes interrogées (61 %) avaient été séparées de force des membres de leur famille, il est donc probable que, pour de nombreux Cambodgiens, la recherche de la vérité vise tant à en savoir plus sur le sort de leurs proches, qu’à constituer des archives historiques.

Il se pourrait que tant la participation de victimes aux procédures judiciaires en tant que PC, que l’action des ONG, aient déclenché un plus grand intérêt de connaitre la vérité. En 2011 et en 2014, près de 100 % des PC et des RPC dans le Dossier 002 ont déclaré qu’il était important de découvrir la vérité, une nette majorité d’entre elles considérant que, sans connaître la vérité, une réconciliation serait impossible ou que les gens ne pourraient pas aller de l’avant sans savoir le sort qui avait été réservé à leurs proches.

Le fait que ces personnes interrogées soient des PC pourrait expliquer les différences entre leurs réponses et celles de l’ensemble de la population. En raison de leur statut et de l’accompagnement qui leur a été apporté dans les procédures, les PC ont eu plus de possibilités que le reste de la population d’en apprendre davantage sur les KR. Elles étaient accompagnées de plusieurs ONG, avaient des représentants juridiques et étaient en contact avec la Section d’appui aux victimes, chargée de faciliter la participation des victimes aux procès devant les CETC. Les PC ont pu, dans le cadre de groupes de parole, poser des questions sur les CETC, parler de ce qu’elles avaient vécu pendant le régime KR et d’y réfléchir. De plus, grâce au programme ADHOC, les RPC ont suivi plusieurs formations et ont joué un rôle clé dans l’information des PC. Les PC et les RPC ont bénéficié d’un environnement propice pour parler des CETC et du régime KR65 .

 

Tableau 4. Réactions à propos de la vérité et de la constitution d’archives historiques de la période KR
  Ensemble de la population * PC et RPC
  2008 2010 2010 2011 2014
  PC PC RPC PC RPC
Il est nécessaire de trouver la vérité sur ce qu’il s’est passé sous le régime Khmer rouge (% de OUI) 85% 93% 95% 98% 99% 99% 99%
Il ne peut y avoir de réconciliation nationale sans connaitre la vérité sur ce qu’il s’est passé sous le régime Khmer rouge (% de OUI) 64% 81% 84% 82% 88% 88% 91%
Les Cambodgiens ne peuvent pas aller de l’avant sans connaître le sort qui a été réservé à leurs proches (%OUI) 64% 83% 84% 84% 95% 89% 96%

 

* Sur l’ensemble de la population, les réponses de ceux qui ont vécu sous le régime KR et celles de ceux qui ne l’ont pas connu étaient similaires pour ces questions et c’est pourquoi le tableau ne distingue pas entre ces deux catégories.

En effet, la manière d’aborder les atrocités commises sous le régime KR a profondément évolué depuis que les CETC ont été créées. Le système éducatif commence à intégrer l’histoire des KR dans les programmes scolaires : en 2017, des recherches menées par huit groupes d’études de quatre universités de Phnom Penh ont montré que la famille restait la principale source d’information sur le régime KR, mais que les établissements scolaires suivent maintenant de près66 . Les CETC disposent de plus en plus de documents décrivant ce qu’il s’est passé sous le régime et ont mis en place plusieurs programmes qui procurent de plus amples informations sur les KR67 . La société civile continue de donner l’exemple grâce à des programmes destinés à informer et à promouvoir les échanges sur la période KR ou en donnant des pistes pour comprendre le passé68 . Ces initiatives visent à répondre aux attentes des victimes et de leurs familles de comprendre ce qu’il s’est passé sous le régime KR et permettent d’y parvenir par des échanges publics et interpersonnels69 .

Vengeance ou pardon ?

La réconciliation nationale est l’un des principaux objectifs des CETC : cela est explicitement mentionné dans l’Accord conclu entre les Nations Unies et le Cambodge portant création des CETC et dans le Règlement intérieur de celles-ci70 . Toutefois, l’apport des procès et de la mémoire collective à la réconciliation nationale est controversé. Selon David Rieff, par exemple, il est préférable d’oublier plutôt que de s’engager dans des mécanismes visant à établir la vérité et/ou une mémoire collective71 . Cependant, la réconciliation est un processus complexe qui évolue dans le temps et qui peut prendre différentes formes72 . Chez la population adulte cambodgienne, la définition de la réconciliation a évolué. Dans le sondage de 2008, une majorité de la population définissait la réconciliation comme l’absence de violences et de conflit (56 %). Dans le sondage de 2010, les Cambodgiens ont considéré qu’elle se caractérisait par l’unité et le vivre ensemble (54 %), la communication et la compréhension mutuelle (38 %) et la gentillesse (compassion) (27 %). Environ 8 % ont considéré que la réconciliation était synonyme de pardon et 5 % l’ont définie comme « l’absence de vengeance ». Seulement 15 % ont assimilé la réconciliation à l’absence de violences et de conflit, révélant ainsi une approche plus positive de la réconciliation. Toutefois, à la même période, les personnes interrogées ont indiqué ressentir très peu de changement dans leurs interactions avec d’anciens membres KR dans diverses situations73 . En conséquence, les auteurs ont analysé des variables relatives à divers aspects d’une réconciliation, notamment le sentiment de haine et le désir de vengeance. Au moment où ces sondages ont été réalisés, le sentiment de haine était encore très présent chez les Cambodgiens (voir tableau 5), reproduisant en partie le discours de haine véhiculé par les gouvernements successifs à l’encontre  du régime KR. Dans les deux sondages conduits auprès de la population, plus de 80 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles éprouvaient encore de la haine envers les responsables des violences KR. Un peu plus d’un tiers a exprimé un désir de vengeance et la majorité souhaitait voir ces responsables souffrir ou qu’il leur arrive malheur. Il y a peu de différences entre les sondages de 2008 et de 2010. Parmi ceux qui n’ont pas vécu à l’époque des KR, le pourcentage de personnes interrogées qui auraient souhaité pouvoir se venger des responsables de ce qu’il s’était passé sous le régime KR, avait légèrement augmenté (40 % en 2010 contre 34 % en 2008). Toutefois, le pourcentage de personnes interrogées qui souhaitaient voir les responsables souffrir ou qu’il leur arrive malheur, avait légèrement diminué. Cette tendance est vraie pour les deux groupes, chez ceux qui n’ont pas vécu sous le régime (67 % en 2010 contre 71 % en 2008) et chez ceux qui ont connu le régime (68 % en 2010 contre 72 % en 2008).

Chez les PC et les RPC, le pourcentage de personnes ayant exprimé un sentiment de haine et un désir de vengeance atteint un niveau comparable, avec une nette augmentation, de 2011 à 2014, du nombre de PC et de RPC souhaitant se venger et voir les responsables souffrir ou qu’il leur arrive malheur. Il est possible que les procès devant les CETC aient ravivé des souvenirs et aient mieux fait connaître ce qu’il s’était passé sous le régime, renforçant ainsi le désir de vengeance. Cela expliquerait aussi pourquoi cette tendance est plus prononcée chez les PC et les RPC que chez l’ensemble de la population, dès lors qu’ils étaient plus impliqués dans les procès74 . De plus, les questions figurant dans les sondages ne distinguaient pas les auteurs selon leur niveau de responsabilité. Il est possible que les procès aient mis en lumière ces différenciations et qu’elles aient ainsi exacerbé une soif de vengeance à l’encontre des plus hauts responsables.

