IRRC No. 906

La santé mentale en Syrie : comment les Syriens prennent en charge les conséquences psychologiques de la crise

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Abstract
Au vu des destructions causées par la guerre en Syrie, on peut aisément imaginer l’ampleur de l’impact psychologique de huit années de crise sur la population syrienne. Dans un pays où, avant la guerre, la santé mentale était encore considérée comme une discipline naissante, les Syriens s’efforcent de prendre en charge et de traiter la santé mentale et les conséquences psychologiques de la guerre. Malgré cette situation catastrophique, il apparaît que, pendant la crise, des progrès significatifs ont été accomplis dans le domaine de la santé mentale. Dans cet article, l’auteur dresse un état de la santé mentale en Syrie avant 2011, analyse les conséquences de la crise sur les Syriens et présente la manière dont elles ont été appréhendées ces dernières années. Pour conclure, il mentionne certains des progrès accomplis dans le domaine de la santé mentale en Syrie et analyse certains des défis qu’il reste à relever.

Traduit de l'anglais.

Introduction

Plus de sept ans après le début de la crise en Syrie, on estime que le conflit a fait plus de 400 000 morts, qu’il a provoqué le déplacement de plus de 6 millions de personnes et qu’environ 5 millions de personnes se sont réfugiées à l’étranger1 . Par ailleurs, selon l’une des études les plus récentes2 , en plus des lourdes pertes dans les secteurs de l’agriculture, du tourisme, du pétrole et des banques, c’est plus de 2,4 millions d’habitations qui ont été détruites, 67 % de la capacité industrielle de la Syrie qui a été réduite à néant, 45 % des centres de santé qui ne sont plus en état de fonctionner et 30 % des établissements scolaires qui ont été démolis, plongeant 89 % de la population syrienne dans l’extrême pauvreté 3 . On peut donc aisément imaginer (ou peut-être pas) l’ampleur des traumatismes psychologiques dont souffrent ceux qui vivent cette crise.

Dans cet article, l’auteur dresse un état de la santé mentale en Syrie avant 2011, analyse les conséquences de la crise sur les Syriens et présente la manière dont elles ont été appréhendées ces dernières années. Pour conclure, il mentionne certains des progrès accomplis dans le domaine de la santé mentale en Syrie et analyse certains des défis qu’il reste à relever.

La santé mentale en Syrie avant la crise

En Syrie, la santé mentale est encore largement considérée comme une discipline nouvelle et la société ne maitrise pas encore tout à fait les concepts de santé mentale, de psychiatrie et de psychologie clinique. Les troubles psychologiques sont encore fortement stigmatisés et cela atteint même parfois les professionnels de la santé mentale. Aussi, jusqu’en 2011, il n’y avait pas plus de 120 psychiatres dans tout le pays4 . D’où la question : qui offrait des services de santé mentale en Syrie avant 2011 ?

S’agissant de la psychiatrie, il existait divers services. En premier lieu, le ministère de la Santé disposait de trois grands hôpitaux pour le traitement des maladies mentales et de la toxicomanie (l’hôpital Ibn Sina dans la région rurale de Damas, l’hôpital Ibn Rushd à Damas et l’hôpital Ibn Khaldoun à Alep), lesquels venaient s’ajouter aux unités spécialisées en psychiatrie de plusieurs centres de santé ou hôpitaux généraux. Ces trois hôpitaux étaient considérés comme des centres de formation pour les psychiatres. Seul l’hôpital Ibn Sina disposait d’un service pédiatrique. Deuxièmement, le ministère de l’Enseignement supérieur avait ouvert un service de santé mentale au sein de l’hôpital pédiatrique de Damas, qui disposait d’une unité psychiatrique dispensant des soins ambulatoires aux enfants, ainsi qu’à l’hôpital Al-Mouwasat, qui disposait d’un service de psychiatrie et d’un centre de psychiatrie ambulatoire ; ce ministère avait également mis en place une formation destinée aux étudiants de la faculté de médecine de l’Université de Damas et aux médecins se spécialisant en psychiatrie. Troisièmement, le ministère de la Défense disposait d’un service psychiatrique et d’une unité de psychiatrie ambulatoire au sein de l’hôpital militaire de Tishreen à Damas et proposait une formation spécialisée en psychiatrie. Quatrièmement, le ministère de l’Intérieur avait ouvert un centre de psychiatrie ambulatoire. Cinquièmement, il y avait le secteur privé, avec des psychiatres qui administraient leur propre clinique. Il y avait aussi deux hôpitaux psychiatriques privés dans le gouvernorat rural de Damas, le centre de psychiatrie moderne à Al-Malihah et l’hôpital Al-Bisher à Harasta. Enfin, certaines organisations non gouvernementales avaient ouvert des centres psychiatriques ou mis en place des services psychiatriques, comme le Croissant-Rouge arabe syrien, l’International Medical Corps (IMC), l’Organisation syrienne pour les handicapés et le Mouvement des Frères musulmans (en lien avec Terre des Hommes5 ).