 

Tableau 5. Sentiment de haine et désir de vengeance
  N’ont pas vécu sous le régime KR Ont vécu sous le régime KR PC PC RPC
  2008 2010 2008 2010 2010 2011 2014 2011 2014
Sentiment de haine à l’encontre de membres des KR responsables de violences (% oui) 79% 75% 85% 83% 89% 97% 97% 91% 92%
Souhaiteriez-vous pouvoir vous venger des responsables ? (% oui) 34% 40% 38% 39% 45% 49% 60% 43% 55%
Souhaiteriez-vous voir ces responsables souffrir ou qu’il leur arrive malheur ? (% oui) 71% 67% 72% 68% 76% 80% 91% 68% 78%

 

Tant en 2008 qu’en 2010, 40 à 50 % des personnes interrogées ont déclaré ne pas se sentir à l’aise dans diverses situations, lorsqu’ils côtoient d’anciens membres KR (vivre dans la même communauté, vivre sous le même toit, avoir un enfant qui se marie avec un ancien membre des KR, avoir pour voisin un ancien KR, etc.). Il est important de noter que seulement 50% des personnes interrogées n’hésiteraient pas à s’exprimer ouvertement, dans un lieu public tel qu’un tribunal ou une audience publique pour livrer ce qu’elles-mêmes ou des membres de leur famille ont vécu. Cela peut être révélateur de la réticence de principe des Cambodgiens à parler de la période KR et peut également traduire la crainte plus profonde de s’exprimer, étant donné la prédominance des sentiments de haine et la soif de vengeance.

Afin de mieux analyser les dynamiques complexes entre mémoire, haine, vengeance et pardon, les auteurs ont procédé à une analyse selon le modèle de la régression logistique sur une série de variables dont on pouvait supposer qu’elles avaient eu une influence sur une variable de résultat : avoir pardonné ou non aux anciens membres KR. Bien que les CETC avaient pour but premier de juger de hauts dignitaires KR, le pardon a été très souvent cité par les personnes interrogées comme une issue souhaitable des procès et comme un facteur de réconciliation75 . Environ un tiers du nombre total de personnes interrogées dans les deux sondages menés auprès de l’ensemble de la population a déclaré avoir pardonné aux anciens KR. Cette analyse met en lumière les dynamiques du pardon en montrant les facteurs qui y contribuent. La régression finale a produit le rapport des cotes (ou rapport des chances76 ) par l’association de douze variables autres que le fait d’avoir pardonné aux KR les atrocités qu’ils avaient commises. L’une de ces douze variables comprenait différents aspects de responsabilité cités par les personnes interrogées comme étant les plus appropriés pour en finir avec la période KR : d’une part la vérité et les réparations, qui sont considérées comme des mesures « restauratives » (ou « réparatrices ») et, d’autre part, les procès et les autres formes de sanctions (y compris la peine de mort), considérés comme relevant de la justice « rétributive » (ou « punitive »). Dans le modèle présenté dans le tableau 6, la conjugaison des deux variables est appelée « restaurative vs rétributive ». Les auteurs ont également inclus plusieurs variables indiquant la situation économique des personnes interrogées : niveau de vie satisfaisant et chances de trouver un emploi, revenus mensuels et niveau d’éducation. Ces variables ont été introduites pour comprendre comment les facteurs économiques ont une influence sur la capacité des individus se montrer conciliants vis-à-vis d’anciens bourreaux. Le niveau de connaissance des KR et des CETC a également été inclus pour évaluer l’influence de la mémoire (qui se manifeste par la connaissance) et le fait d’être exposé au mécanisme de justice transitionnelle le plus important de l’époque. Comme la connaissance des KR était étroitement liée au fait d’avoir vécu sous ce régime, elle ne fut donc pas incluse dans la régression finale. Ces variables furent introduites en tant qu’indicateurs de réconciliation au niveau individuel : symptômes permanents de troubles de stress post-traumatique (PTSD), ressentir de la haine à l’encontre des KR et souhaiter les voir souffrir ou qu’il leur arrive malheur.

Le tableau 6 présente les résultats avec des rapports des cotes qui montrent les chances (en termes de probabilité) qu’une personne ait pardonné au régime KR pour chaque variable prédictive (ou prédite). Un rapport de cotes supérieur à 1 indique, compte tenu du statut de la variable prédictive, une plus grande probabilité de pardonner, tandis qu’un rapport de cotes inférieur à 1 montre une décroissance dans la probabilité de pardonner. Par exemple, des personnes interrogées qui sont favorables à une justice restaurative, ont 1,8 fois plus de chances d’avoir pardonné à d’anciens membres des KR que celles qui préféraient une justice rétributive. Plus important encore, le tableau 6 nous montre que quatre des variables allaient de pair avec une plus grande disposition à pardonner. Ces variables sont : 1) n’a pas vécu sous le régime KR ; 2) est satisfait de son niveau de vie ; 3) est satisfait de ses chances de trouver un emploi ; et 4) a une préférence pour des mesures de justice restaurative.

Les personnes interrogées qui n’avaient pas connu le régime KR étaient plus enclines à déclarer avoir pardonné aux KR. C’est là une position quelque peu intuitive : les jeunes générations pardonnent plus facilement car elles n’ont pas elles-mêmes vécu sous le régime et ce n’est qu’indirectement qu’elles en ont eu connaissance et qu’elles en ont la mémoire, par leur famille, l’école, leur environnement. Selon les recherches de Munya sur la connaissance de la période KR chez la jeunesse cambodgienne, il y a eu une certaine transmission intergénérationnelle des traumatismes, de la colère et d’une soif de vengeance, bien que certains jeunes ne croient pas un mot de ce que leur racontent leurs parents ou sont plus préoccupés par leurs propres priorités et leurs problèmes au quotidien77 .

 

Tableau 6. Régression logistique des variables allant de pair avec le fait d’avoir pardonné aux anciens KR*
Variable dépendante : avez-vous pardonné aux anciens KR ? Rapport de cotes Rapport de cotesIndice de confiance (IC) 95% pour EXP(B) Sig.
    Inférieur Supérieur  
Restaurative vs. rétributive 1,824 1,229 2,708 0,003
N’a pas vécu sous le régime KR 1,416 1,002 1,999 0,048
Satisfait par son niveau de vie 1,371 1,86 1,732 0,008
Satisfait de ses chances de trouver un emploi 1,309 1,105 1,549 0,002
Confiant dans l’action du gouvernement 1,028 1,002 1,053 0,032
Revenus mensuels 0,871 0,773 0,982 0,024
Niveau d’éducation 0,852 0,782 0,927 0,001
Niveau de connaissances sur les CETC 0,733 0,593 0,907 0,004
Symptômes de PTSD (PCL-C > 44) 0,458 0,283 0,741 0,001
Sentiment de haine à l’encontre des KR 0,432 0,287 0,649 0,001
Souhaitent que les KR souffrent et qu’il leur arrive malheur 0,29 0,202 0,415 0,001

 

* Le tableau ci-dessus présente une analyse approfondie des données recueillies en 2008 et publiées en 2009. Voir P. N. Pham et al., So We Will Never Forget, op. cit. note 23.

De plus, ceux qui étaient globalement satisfaits de leur situation, comme le montrent leur niveau de vie et leurs chances de trouver un emploi, étaient également plus enclins à pardonner. Toutefois, ceux qui avaient des revenus mensuels supérieurs étaient moins disposés à pardonner. Cela montre qu’il existe une différence entre la situation économique réelle (telle que mesurée par la richesse) et la satisfaction, laquelle peut être influencée par une amélioration sensible de leur situation socio-économique. Ces résultats montrent la nécessité de processus de justice transitionnelle plus holistique ou plus transformatrice, tel que proposé par Hamber et al., à savoir, qui traite non seulement du volet « justice » de la transition, mais également de la situation socio-économique de la population78 . En pratique, il y a très peu d’exemples d’approches holistiques, dès lors que la plupart des pays en transition prennent des mesures visant à ce que les auteurs répondent de leurs actes, sans les inscrire dans un processus global et sans véritablement les relier au développement économique du pays en général. Il est aussi difficile de mettre en œuvre une approche plus transformative de la justice transitionnelle, car cela exige d’aborder non seulement les conséquences du conflit, mais aussi l’environnement structurel qui a été le terreau du conflit.

L’analyse montre également que les personnes diplômées de l’enseignement supérieur et disposant d’une plus grande connaissance des CETC, sont moins enclines au pardon. Comme relevé précédemment, les PC et les RPC, qui ont été en lien plus étroit avec les CETC, nourrissaient un sentiment de haine et ressentaient une soif de vengeance plus intenses. Cela montre que les personnes qui connaissaient mieux les CETC en tant que mécanisme judiciaire, étaient moins disposées à accepter les violences qui avaient été commises et à les pardonner. Les PC et les RPC n’ont pas été pris en compte dans le modèle de régression, mais moins de 10 % d’entre eux ont déclaré avoir pardonné aux « hauts » dignitaires KR. Le processus pour se constituer PC montrait que les PC étaient plus susceptibles d’être impliquées dans les procès et qu’elles avaient davantage accès aux informations sur les CETC. Il est possible que d’autres Cambodgiens qui avaient été les victimes directes des KR, notamment celles titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur qui avaient été les premières cibles des KR79 , avaient plus de raisons que d’autres à chercher à en savoir plus sur les CETC. Il ressort d’autres recherches sur des victimes de violences de masse, y compris au Cambodge, que l’une des principales demandes des victimes est de savoir ce qu’il s’est passé et pourquoi80 . Les victimes peuvent avoir vu les CETC comme un moyen appréciable d’obtenir des informations et de mieux comprendre le passé.

Concernant le point de rencontre entre mémoire, justice et réconciliation, le résultat qui est peut-être le plus significatif est que les personnes qui ont exprimé une préférence pour des mesures de justice restaurative (ou réparatrice) – réparations et recherche de la vérité -, avaient deux fois plus de chances d’avoir pardonné aux KR que celles qui préconisaient une réponse rétributive (ou punitive). Le fait que la préférence pour des réparations et la recherche de la vérité soit associée au pardon, conforte, à bien des égards, les théories du pardon au Cambodge. Trente ans après le régime KR, ceux qui avaient subi moins de violences, ceux qui n’avaient pas eu beaucoup à faire avec les responsables ou ceux qui avaient encore tendance, dans une certaine mesure, à soutenir les KR, parviennent peut-être plus facilement à surmonter ce qu’elles ont vécu. Ils ont pu voir les réparations et la recherche de la vérité comme des réponses plus appropriées à des évènements qui remontent à une trentaine d’années. La culture cambodgienne et les croyances bouddhistes jouent également un rôle : selon le bouddhisme cambodgien, le pardon peut cohabiter avec un désir de vengeance ou une conception de la justice selon laquelle les personnes qui commettent des actes illicites sont frappés de malédiction, soit dans cette vie, soit dans celle d’après. Les personnes interrogées peuvent avoir pardonné tout en croyant que justice sera faite, même si les auteurs ne sont pas nécessairement traduits devant un tribunal81 . Une analyse approfondie corrobore cette opinion. Parmi ceux qui ont dit avoir pardonné aux KR, deux tiers ont également indiqué qu’ils nourrissaient encore un sentiment de haine (67 %) et près de la moitié souhaitait voir les KR souffrir et qu’il leur arrive malheur (49 %), mais seulement à une minorité (15 %) que les personnes ont déclaré que, si elles le pouvaient, elles chercheraient à se venger.

Ce qui distingue les procès d’autres mécanismes permettant d’établir les  responsabilités, c’est que les procès visent des auteurs pris individuellement, en vue, le cas échéant, de les punir s’ils sont reconnus coupables. L’analyse montre que les personnes interrogées qui étaient favorables à des sanctions individuelles étaient moins susceptibles d’avoir pardonné aux KR. L’examen des variables qui étaient associées à une volonté moindre de pardonner permet  de mieux comprendre ce résultat. Ceux qui étaient les plus susceptibles de nourrir un sentiment de haine et qui souhaitaient voir les KR souffrir ou qu’il leur arrive malheur, étaient le moins susceptibles d’avoir pardonné aux KR. Là encore, cela peut s’expliquer par l’intensité de leur exposition aux violences sous le régime, par la détérioration de leurs conditions de vie au moment où les KR étaient au pouvoir,  comme la pauvreté, des problèmes de santé, ou le fait d’être face, en permanence, aux auteurs des violences. Cette interprétation est confortée par le fait que ceux qui présentaient des symptômes aigus de PTSD étaient bien moins susceptibles d’avoir pardonné aux KR.

Conclusion

Cet article a cherché à apporter un éclairage sur les dynamiques de mémoire, de justice transitionnelle et de réconciliation nationale au Cambodge, trente ans après la fin de la période KR. La mémoire des violences est par nature personnelle et propre à chacun. La mémoire est faite des expériences individuelles et de réactions aux traumatismes, mais elle est également modelée par l’environnement politique du moment qui cherche à façonner une mémoire commune et à produire des récits à des fins politiques, et influencée par la situation socio-économique et le milieu dans lequel vivent les personnes qui ont survécu au régime. Les résultats de ces études montrent comment les CETC, en ce qu’elles représentent l’avancée la plus importante en termes de justice transitionnelle au Cambodge au cours des dernières décennies, ont modifié la manière d’appréhender la mémoire. Les données montrent que les CETC ont éveillé ou renforcé l’exigence de vérité - les personnes interrogées ont fortement exprimé le besoin de connaitre la vérité, en ce que la vérité aidera les Cambodgiens à se réconcilier, mais aussi que la découverte de la vérité sur le sort de leurs proches leur permettrait d’aller mieux. Cela peut s’expliquer par le très grand nombre de personnes qui ont perdu des proches pendant cette période et qui n’ont jamais su quel sort leur avait été réservé, mais cela traduit aussi les lacunes de l’enseignement public et la pauvreté des programmes scolaires, ainsi que le manque de transparence sur la période KR, promu officiellement, qui a prévalu jusqu’à très récemment.