Quant à la psychologie clinique6 , il n’y avait aucun psychologue agréé car ce domaine était inconnu en Syrie et qu’il n’existait donc aucun agrément ni aucune formation dans cette discipline. Cependant, il y avait une dizaine de spécialistes, tout au plus, qui avaient été formés à l’étranger en psychologie clinique ou qui avaient suivi une formation à titre personnel. Dans les universités syriennes, la faculté d’éducation propose une formation théorique en psychologie et au soutien psychologique, mais ces cours ne sont pas complétés par des modules de compétences cliniques ou par une formation scientifique en psychologie clinique.

La ville de Damas comptait quatre-vingt-quatre psychiatres (soit environ 70 % du nombre total de psychiatres dans le pays) ; il y en avait quatre à Alep, six à Homs, cinq à Lattaquié, trois à Tartous, deux à Hama, deux à Hassaké et seulement un à Deraa et à Raqqa. Quant aux gouvernorats d’Idlib, de Soueïda et de Deir ez-Zor, il n’y avait aucun psychiatre ni aucun psychologue7 .

Bien que les services en santé mentale étaient extrêmement limités, il n’était pas possible de prendre la mesure des besoins réels en raison de la stigmatisation, de la dénégation et du manque de connaissance des maladies mentales. L’assurance santé en Syrie ne couvre ni la psychiatrie, ni les médicaments psychotropes, ni aucun autre traitement psychiatrique, ce qui signifie que les coûts de tels traitements restent entièrement à la charge des patients, même s’ils ont une assurance santé. De plus, même les médecins manquaient de connaissances en santé mentale. Dans les universités syriennes, les étudiants en médecine n’étaient pas intéressés par le cursus en psychiatrie qui, au total, ne comportait pas plus de trente heures de cours théoriques et huit heures de pratique ; en outre, la stigmatisation de la psychiatrie ainsi que les visites qu’ils effectuaient dans les hôpitaux psychiatriques où les seuls cas de pathologie mentale qu’ils voyaient étaient des patients souffrant de psychoses réfractaires, ne faisaient que conforter leur aversion pour la spécialisation en psychiatrie.

Conséquences psychologiques de la crise chez les Syriens

Aucune étude n’a été réalisée pour mesurer la prévalence des troubles psychologiques chez les Syriens avant la crise mais il semble que celle-ci était comparable aux taux relevés à l’échelle mondiale. S’agissant de la prévalence de ces troubles pendant ou après la crise, aucune recherche exhaustive n’a été réalisée au niveau national. Nous pouvons néanmoins fonder nos estimations sur les projections de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), présentées dans le Tableau 1, qui montre que la prévalence des troubles psychologiques est multipliée par deux pendant des crises.

Partant de ces statistiques, on estime qu’environ un million de Syriens (soit 4 % de la population) souffre de troubles mentaux sévères, tandis qu’environ cinq millions présentent des troubles mentaux modérés. Selon la Syrian Arab Association of Psychiatry, quatre-vingts psychiatres travaillaient sur le territoire syrien en 20188 . Si l’on part du principe qu’ils travaillent cinq jours par semaine, soit cinquante-deux semaines par an, que chacun d’eux peut suivre quinze patients par jour et qu’ils ne voient pas les patients plus de trois fois par an, le nombre total de patients qu’ils peuvent suivre chaque année est de 104 000 personnes (c’est-à-dire (80x15x5x52) /3), ce qui représente à peu près 10 % des cas les plus sévères. En d’autres termes, plus de 90 % des cas sévères ne sont pas pris en charge.

Toutefois, selon d’autres estimations, la prévalence des troubles psychologiques serait plus élevée. Par exemple, selon la Chambre fédérale allemande des psychothérapeutes, la moitié des réfugiés syriens en Allemagne ont des problèmes de santé mentale9 et les autorités turques en sont arrivées à la même conclusion à propos des réfugiés en Turquie10 . Selon une enquête menée par l’IMC11 dans les centres de soins qu’elle soutient et qui accueillent des réfugiés et des déplacés syriens en Syrie, en Jordanie, au Liban et en Turquie, 54 % des Syriens se rendant dans ces centres présentent des troubles affectifs graves et 26,6 % des enfants risquent d’avoir des retards de développement cognitif et physique. Une autre étude montre que 50 % des enfants réfugiés souffrent d’un syndrome de stress post-traumatique (SSPT) ou de dépression, que des personnes qui ont été retenues prisonnières ainsi que des dizaines de milliers de combattants de tous bords, souffrent de troubles mentaux et que les femmes et les jeunes filles courent plus de risques d’être victimes de violences, violences conjugales, violences sexuelles, mariages précoces et exploitation sexuelle, notamment12 .

L’étude réalisée par Mohammed Bahaa Aldin Alhaffar et al. sur la santé bucco-dentaire et la prévalence de SSPT sévères chez les enfants, fait état de pourcentages plus élevés encore, révélant que dans la ville de Damas, 91,5 % des enfants souffraient de SSPT13 , les pourcentages les plus élevés étant concentrés dans les quartiers Est et Sud-Est de Damas, à savoir, Dwelah, Nahr Aïcha, Tabbaleh et Jaramana.

 

Tableau 1. Projections de l’OMS concernant les troubles mentaux chez les populations adultes

 

Projections de l'OMS concernant les troubles mentaux chez les populations adultes
  Avant la situation d'urgence : prévalence sur douze mois (prévalence médiane par pays et par niveau d'exposition à l'adversité)

Après la situation d'urgence : prévalence sur douze mois (prévalence médiane par pays et par niveau d'exposition à l'adversité)

Troubles sévères

(par exemple, psychose, dépression sévère, forme particulièrement invalidante de trouble anxieux)

De 2 % à 3 % De 3 % à 4 %

Troubles mentaux légers ou modérés

(par exemple, formes légères et modérées de dépression et de troubles anxieux, y compris ESPT léger et modéré

10 % De 15 % à 20 %

Détresse normale / autres réactions psychologiques

(sans véritable pathologie)

Aucune estimation Pourcentage important

 

Source : OMS et Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Evaluation des besoins et ressources en santé mentale et soutien psychosocial : vade-mecum pour les situations humanitaires, OMS, Genève, 2012, p. 18, disponible sur : http://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/97944/9789242548532_fre….

La prise en charge des troubles psychologiques ces dernières années

Les services de santé mentale en Syrie ont été très durement touchés pendant la crise. Le nombre de psychiatres a brusquement chuté et a pratiquement été réduit de moitié, passant de 120 en 2011 à seulement 70 en 2016. Le nombre d’internes en psychiatrie a également fortement diminué, passant de 40 en 2011 à moins de dix en 201614 . Les hôpitaux privés d’Al-Bisher et le Modern Psychiatry Hospital ont été totalement détruits. S’agissant des hôpitaux publics, l’hôpital Ibn Khaldoun à Alep est hors service depuis plusieurs années et l’hôpital Ibn Sina, qui est situé dans une zone sensible, a été fortement endommagé.

Pour autant, des mesures ont été prises à différents niveaux pour proposer des premiers secours psychologiques ou pour offrir un soutien psychosocial adapté. À cet égard, l’un des programmes les plus importants a été celui de l’OMS, « Programme d’action : combler les lacunes en santé mentale », qui visait à remédier au manque de psychiatres en formant des médecins généralistes, travaillant dans des centres de santé et des cliniques, sur la manière d’évaluer et de prendre en charge dix des troubles mentaux les plus fréquents (SSPT, dépression, psychose, suicide, dépendance à l’alcool et aux drogues, troubles du comportement chez l’enfant, troubles du développement comme les troubles du spectre de l’autisme, l’épilepsie et la démence15 ). À ce jour, plus de 1500 médecins issus de 400 centres de santé ont pu suivre cette formation et, désormais, les médicaments psychotropes prescrits dans les centres de santé sont pris en charge par l’assurance santé. Le programme reposait principalement sur le fait que les formateurs assuraient un suivi régulier des médecins en allant les voir sur leur lieu de travail et en organisant des réunions de suivi collectives. Les réseaux sociaux ont également été utiles puisque, dans chaque gouvernorat, les médecins sont membres d’un groupe sur les applications de messagerie instantanée, WhatsApp ou Messenger, sur lesquelles ils peuvent exposer des cas de patients atteints de troubles persistants et en discuter entre eux ou avec le consultant-formateur référent. À ce jour, ces groupes sont toujours actifs.