En 2010, lorsque le deuxième sondage a été réalisé, l’éventualité d’une plus grande exigence de vérité ne semblait pas s’être traduite par une plus grande volonté de parler du régime, notamment parmi les plus âgés. Cela peut être l’indication d’une certaine peur, d’une anxiété ou d’un manque d’intérêt à prendre la parole, autant d’aspects qui sont importants dans l’élaboration d’une mémoire collective. Par exemple, dans le cadre d’un projet sur deux ans de l’organisation TPO Cambodge visant à améliorer les relations entre d’anciens membres KR et des victimes, ceux qui avaient été identifiés comme d’anciens KR étaient réticents à parler de leur passé ou à le dévoiler, en exprimant leurs craintes en termes de sécurité et de sûreté82 . Cela a pesé sur les actions visant à façonner une mémoire commune et à constituer des archives historiques, dans la mesure où cela nécessite de mettre en place une protection spéciale pour les victimes qui témoignent publiquement. Par ailleurs, la participation à un processus, qu’il soit judiciaire comme devant les CETC ou qu’il soit soutenu par des ONG, peut créer un environnement « sûr » et l’espace nécessaire pour que les individus se sentent libres de s’exprimer et de façonner un autre narratif83 .

Un autre changement significatif a été que le désir de vengeance s’est fortement intensifié entre 2008 et 2010, en particulier chez les PC qui étaient les plus étroitement impliquées dans les procès. Par les procédures judiciaires et par d’autres actions qu’elles ont initiées, les CETC ont apporté de nouvelles informations sur les violences, ce qui peut avoir nourri un sentiment de vengeance. Il ressort de l’analyse des auteurs qu’au Cambodge en tous les cas, la préférence pour une justice restaurative par des réparations et par la recherche de la vérité, est fortement associée au pardon. Cela peut s’expliquer par le temps qui s’est écoulé depuis la commission des violences ou par les diverses positions que les gens occupaient et la manière dont ils ont été exposés aux violences. Les croyances religieuses, selon lesquelles le pardon peut cohabiter avec un sentiment de haine et le souhait que la malédiction s’abatte sur les coupables, doivent également être prises en compte. Les personnes interrogées qui présentaient des symptômes aigus de PTSD sont nettement moins prêtes à pardonner, ce qui montre que leurs souvenirs, plus vifs, plus traumatisants ou peut-être la violence, la peur ou les privations qu’ils continuent de subir au quotidien, sont autant d’entraves à leur capacité à supporter la cohabitation avec d’anciens membres KR. Celles qui sont satisfaites de leur niveau de vie sont plus disposées à pardonner. Les éléments présentés ci-dessus soulignent la corrélation entre les personnes ayant survécu et l’environnement dans lequel ils vivent : leurs conditions de vie au quotidien sont essentielles à leur guérison et devraient faire partie intégrante de tout processus transitionnel.

Concrètement, les données recueillies montrent que les CETC et la mobilisation de la société civile qui les a accompagnées, peuvent avoir eu une influence positive pour aborder les séquelles des atrocités de masse commises par les KR au Cambodge et ce, même plus de trente ans après. Les CETC ont offert la possibilité de s’exprimer ouvertement, ce qui n’était quasiment pas possible auparavant. Elles ont également établi un mécanisme de justice pénale pour infliger certains types de châtiments, ce qui constituait le moyen privilégié par ceux qui n’avaient pas pardonné aux KR, de rendre la justice. Parmi ceux-ci, on trouve ceux présentant des symptômes de PTSD et d’autres troubles de santé mentale, ceux disposant de revenus et d’un niveau d’éducation plus élevés et ceux qui nourrissent encore un fort sentiment de haine. Si le pardon serait peut-être souhaitable, pour montrer que la société s’achemine vers la réconciliation nationale, il est impossible de l’imposer à ceux dont les traumatismes résiduels ou la colère n’ont pas été apaisés autrement, que ce soit par un procès ou par un accompagnement psychologique84 .

Cette analyse met également l’accent sur la nécessité, dans une société sortant d’un conflit, de s’attaquer aux tensions sous-jacentes causées par le souvenir indélébile d’un conflit ou d’une période de violence. Des pressions peuvent être exercées sur une population pour qu’elle accepte le récit collectif officiel de son gouvernement, mais il est plus difficile d’effacer la haine et la colère que ressentent les individus. De manière générale, les résultats soulignent l’importance des initiatives visant à établir la vérité et des échanges sur le passé qui soient transparents et plus ouverts, au cours desquels il est possible d’exprimer des point de vue différents. La société civile a fortement contribué à ces initiatives et les CETC ont permis, voire ont donné l’élan, pour de tels échanges. Par exemple, ces dernières années, des audiences ont été consacrées au témoignage de femmes relatif aux violences sexuelles sous les KR et le Centre de documentation du Cambodge (DC-Cam) a publié un manuel scolaire d’histoire intitulé A History of Democratic Kampuchea  (1975-1979) (Histoire du Kampuchéa démocratique (1975-1979)) qui est désormais utilisé  dans les écoles pour enseigner aux élèves l’histoire du régime KR85 . Ces changements ne peuvent pas être directement attribués aux CETC, mais l’existence d’un tribunal peut avoir contribué à créer un environnement propice pour les y initier.

Alors que la mission des CETC touche à sa fin, nombre d’organisations ont poursuivi leurs actions auprès des Cambodgiens dans tout le pays. Ces programmes qui s’adressent principalement aux jeunes et aux personnes âgées, tant dans les villes que dans les zones rurales, visent à aider à refermer les plaies par l’éducation, le travail de mémoire, le bien-être mental ou l’autonomisation. Dans le jugement qu’elle a rendu dans le Dossier 002/01 contre Nuon Chea et Khieu Samphan, la Chambre de première instance, saisie de ces mêmes questions, a repris à son compte douze des quatorze projets demandés par les co-avocats principaux représentant les PC au procès86 . Ces programmes, déjà mis en œuvre pour certains d’entre eux, visent également à favoriser le processus de cicatrisation au Cambodge. Les programmes de soutien dans le domaine de la santé mentale, comme le témoignage à visée thérapeutique et les groupes d’entraide pourraient être particulièrement importants pour réduire les PTSD parmi ceux qui ont survécu.

Il n’est pas facile d’ouvrir des discussions sur le passé. Compte tenu de la réticence des Cambodgiens à parler du passé, surtout en public, il est essentiel de trouver des moyens pour surmonter cette réticence, par exemple, en s’appuyant sur des témoignages livrés en privé plutôt qu’en public, ou en créant un espace sûr pour que les personnes puissent s’exprimer. En dépit du fort soutien du gouvernement cambodgien pour connaître la vérité, les auteurs n’ont entendu parler, depuis la réalisation des sondages, d’aucune mesure officielle qui aurait été prise par le gouvernement pour rechercher la vérité au Cambodge. Une reconnaissance officielle reste fondamentale tant sur un plan pratique que symbolique. Il est essentiel que le gouvernement apporte son appui à des initiatives, comme celle de rendre publiques les informations recueillies grâce aux CETC, une fois leur tâche achevée. Une plus grande transparence et une volonté plus affirmée de constituer des archives historiques exactes offriraient aux victimes une certaine reconnaissance qui a fait défaut jusqu’à maintenant.

Le 16 novembre 2018, les chambres de première instance des CETC ont reconnu Nuon Chea et Khieu Samphan coupables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide à l’encontre des Vietnamiens (dans le cas des deux accusés) et des Chams (dans le cas de Nuon Chea) et les ont condamnés à la prison à perpétuité87 . Même s’il est probable qu’il sera fait appel de cette décision, ce jugement constitue le point culminant de la dernière des affaires intentées contre d’anciens dirigeants KR devant les CETC88 . C’est également la première fois qu’un dirigeant a été officiellement reconnu coupable de génocide, même si le terme de génocide a longtemps été utilisé par les Cambodgiens pour décrire les violences89 . Pour certains, le jugement fut considéré comme « historique90  ». Pour d’autres, il n’a rien changé : comme l’a dit une victime, « je ne serai jamais en paix [traduction CICR]91  ». Les personnes interrogées dans les médias ont déclaré être plus ou moins satisfaites sans pour autant indiquer en quoi cette décision favorisera le pardon ou la réconciliation, si tant est que cela soit possible92 .

En conclusion, cet article souligne plusieurs enseignements que les chercheurs et les praticiens pourraient tirer de la justice transitionnelle au Cambodge. Premièrement, des mécanismes judiciaires comme les CETC permettent d’instaurer des échanges plus larges sur les violations qui ont été commises dans le passé. Deuxièmement, il est nécessaire que ce qui accompagne la justice transitionnelle, comme dire la vérité, tenir des procès et lancer des projets commémoratifs, offre un espace sûr et simple d’accès pour que les personnes puissent s’exprimer librement sur ce qu’elles ont vécu. Enfin, la place du pardon dans la justice transitionnelle doit être analysée de façon plus subtile, selon la manière dont il est appréhendé par les individus et les communautés qui n’ont pas été confrontés aux violences de la même façon. Selon ces données, le pardon n’est pas synonyme de réconciliation, pas plus qu’il n’est une condition préalable à sa mise en œuvre. Il s’agit d’une démarche individuelle. La fin prévue des travaux des CETC et le cinquantième anniversaire de la fin du régime brutal des Khmers rouges offriront une nouvelle opportunité aux Cambodgiens de revenir sur le passé et de transmettre aux jeunes générations les leçons du passé. Comme cette étude le montre, cela est plus que jamais indispensable.