L'OMS a également formé plus de soixante psychologues en thérapie comportementale et cognitive, en ayant recours à des formateurs externes et a complété cet enseignement par une formation pratique. En outre, l’OMS a formé soixante psychologues à la thérapie familiale et aux premiers secours psychologiques. Un programme en santé mentale est en train d’être déployé dans les écoles afin de former des psychologues scolaires et des professeurs à savoir identifier et prendre en charge les principaux troubles mentaux dans les écoles. Un guide d’autosoins pour la gestion du stress ainsi que d’autres nouveaux projets sont en train d’être élaborés pour être déployés dans les régions où il n’y a pas de médecins. En outre, l’UNICEF a apporté son soutien non seulement à l’élaboration d’un guide sur la santé mentale pour les enfants dans les situations d’urgence mais également à la mise en place d’espaces de vie adaptés aux enfants16 . Pour sa part, l’Organisation internationale pour les Migrations a réalisé une étude anthropologique et organisé une formation sur la communication non violente, la résolution des conflits et la gestion des centres de réfugiés17 .

Le département des relations œcuméniques et de développement du Patriarcat orthodoxe grec d’Antioche et de tout l’Orient (GOPA-DERD) a eu recours à diverses méthodes de soutien psychologique18 . Il a choisi des personnes parmi les plus affectées et a formé des groupes de 70 à 100 personnes. Il les a réunies dans un lieu sûr et accueillant pendant trois ou quatre jours avec une équipe de spécialistes et de travailleurs sociaux. Des questionnaires ont permis de déterminer le niveau de gravité du stress psychologique des participants au début de l’atelier, puis différentes activités, y compris des loisirs, ainsi que divers traitements leur ont été proposés. Ces groupes ont fait l’objet d’un suivi pendant deux journées supplémentaires, un à deux mois plus tard. Ce programme a eu d’excellents résultats car il incluait tous les membres du noyau familial et les parents proches ont pu bénéficier du soutien dont ils avaient besoin19 . Le Croissant-Rouge arabe syrien (SARC) a joué un rôle essentiel dans le domaine de la santé mentale : ce fut le premier à ouvrir des polycliniques dotées d’un psychiatre, d’un psychothérapeute ainsi que d’un orthophoniste, et à mettre en place des équipes mobiles de soutien psychosocial qui se sont déplacées dans les zones les plus affectées et qui ont développé des activités de soutien psychosocial pour les enfants20 . D’autres organismes ont expérimenté différentes méthodes, comme le théâtre interactif, la thérapie par le jeu et les poupées, mais à une échelle moindre. L’IMC a également commencé à ouvrir des centres pour les familles et les enfants afin de leur apporter un soutien, en particulier pour les enfants atteints d’un handicap21 . La plupart de ces organisations internationales et de ces associations locales ont ouvert des espaces de vie adaptés aux enfants après avoir formé des centaines de jeunes volontaires au soutien psychosocial des enfants dans des situations d’urgence, aux méthodes pour protéger les enfants, concevoir et mettre en œuvre des activités adaptées favorisant la décompression émotionnelle ou le changement de comportement des enfants. Bien que ces initiatives aient fait naître, chez les groupes visés au niveau local, une réelle prise de conscience de la protection de l’enfance, celle-ci ne s’est malheureusement pas étendue à l’ensemble du pays.

Les caractéristiques, la culture et les traditions de la société syrienne ont joué un rôle déterminant dans la rapidité de la guérison des blessures psychologiques. L’un des aspects les plus importants du soutien psychosocial aux personnes ayant vécu un traumatisme est de veiller à ce qu’ils ne s’isolent pas, ce qui arrive souvent dans des centres d’accueil pour réfugiés surpeuplés ou des logements loués par plusieurs familles qui vivent ensemble pour économiser de l’argent. Ces lieux ont favorisé les échanges et une culture de reconnaissance des émotions, tout cela étant accentué par le fait de vivre la crise ensemble, ce qui amène chacun à reconnaitre les sentiments des autres et à tenter de mettre en commun des stratégies d’adaptation.

Plusieurs organisations mettent actuellement au point des méthodes pour atteindre les victimes à distance en utilisant les réseaux sociaux et les nouvelles technologies. Par exemple, la Syrian Arab Association of Psychiatry a conçu une application permettant d’effectuer des téléconsultations en psychiatrie et de s’entretenir avec des psychiatres par voie électronique. Puisqu’il s’agit d’un service en ligne, il a pu être mis à disposition dans tout le pays et a bénéficié du soutien de centaines de médecins syriens à l’étranger. D’autres organisations ont publié des guides d’autosoins avec des images et des fichiers audios pour que toutes les personnes affectées, y compris, les personnes analphabètes, puissent y avoir accès.