  • 1Accord entre l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement royal cambodgien concernant la poursuite, conformément au droit cambodgien, des auteurs des crimes commis pendant la période du Kampuchéa démocratique, 6 juin 2003 (Accord CETC) disponible sur : https://www.eccc.gov.kh/fr/node/3154. (toutes les références internet ont été vérifiées en avril 2022) ; CETC, Règlement intérieur, Phnom Penh, 2007-2015, disponible sur : https://www.eccc.gov.kh/fr/document/legal/internal-rules. Voir également Phuong N. Pham, Patrick Vinck, Mychelle Balthazard et Sokhom Hean, After the First Trial: A Population-Based Survey on Knowledge and Perception of Justice and the Extraordinary Chambers in the Courts of Cambodia, Human Rights Center, Université de Californie, Berkeley, Californie, 2011, p. 29, disponible sur : http://www.peacebuildingdata.org/sites/m/pdf/Cambodia_2011_After_the_fi…. Interrogés sur certains de ces aspects, les Cambodgiens ont répondu que les CETC permettraient de traduire le régime KR en justice (76 %), favoriseraient la réconciliation nationale (81 %) et contribueraient à restaurer la confiance à l’égard du Cambodge (82 %).
  • 2David Bloomfield, Theresa Barnes et Luc Huyse, Reconciliation after Violent Conflict: A Handbook, international IDEA, 2003, p. 12.
  • 3Kelly McKone, Reconciliation in Practice, United States Institute of Peace, 2015, p. 5, disponible sur : https://www.usip.org/publications/2015/08/reconciliation-practice.
  • 4D. Bloomfield, T. Barnes et L. Huyse, op. cit. note 2.
  • 5Nuon Chea, connu sous le nom de « Frère Numéro deux » fut le bras droit du dirigeant des Khmers rouges, Pol Pot. Khieu Samphan était le chef de l’État sous le régime KR.
  • 6Keith B. Richburg, « A Small Apology to the Dead », Washington Post, 30 décembre 1998, disponible sur : https://tinyurl.com/y2wq9tbc.
  • 7Alexander Laban Hinton, The Justice Facade: Trials of Transition in Cambodia, Oxford University Press, Oxford, 2018, p. 58, traduction dans L’Orient-Le Jour : https://www.lorientlejour.com/article/273296/Cambodge_-_Les_deux_compag….
  • 8K. McKone, op. cit. note 3 ; Thomas Brudholm et Valérie Rosoux, « The Unforgiving: Reflections on the Resistance to Forgiveness after Atrocity », Law and Contemporary Problems, vol. 72, n° 2, 2009 ; Rebecca Saunders, « Questionable Associations: The Role of Forgiveness in Transitional Justice », International Journal of Transitional Justice, vol. 5, n° 1, 2011.
  • 9Estelle Bockers, Nadine Stammel et Christine Knaevelsrud, « Reconciliation in Cambodia: Thirty Years after the Terror of the Khmer Rouge Regime », Torture: Quarterly Journal on Rehabilitation of Torture Victims and Prevention of Torture, vol. 21, n° 2, 2011 ; Craig Etcheson, « The Limits of Reconciliation in Cambodia’s Communes », in Elin Skaar, Siri Gloppen et Astri Suhrke (dir.), Roads to Reconciliation, Lexington Books, Lanham, Maryland, 2005.
  • 10David P. Chandler, « Cambodia Deals with Its Past: Collective Memory, Demonisation and Induced Amnesia », Totalitarian Movements and Political Religions, vol. 9, n° 2-3, 2008.
  • 11Brandon Hamber, « Dealing with Painful Memories and Violent Pasts: Towards a Framework for Contextual Understanding », in Beatrix Austin et Martina Fisher (dir.), Transforming War-Related Identities: Individual and Social Approaches to Healing and Dealing with the Past, Berghof Handbook Dialogue Series 11, Fondation Berghof, Berlin, 2016.
  • 12Stewart Motha et Honni van Rijswijk, Law, Memory, Violence: Uncovering the Counter-Archive, Routledge, Abingdon et New York, 2016.
  • 13Berber Bevernage, History, Memory, and State-Sponsored Violence: Time and Justice, Routledge, Londres et New York, 2013.
  • 14Hollie Nyseth Brehm et Nicole Fox, « Narrating Genocide: Time, Memory, and Blame », Sociological Forum, vol. 32, n° 1, 2017, p. 117. Voir également, Devon E. Hinton et Alexander L. Hinton, « Introduction: An Anthropology of the Effects of Genocide and Mass Violence: Memory, Symptom, and Recovery », in Devon E Hinton et Alexander L. Hiton (dir.), Genocide and Mass Violence. Memory, Sympton and Recovery, Cambridge University Press, 2015, p. 24.
  • 15Patricia A Alexander, Diane L. Schallert, et Victoria C. Hare, « Coming to terms: How Researchers in Learning and Literacy Talk about Knowledge », Review of Educational Research, vol. 61, n° 3, 1991, p. 317.
  • 16Ibid.
  • 17Francesca Lessa,Memory and Transitional Justice in Argentina and Uruguay: Against Impunity, Palgrave Macmillan, New York, 2013.
  • 18Ann Rigney, « Reconciliation and Remembering: (How) Does It Work? », Memory Studies, vol. 5, n° 3, 2012, p. 252.
  • 19F. Lessa, op. cit. note 17. Johanna Mannergren Selimovic, « Making Peace, Making Memory: Peacebuilding and Politics of Remembrance at Memorials of Mass Atrocities », Peacebuilding, vol. 1, n° 3, 2013.
  • 20David P. Chandler, A History of Cambodia, Westview Press, Colorado, 1983, p. 211.
  • 21La société était en fait divisée en trois groupes : les déchus, les candidats et les pleins droits. Les citadins ont reçu quasiment de facto le nom de « déchus » et ont été soumis à des conditions de vie très difficiles. Les fermiers qui pratiquaient une agriculture de subsistance et les partisans des KR sont devenus l’élite, possédant les pleins droits et un contrôle sur le maintien de l’ordre. Voir Michael Vickery, Cambodia 1972-1982, South End Press, Boston, Massachusetts, 1984, pp. 81- 82.
  • 22Observations des auteurs qui ont assisté à plusieurs sessions de sensibilisation entre 2006 à 2012.
  • 23Les données présentées dans cet article sont issues de recherches conduites antérieurement par les auteurs. Pour plus d’informations, voir Phuong N. Pham, Patrick Vinck, Mychelle Balthazard, Sokhom Hean et Eric Stover, So We Will Never Forget: A Population-Based Survey on Attitudes about Social Reconstruction and the Extraordinary Chambers in the Courts of Cambodia, Human Rights Center, université de Californie, Berkeley, 2009, disponible sur : www.peacebuildingdata.org/sites/m/pdf/Cambodia_2009_So_We_Will_Never_Fo…;; P. N. Pham et al., op. cit. note 1 ; Phuong N. Pham, Patrick Vinck, Mychelle Balthazard, Judith Strasser et Chariya Om, « Victim Participation in the Trial of Duch at the Extraordinary Chambers in the Courts of Cambodia », Journal of Human Rights Practice, vol. 3, n° 3, 2011 ; Nadine Kirchenbauer, Mychelle Balthazard, Latt Ky, Patrick Vinck, et Phuong N. Pham, Victims Participation before the Extraordinary Chambers in the Courts of Cambodia, (Association pour les Droits de l’Homme et le Développement au Cambodge, ADHOC et Harvard Humanitarian Initiative, 2013, disponible sur : https://www.eccc.gov.kh/sites/default/files/Victims-participation-befor….
  • 24Simon Payaslian, 20th Century Genocides, Oxford Bibliographies dans International Relations, 2012. Selon la liste des prisonniers constituée par le Bureau des co-procureurs des CETC, près de 78% des prisonniers détenus dans la prison S-21, tristement célèbre, étaient des cadres KR. Voir CETC, Bureau des co-procureurs, « Liste révisée OCIJ relative aux prisonniers de la prison S-21 », mai 2017. Liste en possession des auteurs.
  • 25D. P. Chandler, op. cit. note 20, p. 213, pp. 218-219 ; Evan Gottesman, Cambodia After the Khmer Rouge: Inside the Politics of Nation Building, Yale University Press, New Haven, Connecticut, 2003, pp. 28-29.
  • 26Jeudy Oeung, « Expectations, Challenges, and Opportunities of the ECCC », in Simon M. Meisenberg et Ignaz Stegmiller (dir.), The Extraordinary Chambers in the Courts of Cambodia. Assessing their Contribution to International Criminal Law, T., M., C., Asser Press, La Haye, 2016.
  • 27CETC, Kaing Guek Eav alias Duch, Affaire/Dossier n° 001/18-07-2007/CETC/CPI, jugement (Chambre de première instance), 26 juillet 2010.
  • 28James A.Tyner, Gabriela Brindis Alvarez, et Alex R. Colucci, « Memory and the Everyday Landscape of Violence in Post-Genocide Cambodia », Social & Cultural Geography, vol. 13, n° 8, décembre 2012.
  • 29E. Gottesman, op. cit. 25, pp. 7-11; 60-66.
  • 30Tribunal Populaire révolutionnaire, jugement A/34/491, août 1979, disponible sur : https://digitallibrary.un.org/record/4581?ln=fr.
  • 31John D. Ciorciari et Sok-Kheang Ly, « The ECCC’s Role in Reconciliation » in John D. Ciorciari et Anne Heindel (dir.), On Trial: The Khmer Rouge Accountability Process, Centre de documentation du Cambodge (DC-Cam), Phnom Penh, 2009.
  • 32Craig Etcheson, After the Killing Fields: Lessons from the Cambodian Genocide, Praeger, Westport, Connecticut, 2005, pp. 40-42.
  • 33J.D. Ciorciari et S.K. Ly, op. cit. note 31.
  • 34Nastasia Bach et Meredith Deane, Breaking the Silence: Acheiving Justice and Reconciliation in Post-Genocide Cambodia, « Centre de documentation du Cambodge, 2009. Laura McGrew, Pathways to Reconciliation in Cambodia », Peace Review, vol. 23, n° 4, 2011.
  • 35D. P. Chandler, op. cit. 10.
  • 36Peter Manning, « Governing Memory: Justice, Reconciliation and Outreach at the Extraordinary Chambers in the Courts of Cambodia », Memory Studies, vol. 5, n° 2, 2012.
  • 37Open Society Justice Initiative, Performance and Perception. The Impact of the Extraordinary Chambers in the Courts of Cambodia, New York, 2016, pp. 31-69.
  • 38E. Bockers, N. Stammel et C. Knaevelsrud, op. cit. note 9 ; C. Etcheson op. cit. note 9.
  • 39L. Mc Grew, op. cit. note 34.
  • 40Ibid.
  • 41Ibid.
  • 42Ibid.
  • 43Burca Munyas, « Genocide in the minds of Cambodian youth: transmitting (Hi)stories of genocide to second and third generations in Cambodia », Journal of Genocide Research, vol. 10, n° 3, 2008.
  • 44Au lendemain du conflit, des organisations internationales et des États ont soutenu des factions aux idéologies opposées. L’Union soviétique s’est alliée aux Vietnamiens ; la Chine, les États Unis et l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est soutenaient le mouvement de résistance ; et les Nations unies ont reconnu le Kampuchéa démocratique (les Khmers rouges) comme le représentant légitime du Cambodge. Le pays fut isolé pendant au moins dix ans. Ce n’est qu’au début des années 1990 que les Nations unies ont commencé à vraiment s’intéresser au Cambodge, en s’assurant du bon déroulé des élections de 1993. Voir John D. Ciorciari, « History of Politics: Behind the Khmer Rouge Trials », in J. D. Ciorciari et A. Heindel (dir.), op. cit. note 31, chap. 1 ; C. Etcheson, op. cit. note 9, pp. 17-30 ; E. Gottesman op. cit. note 25, pp 42-45.
  • 45Voir op. cit. note 23.
  • 46Lors de la première enquête, les chercheurs ont choisi au hasard 125 communes sur 1621, en employant une méthode d’échantillonnage aléatoire systématique, proportionnel à la taille des communes. Lors de la deuxième étape, les chercheurs ont pris deux villages au hasard, dans chacune des communes choisies, à l’aide d’une méthode d’échantillonnage aléatoire simple. Au sein de chaque village, quatre foyers ont été sélectionnés de façon aléatoire à l’aide d’une méthode d’échantillonnage systématique régulier, avec des probabilités de sélection égales. Enfin, lors de la quatrième étape, au sein de chaque foyer, ils ont utilisé la méthode de Kish pour sélectionner un membre du foyer au hasard en vue d’un entretien.
  • 47Dans les questions, la définition de la connaissance ainsi que la manière de parler des évènements ont été laissées à la discrétion des participants.
  • 48Le système juridique du Cambodge est un système de droit civil qui permet aux victimes de participer aux procédures judiciaires. Selon le droit cambodgien, les CETC permettent également aux victimes de participer aux procédures en qualité de partie civile ou de plaignant. Voir CETC, Règlement intérieur, Rev. 8, révisé le 3 août 2011, Règle 23, par. 1), disponible sur : https://www.eccc.gov.kh/sites/default/files/legal-documents/ECCC%20Inte….
  • 49Avant d’être utilisé pour l’étude, ce questionnaire fut retraduit en anglais afin de garantir la comparabilité des données.
  • 50Les CECT ont été saisies de quatre affaires principales. Le Dossier 001 fut la première d’entre elles et, en tant que tel, a marqué un tournant dans la quête de justice, selon les normes internationales, pour les crimes commis sous le régime KR. L’accusé, Kaing Guek Eav, alias Douch, était l’ancien chef de la tristement célèbre prison centrale de Tuol Sleng et ses annexes à Phnom Penh. Sous le régime KR, il a supervisé l’emprisonnement, la torture et l’exécution de plus de 12 000 personnes. Douch fut reconnu coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre et condamné à une peine de prison à perpétuité. Le Dossier 002 concernait deux hauts dirigeants KR, Nuon Chea et Khieu Samphan. Cette affaire est relative à plusieurs sites à travers le pays et diverses charges ont été retenues à leur encontre, parmi lesquelles le génocide des Chams et des Vietnamiens et les mariages forcés. Les CETC ont rendu un jugement dans le cadre du Dossier 002/02 en novembre 2018, tandis que les Dossiers 003 et 004 sont encore en cours. Voir CETC, Dossiers juridiques, disponibles sur : www.eccc.gov.kh/fr. Voir également P. N. Pham, et al., « Victim Participation in the Trial of Duch », op. cit. note 23 ; N. Kirchenbauer et al., op. cit. note 23.
  • 51Une audience initiale s’est tenue le 27 juin 2011. Le procès a débuté le 21 novembre 2011 ; voir : https://www.eccc.gov.kh/fr/case/topic/119.
  • 52Afin d’accélérer la procédure et compte tenu de l’âge avancé des accusés, la Chambre de première instance a informé les parties de sa décision de disjoindre les poursuites dans le dossier 002 et de les diviser en plusieurs procès. Voir CETC, « Ordonnance de disjonction en application de la règle 89 ter du règlement intérieur », 22 septembre 2011, par. 1 et  5, disponible sur : https://www.eccc.gov.kh/fr/document/court/ordonnance-de-disjunction-en-….
  • 53Tallyn Gray, « No Justice without Narratives: Transition, Justice and the Khmer Rouge Trials », Transitional Justice Review, vol. 1, n° 5, 2017.
  • 5469 % des personnes interrogées en 2008 et 72 % de celles interrogées en 2010 avaient vécu sous les KR ; en 2008 et 2010, respectivement 31 % et 27 % étaient nées après la chute du régime. Voir P. N. Pham et al., So We Will Never Forget, op. cit. note 23 ; P. N. Pham et al., op. cit. note 1.
  • 55Open Society Justice Initiative, Strategies for Reaching Rural Communities in Cambodia: Outreach for the Extraordinary Chambers, Phnom Penh, 2006.
  • 56Sideth S. Dy, « Strategies and Policies for Basic Education in Cambodia: Historical Perspectives », International Education Journal, vol. 5, n° 1, 2004.
  • 57DC-Cam (le centre de documentation pour le Cambodge), a commencé à distribuer, en coopération avec le ministère de l’Éducation, des manuels scolaires en 2007. Voir Khamboly Dy, A History of Democratic Kampuchea (1975-1979), DC-Cam, Phnom Penh 2007; voir également le projet d’éducation sur le génocide du DC-Cam, disponible sur : http://d.dccam.org/Projects/Genocide/Genocide_Education.htm ; Institut des États-Unis pour la paix, « In Cambodia’s Schools, Breaking a Silence Over the ‘Killing Fields », 8 avril 2015, disponible sur :  www.usip.org/publications/2015/04/cambodias-schools-breaking-silence-ov….
  • 58Susan Roth et Lawrence J. Cohen, « Approach, avoidance, and coping with stress », The American Psychologist, vol. 41, n° 7, 1986.