Conclusion

Bien que la situation en Syrie soit catastrophique, il apparaît que des progrès significatifs ont été accomplis dans le domaine de la santé mentale pendant la crise. Parmi ceux-ci, l’avancée sans doute la plus importante, a été de mettre fin à la stigmatisation entourant les maladies mentales ou tout au moins de la réduire : après avoir longtemps qualifié de « folle » toute personne suivie dans un centre psychiatrique, les Syriens ont radicalement changé leur façon de voir les choses, en reconnaissant que tout le monde est sous pression et que chacun a besoin de consulter un psychiatre. Une formation en psychothérapie, en psychologie et en soutien psychologique a été dispensée à un grand nombre de diplômés de la Faculté d’éducation de l’Université de Damas, ce qui leur a permis de mieux comprendre la psychologie clinique et les a encouragés à acquérir une plus grande pratique dans ce domaine.

On a pu observer également un changement radical dans la manière dont le personnel médical et les pharmaciens considèrent les médicaments psychotropes. Auparavant, la plupart de ces médicaments, y compris les antidépresseurs, étaient considérés tant d’un point de vue médical que pharmaceutique, comme des narcotiques qui ne faisaient qu’accroitre les sentiments de discrimination et de stigmatisation chez les patients. Toutefois, après avoir formé un nombre considérable de médecins non psychiatres à la prescription de ces médicaments ainsi que le personnel des pharmacies sur l’addiction et la manière de différencier les médicaments psychotropes des drogues entrainant une dépendance, on a observé un changement de comportement chez ces professionnels de santé. De la même manière, après que les professionnels de l’éducation aient reçu une formation solide afin que les écoles coopèrent et prennent en compte la santé mentale, on a observé une nette amélioration de la compréhension des questions de santé mentale chez le corps professoral et les conseillers pédagogiques ainsi que des méthodes pour les appréhender afin d’élargir le champ des possibles en matière d’éducation des enfants.

Malgré ces progrès, beaucoup reste à faire. Il est encore difficile de parler des violences basées sur le genre, peut-être parce qu’il s’agit d’un sujet qui se heurte fortement à des tabous culturels, religieux et sexuels, mais aussi en raison de la faiblesse des programmes d’enseignement dans ce domaine. Plutôt que de faire un cours spécifique sur ce sujet qui fait rougir de nombreuses personnes rien qu’à son évocation, il faut l’intégrer dans d’autres programmes d’éducation et de santé, ainsi que dans d’autres activités de soutien psychologique.

Les autorités religieuses sont encore, en grande partie, mal à l’aise avec les réalités de la santé mentale et retardent l’accès des patients à des spécialistes pendant des années, voire les en empêchent définitivement. En conséquence, compte tenu de leur très forte influence sur l’opinion publique, il est vraiment urgent de sensibiliser ces autorités aux concepts contemporains de santé mentale.

Les médias d’information n’ont pas encore été utilisés pour mieux faire connaître la santé mentale, peut-être en raison de la crise et de toutes les inquiétudes liées au conflit, mais ils ont véritablement un rôle majeur à jouer à cet égard. S’agissant de la fiction, la majorité des auteurs et des producteurs n’utilisent toujours pas le vocabulaire scientifique exact de la santé mentale, considérant qu’ils sont capables d’identifier les caractéristiques de tous les troubles psychologiques sans même faire appel à un psychiatre ou à un spécialiste en santé mentale et sans que leurs productions ne soient contrôlées par une autorité scientifique quelconque. Au contraire, tout comme la majorité de la population, ils s’appuient souvent sur les troubles psychologiques et sur la psychiatrie pour obtenir un effet comique ou pour souligner l’ironie d’une situation, renforçant ainsi la stigmatisation de ces pathologies. Il serait utile d’organiser des ateliers de sensibilisation à la santé mentale à l’intention de ceux qui travaillent dans l’industrie du spectacle et les médias d’information.

Le droit reste très en retard par rapport aux connaissances scientifiques contemporaines dans le domaine de la santé mentale. À ce jour, malgré diverses tentatives depuis de nombreuses années, il n’y a aucune loi relative à la santé mentale en Syrie et on trouve toujours dans la législation syrienne des mots tels que « fou », « idiot » ou « stupide » pour décrire les personnes qui souffrent de troubles mentaux. Balayer ces perceptions erronées et relever les autres défis aidera les Syriens à accéder aux soins dont ils auront besoin dans les années à venir lors de la reconstruction de leur pays.

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