  • 59TPO Cambodia, Truth, Reconciliation and Healing In Cambodia. Baseline Survey Report, juillet 2015 ; TPO Cambodia, Midterm Survey Report, mars 2016. Ces deux rapports ont été rédigés en vue de leur examen par l’Agence des États-Unis pour le développement international. Dossiers en possession des auteurs.
  • 60B. Munyas, op. cit. note 43.
  • 61Ibid.
  • 62Richard F. Mollica, Healing Invisible Wounds. Paths to Hope and Recovery in a Violent World, Harcourt, Orlando, Floride, 2006, pp. 100-102.
  • 63N. Kirchenbauer et al ; op. cit. note 23.
  • 64Dans le sondage de 2010, 47 % des personnes interrogées avaient vu des émissions de télévision consacrées aux CETC ; parmi elles, 46 % ont déclaré avoir notamment regardé le procès de Douch, qui traitait en partie de ce qu’il s’était passé sous le régime KR. Plus de 31 000 personnes ont assisté aux audiences lors du procès de Douch et plusieurs milliers de personnes les ont suivies à la télévision ; CETC, Section des affaires publiques, « Sensibilisation », présentation lors de l’atelier de l’ICTJ sur la sensibilisation, Phnom Penh, Cambodge, 3-5 mars 2010. Brendan Brady, « Lights, Camera, Genocide! », Public Radio International, 2009, disponible sur : https://theworld.org/stories/2009-11-20/lights-camera-genocide.
  • 65N. Kirchenbauer et al., op. cit. note 23.
  • 66Caitlin McCaffrie, Somaly Kum, Daniel Mattes et Lina Tay, « So We Can Know What Happened’ The Educational Potential of the Extraordinary Chambers in the Courts of Cambodia », WSD HANDA Center for Human Rights and International Justice, université de Stanford et de East-West Center, 2018.
  • 67Ces programmes prévoient l’instauration d’une journée nationale officielle de commémoration ; la création de mémoriaux publics ; l’édification d’un mémorial à Phnom Penh en hommage aux victimes des évacuations forcées ; la thérapie par le témoignage, des groupes d’entraide, des expositions permanentes dans cinq provinces en vue d’informer le public sur les KR et plusieurs autres projets éducatifs. Open Society Justice Initiative, op. cit. note 37, p. 24.
  • 68Au fil des ans, plusieurs ONG et diverses personnes ont fourni des informations sur le régime KR au moyen de programmes radio, d’expositions itinérantes et de films ou grâce à des visites des CETC ou des mémoriaux. Voir, par exemple, ibid., pp. 74-77 ; CETC, « Section d’appui aux victimes », disponible sur : https://www.eccc.gov.kh/fr/organs/section-dappui-aux-victimes. En 2019-2021, le DC-Cam continuera de promouvoir la mémoire, la justice et la réconciliation par divers projets. Voir, par exemple, DC-Cam, « Responding to the Cambodian Genocide in a Global Context: Strategic Plan 2019-2021 », disponible sur : http://d.dccam.org/Abouts/Annual/pdf/DC-Cam_Strategic_Vision_2019-2021_….
  • 69Open Society Justice Initiative, op. cit. note 37, p. 90.
  • 70Accord relatif aux CETC et règlement intérieur des CETC, op. cit. note 1.
  • 71David Rieff, Éloge de l’oubli : la mémoire collective et ses pièges. Trad. de l’anglais, Paris, Premier Parallèle, 2018, p. 160. Voir également l’article de David Rieff dans ce numéro de la Sélection française de la Revue.
  • 72Craig Etcheson, « Reconciliation in Cambodia: Theory and Practice », Cambodge, 2004. Dossiers en possession des auteurs.
  • 73P.N. Pham et al. , op. cit. note 1, p. 33.
  • 74Pour que leur constitution de partie civile soit recevable, les personnes devaient démontrer qu’elles avaient subi un préjudice résultant directement d’au moins un des crimes allégués à l’encontre de la personne mise en examen. Voir Règlement intérieur des CETC, Rev.8, op. cit. note 48, Règle 23 bis.
  • 75P.N. Pham, et al. op. cit. note 1.
  • 76La régression logistique est semblable à la régression linéaire, à la différence que la variable de résultat est une variable d’intérêt binaire. En l’espèce, la variable de résultat est le fait de savoir si les Cambodgiens ont pardonné au régime KR (oui) ou pas (non). Un des résultats calculés par la régression logistique est un rapport de cotes pour les indicateurs importants statistiquement (à savoir, des variables associées - ou dont on prédit qu’elles le soient – avec le fait que quelqu’un ait pardonné ou pas au régime KR).
  • 77B. Munyas, op. cit. note 43.
  • 78B. Hamber, op. cit. note 11, p. 5.
  • 79Pin Yathay, « A Brief Description of the Society under DK », in Khmer Rouge History & Authors: From Stalin to Pol Pot - Towards a Description of the Pol Pot Regime, ADHOC et Center for Social Development, Phnom Penh, janvier 2007 ; M. Vickery, op. cit. note 21, pp. 81-82.
  • 80Eric Stover, Mychelle Balthazard, et K. Alexa Koenig, « Confrontation de Duch : la participation des parties civiles au Dossier 001devant les chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens », Revue internationale de la Croix Rouge, vol. 93, n° 882, 2011.Voir également, Ernesto Kiza, Corene Rathgeber et Holger C. Rohne, Victims of War: An Empirical Study on War-Victimization and Victims ́ Attitudes towards Addressing Atrocities, Hamburger Edition Online, Hambourg, 2006, p. 60.
  • 81Phuong N. Pham, Patrick Vinck, Mychelle Balthazard, Michelle Arévalo-Carpenter et Sokhom Hean, « Dealing With the Khmer Rouge Heritage », Peace Review: A Journal of Social Justice, vol. 23, n° 4, 2011.
  • 82Voir op. cit. note 59.
  • 83Lors des auditions des femmes, nombreuses se sont exprimées ouvertement sur les violences basées sur le genre commises sous le régime KR. Cambodian Defenders Project, Women’s Hearing: True Voices Of Women under the Khmer Rouge. Report on the Proceedings of the 2011 Women’s Hearing on Sexual Violence under the Khmer Rouge Regime, disponible sur : gbvkr.org/wp-content/uploads/2013/01/Report-on-2011-Womens-Hearing_Phnom-Penh.pdf.
  • 84Pour une analyse plus approfondie des limites du pardon en tant qu’objectif de la justice transitionnelle, voir  R. Saunders, op. cit. note 8.
  • 85K. Dy, op. cit. note 57.
  • 86Voir op. cit. note 67.
  • 87Chambre de première instance des CETC, « Résumé du jugement : Dossier n° 002/02 », Dossier n° 002/19-09-2007/CETC/CPI, 16 novembre 2018, disponible sur : https://www.eccc.gov.kh/fr/document/court/resume-du-jugement-de-la-cham….
  • 88Les procédures relatives aux Dossiers 003 et 004 sont encore en cours, mais les personnes accusées sont considérées par les CETC comme figurant parmi « les plus hauts responsables » et non comme d’anciens dirigeants KR. Voir CETC, « Dossiers juridiques », disponibles sur : https://www.eccc.gov.kh/fr/case/topic/287 et https://www.eccc.gov.kh/fr/case/topic/120. Nuon Chea est mort le 4 août 2019 ; les audiences reprendront seulement pour les affaires concernant Khieu Samphan. Voir CETC, « L’accusé Nuon Chea est décédé », disponible sur : https://www.eccc.gov.kh./fr/articles/laccuse-nuon-chea-est-decede.
  • 89Voir, par exemple, DC-Cam, op. cit. note 67.
  • 90Leonie Kijewski , « Khmer Rouge Tribunal / Khmer Rouge Leaders Committed Genocide of Minorities, International Tribunal Finds », SouthEast Asia Globe, 16 novembre 2018, disponible sur : https://southeastasiaglobe.com/khmer-rouge-leaders-committed-genocide-o….
  • 91Hannah Beech, « Khmer Rouge’s Slaughter in Cambodia Is Ruled a Genocide », The New York Times, 15 novembre 2018, disponible sur : https://tinyurl.com/y2uahcvj.
  • 92Voir par exemple, « Khmer Rouge Verdict: “I Live Next to My Torturer », BBC News, 16 novembre 2018, disponible sur : https://www.bbc.com/news/world-asia-46233582 ; BBC News, « Khmer Rouge Leaders Found Guilty of Cambodia Genocide », 16 novembre 2018, disponible sur : https://www.bbc.com/news/world-asia-46217896 ; Sok Khemara, « Mixed Views on Khmer Rouge Tribunal Impact, Legacy Ahead of Genocide Verdict », VOA Khmer, 16 novembre 2018, disponible sur : https://www.voacambodia.com/a/mixed-views-on-khmer-rouge-tribunal-impac….

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